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mardi 12 mars 2024

UNE VIE QUI MÉRITE D’ÊTRE RACONTÉE

LUCIE LACHAPELLE a été liée d’une façon ou d’une autre aux Autochtones pendant près d’un demi-siècle. Tout commence pour elle lors d’un projet étudiant. Elle a dix-huit ans et s’envole pour le Nunavik pour quelques semaines. Un voyage qui allait changer son existence. Elle devait y retourner un peu plus tard comme enseignante et jamais elle n’a perdu contact avec ces gens, étant fascinée par leur pensée et surtout leur résilience. En Abitibi, elle croise Georges Pisimopeo, un Cri, qu’elle épousera et qui deviendra le père de ses enfants. Elle raconte bellement les grands moments de son histoire. Les yeux grands ouverts présente des fragments, des courts récits où elle revient sur les jours marquants de sa vie.

 

Dans la plupart des récits et des romans (je le disais dans une chronique où je m’attardais à Qimmik de Michel Jean) qui permettent de nous aventurer dans le nord du Québec, nous avons le point de vue du Sud, de celle ou celui qui débarque pour un certain temps dans une petite communauté, jamais pour s’y établir et pour faire partie de cette population. Ils sont là pour des raisons souvent un peu étranges. Je connais des hommes surtout qui sont allés dans ces territoires pour les salaires élevés. Rares sont ceux qui comme Jean Désy ont adopté le Nord en souriant, aimant ce pays plus que tout, la toundra et les gens qui y survivent. Pour Désy, ce sera une épiphanie qui changera totalement sa vie.

Les Inuit ou les Cris sont à peu près toujours présentés comme des figurants dans ces récits. Et les contacts sont utilitaires et pratiques. On y croise beaucoup d’enfants qui doivent fréquenter l’école et les adultes restent des êtres flous sauf dans des cas exceptionnels et des circonstances tragiques ou malheureuses. Presque jamais, on ne sent l’osmose ou de véritables liens d’amitié se vivre entre les Blancs et les Autochtones qui demeurent sur leurs gardes. Les aventures amoureuses semblent difficiles dans ce milieu particulier et les jeunes femmes en sont souvent les victimes. Autrement dit, rien n’est clair et précis dans le pays de la toundra et des caribous, des immenses espaces et des aurores boréales magnifiques et uniques.

 

«À part les relations qu’ils entretiennent avec la population locale dans le cadre de leur travail, les Blancs restent entre eux et les contacts ne sont pas encouragés par les employeurs.» (p.22)

 

Lucie Lachapelle demeurera en lien avec des Autochtones pendant une grande partie de sa vie et son regard, ses manières de penser en seront transformés. De 1974 à 2008, elle aura des liens avec eux, ayant la chance de mieux les connaître, surtout en épousant un Cri qui intervenait et aidait les communautés de l’Abitibi. Elle a pu être témoin de situations uniques et marquantes. Traumatisantes parfois. Elle y sera à la fois militante, enseignante, cinéaste, intervieweuse et surtout elle verra les changements et les bouleversements qui se sont produits dans le quotidien de ces gens. Au cours des décennies, ils finiront par se couper de leur culture et de leurs traditions. Elle pouvait écrire en 1976 des propos qui restent terriblement actuels et qui attestent certainement d’un contexte disparu maintenant.

 

«Malgré l’aspect chaotique des lieux et la vétusté des maisons, ce village est beau et ses habitants aussi. Ça respire la quiétude. Il n’y a pas de voitures, de routes, d’affiches publicitaires, d’édifices en hauteur, d’antennes télé, de tours de communication. Il n’y a que des êtres humains, des chiens, une rivière, des montagnes et la toundra.» (p.31)

 

Les choses ont bien changé. Et pas pour le mieux nécessairement. Internet sévit dans le Nunavik et la motoneige a remplacé les chiens depuis fort longtemps. Les grandes virées sur les glaces semblent du passé et nombre de témoignages montrent une population déboussolée qui ne sait plus à quoi s’accrocher.

 

MUTATION

 

Lucie Lachapelle s’attarde à tout ce qui l’a bouleversée et a changé les conditions de vie des Autochtones, leur faisant souvent perdre pied devant des gadgets qui envahissent leur quotidien et qui finissent toujours par les couper de leur manière de penser et d’être. 

Et que dire des fameuses réserves où ils sont confinés et gardés à vue? Un lieu d’enfermement après avoir connu les espaces sans fin où les clôtures étaient les montagnes et les grandes rivières qui mènent à la baie d’Hudson. Ils ont subi la sédentarisation forcée quand leur esprit et leur regard reposent sur le nomadisme et l’adaptation à des saisons particulièrement difficiles. 

Les fameux pensionnats où les enfants ont été agressés et blessés dans leur corps et leur âme ont laissé des traces indélébiles. Et aussi la ségrégation et le racisme qui fait partie de leur quotidien, partout sur le territoire. Nous avons eu des témoignages affolants à propos des femmes autochtones qui disparaissent sans que les autorités s’émeuvent.   

 

«Georges se tient debout devant moi et, dans la lueur de la lampe qu’il vient d’allumer, je vois qu’il est contrarié. Je jette un œil à Nikodjash qui dort paisiblement et je m’assois sur la couchette. Georges prend place près de moi. Il parle tout bas, mais je perçois dans son ton que quelque chose ne va pas. Il était étendu sur une banquette quand un employé du train lui a intimé de se lever et de quitter ce wagon, parce qu’il est un “Indien” et qu’il y a un wagon réservé pour “eux”. D’ailleurs, il ne peut pas rester avec nous. Est-ce que j’ai bien compris? Est-il certain? Oui! Je suis abasourdie, révoltée. C’est aussi terrible et inacceptable que l’apartheid en Afrique du Sud.» (p.131)

 

Malgré les efforts et le bon vouloir de Lucie Lachapelle, sa curiosité et sa résilience, elle constate combien il est difficile d’établir des liens d’égal à égal. Le Blanc s’impose avec sa mentalité de colonisateur. Il débarque dans le Nord et dicte sa façon de faire, de voir, de vivre sans hésiter. 

Je pense à des moments que j’ai passés dans la forêt de l’Abitibi. Les Cris étaient tout près du camp forestier et certains venaient y travailler, mangeaient à la cuisine avec nous, mais il n’y avait jamais de contacts, de regards ou de sourires. On se surveillait tout simplement, méfiants et étrangers. Je réalisais mal alors que nous étions les envahisseurs dans ce pays que nous exploitions de la pire des façons en abattant des flancs de montagne, saccageant de grands pans de leur territoire.

 

SITUATION

 


Bien sûr, la situation des Autochtones est dramatique dans la plupart des réserves où ils sont confinés. Je pense aussi aux Inuit qui se retrouvent en si grand nombre dans les rues de Montréal. Une aberration. Des vies, des manières de faire ont été détruites, changées de force, à tout jamais. Tous ont été envahis, conquis de la pire des façons, dépossédés, forcés à parler une autre langue, coupés de leurs enfants qui sont devenus des étrangers après leur séjour aux pensionnats. De quoi désespérer et basculer dans les excès de l’alcool et des substances qui font perdre contact avec une réalité qui les nie. 

L’impression qu’ils sont des fantômes dans leur pays. 

Des récits troublants, touchants et une sensibilité particulière se dégage des propos de Lucie Lachapelle. Elle a connu le Nord et la forêt de l’Abitibi, partageant des manières d’empoigner le quotidien, affrontant leurs problèmes, leur misère souvent et leur impuissance. Un témoignage important, une existence exemplaire pour cette femme curieuse qui cherchait à abolir les frontières entre les peuples qui habitent le Québec sans se rencontrer et qui s’ignorent la plupart du temps. 

Heureusement, depuis quelques années, des Innus et des Inuit font entendre leur voix et s’imposent sur la scène culturelle. C’est fort réjouissant. Reste qu’il n’est pas facile de combattre la méfiance, la peur et l’indifférence qui empêchent les contacts chaleureux et fraternels. Lucie Lachapelle peut dire qu’elle respire dans un pays étranger qui est aussi le sien et qui est surtout celui des Premières Nations. Un périple fascinant qui nous permet de méditer sur ce territoire que nous connaissons si mal, des populations que nous avons envahies pour le pire dans la plupart des cas. 

 

LACHAPELLE LUCIE : Les yeux grands ouverts, Éditions de La Pleine Lune, Montréal, 160 pages.

https://www.pleinelune.qc.ca/titre/680/les-yeux-grands-ouverts

dimanche 14 mars 2010

Lucie Lachapelle et l'histoire amérindienne

«Rivière Mékiskan» est le premier roman de Lucie Lachapelle qui a œuvré d’abord dans le monde du cinéma. En passant à la littérature, elle ne s’éloigne guère de ses préoccupations puisque ce roman met en scène Alice, une métisse qui ignore tout de sa famille cri. Dans l’un de ses documentaires, «La rencontre», elle aborde les relations entre les Québécois et les Amérindiens.
Isaac, le père d’Alice, est retrouvé mort dans un parc  de Montréal. Il avait le nom de sa fille et son numéro de téléphone sur lui. Rien d’autre. Rongé par l’alcool, il était devenu itinérant. Sa mère Louise a tout fait pour que sa fille oublie sa nature amérindienne.
Alice identifie le corps à la morgue, décide de ramener ses cendres à Mékiskan. Après un voyage en train d’une douzaine d’heures, elle se retrouve en Abitibi, dans un village où tout se désagrège. La compagnie forestière a plié bagage après avoir tout rasé. Ne reste que l’hôtel, quelques maisons qui s’effritent.

La famille

Alice se retrouve chez Lucy, une cousine de sa grand-mère, qui vit à l’écart du village. Elle s’occupe de ses petits-enfants quand sa fille Jeannette dérape dans une soûlerie sans fin. Il y a le bébé, la petite Minnie, une fillette charmante et Samuel, un garçon au seuil de l’adolescence, qui vit la rage au cœur. Il déteste voir sa mère se noyer dans l’alcool, rêve de tuer ce Blanc qui l’entraîne dans la débauche, de s’enfuir dans la forêt pour ne plus avoir de contact avec personne.
La jeune femme apprivoise cette famille dont elle ne sait rien. La forêt, les traditions, la chasse, la vie dans la nature sans les gadgets de la modernité. Tout est nouveau. Lucy lui révèlera aussi des secrets de famille, des conditions de vie difficiles à imaginer.
«Pour Alice, avoir des racines amérindiennes signifie avoir honte et avoir peur. Et elle porte un fardeau : son propre père a incarné tout ce que les autres pensent des Amérindiens. Isaac était un fainéant, un alcoolique fini.» (p.22)
En s’attardant à Mékiskan, Alice retrouve des souvenirs, des visages, une réalité qu’elle a toujours refusé de voir. Elle prend conscience de l’exploitation irresponsable de la forêt, de son peuple que l’on a dépossédé. Elle apprend aussi que sa grand-mère a été violée devant son père par les Blancs de la compagnie. Il y a aussi ces enfants enlevés et gardés dans les pensionnats. Son père a été du nombre.
«Ils ont pris mes enfants, les uns après les autres. Quand ils revenaient, ils étaient plus les mêmes. Ils avaient de la difficulté à parler notre langue. On aurait même dit qu’ils avaient dédain de nous.» (p.102)
Tout ce que sa mère voulait effacer refait surface. Le passé ne demande qu’à s’exprimer. Tout comme cet enfant qui s’accroche en elle et qu’Alice refuse de mettre au monde.

Réalité

Lucie Lachapelle plonge le lecteur dans la réalité de certaines communautés d’Abitibi, du Lac-Saint-Jean ou du Grand Nord. Alcoolisme, violence, suicides, drogues font les machettes de temps à autre.
Louis Hamelin effleurait la question dans «Cowboy» et Gérard Bouchard l’a fait récemment dans «Uashat» en nous entraînant sur la Côte-Nord. Un roman qui a eu peu d’écho dans les médias.
Alice découvre une réalité sordide, mais elle entrevoit aussi une façon de vivre unique. Surtout, il y a des gens d’une générosité incroyable. Elle est ébranlée.
«Dans la tête d’Alice, c’est clair : l’ennemi, le monstre à abattre, ce n’est pas Isaac ou le Blanc de Jeannette, mais tout comportement qui ressemble à l’indifférence et au mépris.» (p.136)
Ce roman décrit simplement une réalité choquante. Les peuples amérindiens ont été dépossédés de tout. Cette prise de conscience est loin d’être faite quand nous entendons certains ténors à propos de l’Approche commune. Parce que l’histoire de ces peuples, c’est aussi notre histoire. Reconnaître ces nations qui ont été volées de leur âme, de leur passé, de leurs traditions et de leur avenir, c’est se situer dans le monde.
En nous plongeant dans un univers qu’elle connaît, Lucie Lachapelle nous bouscule et force Alice à reconnaître les deux faces de sa vie. C’est peut-être le début d’une libération et la dure conquête de soi. Une histoire touchante et qui fait que l’on regarde derrière son épaule pour mieux comprendre le Québec de maintenant.

«Rivière Mékiskan» de Lucie Lachapelle est publié chez XYZ Éditeur.