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vendredi 6 novembre 2020

LES EXTRATERRESTRES EXISTENT

ZONE 51 DE CHRISTIANE LAHAIE m’a pris de court. Je ne m’attendais pas à ce genre de roman et peut-être que comme lecteur, je cherche à retrouver l’univers du dernier ouvrage d’un auteur. Avec madame Lahaie, c’était Parhélie ou les corps terrestres paru en 2016 que j’ai aimé. Dans Zone 51, elle s'attarde à la question des extraterrestres, ces êtres venus d’une autre planète ou de nouvelles galaxies, qui se manifestent ici et là. Certains doutent et d’autres jurent qu’ils les ont vus, que des contacts ont lieu et aussi des enlèvements. Les images de Rencontre du troisième type, un film de Steven Spielberg sorti en 1977 me reviennent. Pour moi, ça reste un sujet fascinant et une possibilité. Pourquoi serions-nous les seuls êtres à posséder une certaine forme d’intelligence dans un univers que nous avons si mal à concevoir? Le fait d’être unique dans le cosmos serait la plus incroyable des incongruités.

 

Ces visiteurs sont presque toujours représentés comme des monstres au cinéma, souvent des têtards ou des reptiles qui semblent sortir de nos pires cauchemars. Que dire de E.T.et d’autres personnages qui viennent envahir la Terre et menacer la survie de tous? Heureusement, les Étasuniens défendent la planète et la liberté. La série Star Trek (Patrouille du cosmos) que j’écoutais religieusement à la télévision dans ma jeunesse faisait preuve d’imagination et offrait de belles variantes d’êtres vivants qui partageaient avec les humains des obsessions, une terrible méchanceté et leur goût du pouvoir et de la domination. 

Ces voyageurs venus du fond de l’espace nous permettent d’inventer tout ce que l’on veut et de lâcher la bride à nos fantasmes. Christiane Lahaie ne se lance pas dans l’aventure de créer un monstre sympathique qu’elle décrirait pour le meilleur et le pire. C’est tout le contraire, elle se concentre sur des amis qui croient à l’existence des extraterrestres et qui décident de les rencontrer, les voir et les toucher. Plusieurs de ces «visiteurs» seraient prisonniers dans une base secrète du Nevada. Une institution contrôlée par l’armée américaine comme il se doit. Peut-être que quelques spécimens de ces créatures ont réussi à déjouer les gardiens, parce que Donald Trump n’est pas un humain tout à fait comme les autres. Il nous arrive de la planète Ego et est convaincu que tout lui appartient. 

 

HISTOIRE

 

La narratrice, fille unique d’un couple de nantis, possède tout sauf la beauté physique. Elle fait des études pour satisfaire ses parents et occuper son temps. À peu près rien ne retient son attention et l’important est d’avoir un diplôme qui lui donne le droit de circuler dans la société. Une cynique que rien n’émeut et qui cherche une raison de vivre. 

 

Je me taperais donc trois ans d’anthropologie. Ça risquait d’être utile dans toutes les sphères de mon humble existence. En outre, ça se limiterait pour moi à apprendre des notions et des anecdotes par cœur. Pas difficile. (p.17)

 

Elle s’est liée avec quelques collègues à l’université. Antoine Audet, Claude Étienne et Olivia Solès, une fille étrange qui fait tourbillonner les gars autour d’elle. Les trois croient à la présence de ces êtres arrivés d’ailleurs et ils collectionnent les articles et les rumeurs les plus folles.

 

Un soir, peu après la remise des diplômes, Antoine m’a téléphoné. Il était excité comme une fève sauteuse. Claude et lui avaient entendu que quelqu’un venait de révéler l’existence d’une base secrète dans le désert du Nevada. Selon ce témoin, on y gardait même prisonniers des extraterrestres. L’homme, un ex-employé, avait parlé d’un projet d’aéronef muni d’une technologie antigravitationnelle inventée par ces êtres venus de l’espace et qui n’avaient d’autre choix que de collaborer avec le gouvernement américain. Le type en question s’appelait Bob Lazar, un nom de ressuscité qui aurait dû m’inspirer de la méfiance. (p.29)

 

Pourquoi ce sont toujours les Étasuniens qui attirent ces touristes discrets et jamais les Québécois? Les bleuetières du Lac-Saint-Jean ont tout pour fasciner ces explorateurs et ils pourraient connaître «la révélation», comme dans l’émission Y a du monde à messe, en goûtant à ce petit fruit bleu convoité par l’univers entier.

 

AVENTURE

 

Les quatre décident de se rendre dans le secteur de la base, de percer si possible les secrets de la Zone 51. Un road trip en jeep qui fait traverser les États-Unis en suivant la mythique route 66. J’entends les échos de la voix de Jack Kerouac et de Cassady et ce n’est pas pour me déplaire. La narratrice ne s’intéresse pas aux extraterrestres, mais elle a envie de mettre du piquant dans sa vie. Ses parents lui offrent un véhicule flambant neuf et une carte de crédit avec marge élastique. En route vers ce pays de l’Ouest qui a attiré tant de gens et fait rêver l’humanité à une certaine époque.

 

J’étais enthousiaste à l’idée de tenir le volant comme Jack Kerouac, de rouler pendant des jours, de m’arrêter pour admirer le paysage ou de manger un burger dégoulinant. (p.34)

 

Je crois que Jack ne conduisait pas souvent. Il préférait picoler en regardant défiler les agglomérations ou s’endormir au son du moteur. 

Et c’est parti. Les garçons fument du «tabac illicite» et vident des canettes de bière. Juste ce qu’il faut. La narratrice a le temps de raconter sa vie intime et sexuelle (une hygiène corporelle qu’elle fait par obligation), de décrire ses parents qui ne l’aiment pas. Les compagnons de voyage tripent et Olivia se fait de plus en plus mystérieuse. 

Tout se complique à l’approche du Nevada. Une certaine tension s’installe entre les amis. Je m’arrête là parce que madame Lahaie va me reprocher de trop en dire et de vendre la mèche. Je précise cependant qu’Olivia affirme avoir été enlevée par un extraterrestre et violée. On a beau débarquer d’une autre galaxie, les mœurs semblent partout les mêmes. Les mâles d’Alpha du Centaure ou d’ailleurs, ne contrôlent pas plus leurs pulsions sexuelles que ceux du Québec. C’est désespérant pour ne pas dire autre chose.

 

SACCAGE

 

Ce périple nous permet de «découvrir» les États-Unis et de nous heurter au saccage du développement et à la laideur. L’environnement est souillé, ne laissant que des cambuses à l’abandon, des carcasses d’autos et des déchets. C’est vrai que l’histoire de l’Amérique est l’un des pires désastres écologiques de l’humanité. À lire Les Crépuscules de la Yellowstone de Louis Hamelin pour plonger dans un moment terrible de cette folie. Que dire de ce concours où un brave doit ingurgiter en un seul repas une quantité de nourriture qui pourrait satisfaire une famille pendant une semaine. On croit rêver. J’ai visionné des reportages qui suivaient ces individus, ce sont presque toujours les mâles qui participent à ces orgies alimentaires, qui s’empiffrent comme des safres. 

J’aime ce regard de la narratrice qui est bousculée en approchant de la fameuse zone qui attire les illuminés qui convergent vers le lieu sacré pour voir de leurs yeux ces êtres qui ont tant à nous apprendre, peuvent nous permettre peut-être de faire un bond dans l’avenir. Comme s’ils étaient des prophètes qui peuvent transformer notre quotidien et épurer notre pauvre civilisation. 

 

Entendons-nous. On était tous en train de fuir quelqu’un ou quelque chose. Claude se tenait loin de son enragé de père, Antoine échappait à sa morne banlieue. Moi, je cherchais à ne pas mourir dans l’insignifiance. Rien, absolument rien ne m’obligeait à accomplir quoi que ce soit dans la vie. Personne, surtout pas mon père architecte et ma mère avocate, ne daignerait m’administrer le coup de pied au cul que je méritais. Je n’avais pas à racheter les rêves brisés de mes parents. Ils les vivaient eux-mêmes. (p.125)

 

Une folle aventure qui permet de mieux comprendre des personnages qui n’arrivent pas à dompter leurs peurs, qui tentent d’échapper à la monotonie et à la répétition. L’équipée devient captivante et j’ai souvent eu l’impression d’être à l’arrière de la Jeep et de rouler sur cette fameuse route 66. Ce qui importe c’est le mouvement qui emporte et qui risque de marquer les voyageurs à jamais. Comme dans toutes histoires de croyances religieuses, certains sont secoués par le doute et d’autres iront jusqu’au bout. Nous n’apprendrons rien sur les extraterrestres, mais beaucoup sur les humains, leurs peurs, leurs angoisses et leurs phobies. Un roman étonnant et fort agréable à lire malgré que la narratrice soit peu empathique. Ça fait du bien cette histoire, cet humour et ce cynisme en cette période où la frontière colle aux fenêtres de nos résidences, où l’aventure se cache derrière un masque.

 

LAHAIE CHRISTIANEZone 51LÉVESQUE ÉDITEUR, 168 pages, 19,95 $.

 

https://levesqueediteur.com/auteur/40/lahaie-christiane

lundi 5 mars 2018

LES ÉCRIVAINS ET LE TERRITOIRE



Vanessa Courville
J’aime les études qui permettent de bousculer certaines œuvres littéraires et d’aller plus loin dans la compréhension des écrivains. Malheureusement, trop souvent, comme bien d’autres, j’imagine, je lis trop rapidement, glissant à la surface d’un texte, happé par l’histoire ou par la cadence de la phrase. J’oublie alors de m’arrêter, de me demander dans quoi j'avance, où l’action m’entraîne, d’interroger ce que l’écrivain peut dissimuler dans une chambre. Les territoires imaginaires, lieu et mythe dans la littérature québécoise, répond à plusieurs de ces questions. Le collectif dirigé par Vanessa Courville, Georges Desmeules et Christiane Lahaie m’a fait découvrir des lieux réels et imaginaires, des espaces étonnants que les écrivains scrutent d’une manière particulière.
 
Georges Desmeules
Peu importe le genre abordé, les auteurs ont besoin de s’ancrer dans un territoire et de l’explorer pour le comprendre et y construire leur habitation. Michel Tremblay, par exemple, n’a cessé de revenir à la rue Fabre du Plateau Mont-Royal. Tout comme Michel Marc Bouchard ne se lasse jamais de parcourir le Lac-Saint-Jean dans ses œuvres théâtrales. Je pense aux Feluettes qui s’attarde à Roberval, au Peintre des Madones qui nous attire à Saint-Cœur-de-Marie, son village d’origine, ou Saint-Ludger-de-Milot dans Les Muses orphelines. Et que dire du quartier Saint-Henri dans Bonheur d’occasion chez Gabrielle Roy. À peu près tous les écrivains s’attardent sur des lieux qu’ils ont fréquentés dans l’enfance et qu’ils ont quittés pour une raison ou une autre. Nicole Houde s’est souvent arrêtée à Saint-Fulgence, près du fjord du Saguenay, avec Lise Tremblay dans La pêche blanche en particulier. Pierre Gobeil n’a pas écrit Dessins et cartes du territoire pour rien. L’écriture littéraire ou théâtrale permet de revenir dans ces territoires et de les réinventer.
Les écrivains deviennent des marcheurs de pays et ils ont besoin de ces espaces pour y construire des abris et faire face à des questions qui les hantent depuis leur naissance. À la fois réel, imaginaire, transformé, sublimé, détesté, dessiné à grands traits ou à petites touches impressionnistes, le lieu devient un point de départ ou d’arrivée.
Christiane Lahaie
J’aime la patience de ces lecteurs qui vont et viennent dans l’espace d’un roman, scrutent le terrain comme les archéologues pour mettre à jour une problématique que l’écrivain tente souvent de masquer. Ces chercheurs, cette fois, nous font faire une visite à Victor-Lévy Beaulieu, Laure Conan, Nicolas Dickner, Fernand Daoust, Anne Hébert, Louis Hémon, Jérome Lafond, Anne Legault, Catherine Mavrikakis, Élisabeth Vonarburg et Fred Pellerin.

LIEUX CONNUS

Les endroits les plus connus de notre littérature sont certainement la rue Fabre et le Plateau Mont-Royal que Michel Tremblay n’a cessé d’évoquer, le Péribonka de Louis Hémon, le Trois-Pistoles de Victor-Lévy Beaulieu ou la ville de Québec de Jacques Poulin.
Sara Bédard-Goulet s’invite dans la famille de l’auteur des Belles-soeurs, s’attarde au lien incestueux qui unit Victoire et Josaphat, une transgression qui donne naissance aux personnages qui forment la grande tribu de l’écrivain montréalais.

On constatera que le lieu mythique de cette famille correspond à un espace familier, c’est-à-dire la maison voisine, et les personnages féminins présents dans cet espace renvoient à une filiation troublée par l’inceste à l’origine de la famille. (p. 98)

Cette maison vide hante l’œuvre de Tremblay, ces femmes que Marcel croise et rencontre, n’avaient guère retenu mon attention. Il faut dire que je suis un mauvais lecteur de Tremblay et que je l’ai abandonné après Un ange cornu avec des ailes de tôle. Je trouvais qu’il se répétait et tournait en rond. Sara Bédard-Goulet m’incite à revenir vers cet écrivain dont j’adore le théâtre pour le parcourir dans tous ses territoires.

POULIN

Cette Amérique amnésique que Jacques Poulin secoue quand il part à la recherche de son frère dans Volkswagen Blues en compagnie de la Grande Sauterelle hante plusieurs écrivains contemporains. Je pense à Éric Dupont dans La fiancée américaine ou encore Daniel Grenier avec L’année la plus longue. Si Jack Waterman retrouve ce frère sans mémoire, peut-être à l’image « de ce pays qui n’est toujours pas un pays » comme le dit si bien Victor-Lévy Beaulieu, la Grande Sauterelle elle, confronte son passé et l’histoire douloureuse des nations indiennes. Comment ne pas penser à Jack Kerouac hanté par son passé familial, la langue du Québec qu’il a tenté de faire revivre dans certaines oeuvres ? Il faut lire La vie est d’hommage pour bien comprendre l’imaginaire et « le paradis perdu » de l’auteur de On the road.

Pour Jack Waterman et Pitsémine, le paysage américain recèle partout les restes d’un passé tragique : celui qui a vu les peuples premiers disparaître ou presque. La Grande Sauterelle est née dans la réserve de La Romaine ; elle est métisse. Le chapitre consacré au Rocher-de-la-Famine, le Starved Rock situé dans le comté de LaSalle, Illinois, résume à lui seul la portée du drame des Autochtones. (p.63)

La piste de l’Oregon, le mythe de la frontière qui a marqué l’imaginaire des Américains, a été pendant longtemps le territoire des inventeurs de pays francophones. Serge Bouchard nous le rappelle dans Les remarquables oubliés ou encore dans Elles ont fait l’Amérique. Une histoire ignorée, des personnages qui deviennent des incontournables pour qui s’intéressent aux grands espaces américains et aux personnages qui les ont incrustés dans notre imaginaire.

ANNE HÉBERT

L’arrêt sur Les fous de Bassan par Audrey B Jones permet de s’attarder en Gaspésie et de faire des liens avec Angéline de Montbrun de Laure Conan. Nous y découvrons des zones troubles où l’inceste se pointe le nez. Dommage cependant qu’elle n’aille pas plus loin dans son évocation de William Faulkner. Je suis revenu souvent à cet écrivain qui a hanté nombre d’auteurs québécois. Je pense à Alain Gagnon qui a transformé son pays du Lac-Saint-Jean à la manière de Faulkner, rebaptisant le territoire de Saint-Félicien pour mieux échapper aux carcans de l’histoire et permettre à son imaginaire d’aller dans toutes les directions.
Impossible d’oublier Victor-Lévy Beaulieu qui m’a accompagné depuis ma première publication en 1970. Une œuvre avec ses hauts et ses bas, ses grandeurs et ses misères, ses pas de côté et ses fulgurances. Sébastien Chabot s’aventure dans le territoire des Magouas, particulièrement dans L’Héritage, le téléroman qui a marqué l’histoire de la télévision et donné naissance à un roman remarquable. Encore l’inceste, ce mal présent chez Anne Hébert, Laure Conan, Michel Tremblay, plus récemment chez Audrey Wilhelmy. Il faudrait peut-être s’y attarder un jour ou l’autre.
Le pays des Magouas, chez Beaulieu, permet de libérer tous les fantasmes. Les balises tombent et les interdits s’évanouissent. Une manière de nous pousser dans l’inconscient, de se livrer à des pulsions que la société ligote. J’aime aussi que Sébastien Chabot nous confie ses ambitions d’écrivain et sa manière d’occuper le territoire.

Or cela rejoint ma propre démarche d’écrivain, où je m’efforce de mettre en scène des personnages transformés en faire-valoir de leur environnement, démarche que semble partager le romancier suédois Torgny Lindgren dans Fausses Nouvelles lors qu’il confie : « La seule façon, c’est d’y inscrire des êtres humains. C’est ce que j’ai voulu faire tout au long de ma vie, écrire des hommes pour le paysage. » (p.175)

Beau moment aussi du côté de Fred Pellerin. Christiane Lahaie explique comment le conteur et fabulateur transforme Saint-Élie-de-Caxton par la parole et son imaginaire. Une manière de faire basculer ce village dans le mythe et la légende. Et que dire du regard de Marie Hélène Voyer sur les bunkers et les bungalows. Impossible de regarder nos quartiers résidentiels d'un même oeil après cette lecture.
Une manière de nous ouvrir les yeux, de prendre conscience de la partie invisible de l’iceberg, de mieux comprendre le travail et les obsessions d’un écrivain. C’est ce qui rend la littérature fascinante. Un texte littéraire n’est jamais saisi dans toutes ses dimensions. C’est certainement pourquoi je passe tant d’heures à lire mes contemporains et ceux et celles qui ont marqué l’histoire littéraire. Ces écrivains réussissent toujours à m’étonner, à me surprendre et à ébranler mes certitudes. Tous me permettent de mieux comprendre le Québec et certains lieux que nous ne voyons plus pour les avoir trop fréquentés peut-être. Parce que pour comprendre le Québec et les Québécois nous devons lire sa littérature et ses œuvres marquantes. Il faudrait certainement que nos politiciens s’y mettent un jour et arrêtent de se fier aux sondages qui ne sont que des aiguilles qui saisissent nos humeurs aussi changeantes que les jours et les prévisions météréologiques.


LES TERRITOIRES IMAGINAIRES, LIEU ET MYTHE DANS LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE de VANESSA COURVILLE, GEORGES DESMEULES ET CHRISTIANE LAHAIE, une publication de LÉVESQUE ÉDITEUR.

  

jeudi 9 février 2017

Christiane Lahaie cherche au-delà des apparences

AMÉLIE A COMMIS L’IRRÉPARABLE. L’adolescente s’est laissée prendre par un manipulateur qui a profité de sa naïveté et de son besoin d’attention. Elle a dévoilé ses seins devant l’écran de son ordinateur et l’image a fait le tour de son école. La jeune fille doit se refaire une santé mentale chez sa tante qui l’héberge. Un facteur à la retraite, pour payer ses dettes de jeu, accepte de livrer un colis. Sa démarche n’aboutira jamais parce que le destinataire est introuvable et que l’édifice, où il travaille, est un véritable labyrinthe. Une femme, nue sur le toit d’un édifice du centre-ville, menace de sauter dans le vide et paralyse toutes les activités du secteur. Une journée comme les autres dans un monde cruel où chacun est prisonnier de sa solitude.

Le titre du roman de Christiane Lahaie, Parhélie ou Les corps terrestres, est intrigant. Parhélie signifie « tache lumineuse due à la réflexion des rayons solaires sur un nuage de cristaux de glace ». Une sorte d’illusion en somme qui peut nous fait croire à l’existence d’une chose ou d’un être qui n’existe pas. Voilà qui en dit long sur le texte de madame Lahaie qui s’attarde aux reflets qui ne cessent d’attirer l’attention pendant que les « corps terrestres » poursuivent leur course dans la plus terrible des solitudes.
Abele Seraphini est un solitaire qui ne cesse de fuir et de se dérober. Il cherche le destinataire d’un colis qui change continuellement de lieu et d’occupation. Un véritable courant d’air qui disparaît avec le matin pour surgir dans le soir. Il est « l’ange annonciateur » qui ne trouve pas sa direction.
Amélie, après son geste impulsif, est devenue celle que l’on pointe du doigt. Elle souhaitait un peu d’attention, un regard qui lui disait qu’elle existe, qu’elle peut être belle dans le regard d’un autre. Elle a attiré tous les yeux et sa vie est devenue un enfer.
Et il y a cette femme sur le toit d’un édifice qui délire dans le soleil et qui ne sait plus qui elle est. Elle pense s’envoler peut-être, échapper à son corps après une épreuve qui lui a broyé l’esprit.
Chacun tente de trouver quelqu’un, de retenir son attention. Parce que ce n’est pas tout de vivre. Il faut des liens avec ses semblables, sentir une main ou une épaule de temps en temps.
Devenir quelqu’un dans notre époque n’est pas une mince affaire. Il y a tellement de sollicitations, de cris pour attirer l’attention, créer l’illusion. Que dire de ces émissions de radio où les gens appellent pour parler du sujet du jour et devenir quelqu’un. On a même fait appel aux auditeurs, dernièrement dans une station de Québec, pour leur demander si un homme devait uriner debout comme un vrai mâle ou s’asseoir…
Ça peut expliquer peut-être le succès des médias sociaux. Chacun imagine devenir quelqu’un. Les plus fragiles posent des gestes désespérés avec Amélie ou profèrent des grossièretés qui peuvent les suivre longtemps. Notre époque est fertile en assertions et recettes où le bonheur est assuré. Les médias martèlent la vérité et la discussion, malgré tous les sparages, n’intéresse personne. Ce qui importe, c’est ce moi qui a tout à dire. Et si tu deviens le sujet d’une véritable curée, la vie est impossible.

En un sens, Danaé a bien fait. Amélie devenait folle à force d’aller voir ce qu’on disait d’elle dans les réseaux sociaux. Elle avait arrêté de dormir et de manger. Elle se rongeait les ongles jusqu’au sang. Même le vernis amer destiné à lui faire perdre cette vilaine habitude n’avait plus d’effet sur ses papilles. Elle se serait rendue à l’os si on ne lui avait pas enlevé tous ses bidules. (p.25)

Les personnages de Lahaie n’aiment pas leur image et tentent de s’arracher à leur drame existentiel. Tous sont en quête d’une présence, d’un sourire peut-être pour exister.
Amélie ne cesse de feuilleter les revues où des femmes au corps parfait s’affichent. Alice moderne, elle se cherche dans un miroir qui lui retourne une image qu’elle ne sera jamais. Qui a les jambes idéales, la poitrine de rêve, les lèvres sensuelles ? Ces femmes parfaites sont souvent « arrangées » par la chirurgie ou encore par un logiciel qui rend toujours plus beau que beau. Ces interventions diaboliques permettent de modifier son apparence et de glisser dans un autre corps. Je songe au drame de Nelly Arcand qui était obsédée par le regard de l’autre. Sa vie ne pouvait que glisser vers la catastrophe.

REJET

Abele Seraphini a ressenti quelques sensations fortes en jouant aux cartes, n’ayant jamais personne avec qui parler et rêver le monde. Il a marché dans la ville en distribuant des lettres, enviant peut-être ceux qui recevaient des messages quand lui rentrait le soir avec rien dans les mains. Il lui restait son chat pour amorcer un dialogue impossible.
La femme brûlée par le soleil se donne en spectacle. Qui elle est ? Où est sa réalité ?

J’ai chaud. Je crois, oui, que j’ai chaud. Mais je n’en suis pas sûre. Au loin, je vois de grandes tours, serrées les unes contre les autres. Peut-être qu’elles ont chaud, elles aussi. Et ce bleu, tout ce bleu si clair. Si transparent. J’essaie de me souvenir. Mais j’ignore de quoi je dois me souvenir. Ai-je un nom ? Ai-je quelque chose qui puisse ressembler à un passé ? J’ai trop mal pour que des images me viennent en tête. Tout à l’heure, j’ai touché à ma joue droite. Retiré un bout de tissu qui pendouillait. Depuis, mon visage brûle et je voudrais que le soleil s’éteigne. (p.27)

Nous accompagnons Icare qui se consume et pense fuir la gravité terrestre et un corps trop lourd et douloureux.
Abele Seraphini court derrière une ombre qui prend tous les visages. Tous ceux qu’il croise donnent une description différente d’Angel Stone, des illuminés qui se consacrent à des tâches absurdes. Véritable dédale que cet édifice du centre-ville où il se retrouvera peut-être devant le Minotaure.

REFLETS

Le monde multiplie les reflets et transforme le corps. L’illusion et les images ne peuvent que décevoir, les médias sociaux ne savent qu’enfermer dans un terrible labyrinthe où les issues se dérobent.
Madame Lahaie suit des solitaires qui ne savent comment échapper à leur fatalité. Elle s’attarde surtout à ceux qui se sentent mal dans leur corps et qui cherchent à muter. De quoi devenir schizophrénique dans un monde où l’irréel et le virtuel s’imposent comme la vérité à atteindre.

Seraphini, qui ne veut pas en savoir davantage, en profite pour filer. Non seulement il n’a pas encore trouvé Angel Stone, mais il éprouve un malaise sans cesse croissant à l’idée de transporter un colis qui puisse s’avérer incriminant. Il a déjà assez de problèmes. Inutile d’en rajouter. Ce Stone n’avait aucun scrupule et ne mérite pas qu’on fasse preuve de tant de zèle pour lui. S’il n’y avait pas tant d’argent à la clé, Seraphini rendrait le colis au nain et trouverait une autre façon de rembourser ses dettes. (p.78)


Un regard singulier sur notre monde où les frontières ne cessent de bouger. Et tout geste de transgression pour s’avancer vers la perfection virtuelle s’avère terriblement dangereux.
Amélie est abandonnée dans son adolescence, comme Seraphini qui ne peut s’arracher à sa solitude. Et que dire de cette femme qui veut sortir de sa douleur et qui se retrouve au coeur d’un spectacle horrible.
Amélie et Seraphini vont vivre une éclaircie, un espoir. Le facteur a un terrible secret qu’il ne peut partager. Nous sommes tous un peu à son image. Ce qui est n’est pas et ce qui n’est pas est.

Nu, face au miroir, il contemple son sexe court et pendant. Puis, plus bas, bien dissimulée sous la toison grise, la fente discrète où nul ne s’est aventuré. À la naissance, tout cela aurait pu être corrigé. Mais les parents de Seraphini n’ont jamais pu s’entendre. Alors, tout est demeuré tel quel.
Dans la cuisine, Nitro miaule. Réclame son dû.
- J’arrive, j’arrive !
Seraphini enfile son peignoir de coton usé à la corde. Se permet de sourire à son reflet. À la télé défilent des images en boucle de Justine d’Aubigny, de son chirurgien plastique, d’un officier de police et d’un pompier. Elle était splendide, pourtant. (p.136)


Il s’agit bel et bien de la femme qui voulait s’envoler du haut de l’édifice. 
Un roman fascinant où les protagonistes doivent muter dans leur tête et leur corps pour toucher leur moi profond. Les humains chez Lahaie semblent condamnés à la plus terrible des solitudes. Tous sont attirés par des reflets et des mirages comme les papillons que vous connaissez. Chacun est prisonnier de ses obsessions et s’isole de plus en plus. À moins d’être ce Stone insaisissable, cette ombre qui ne cesse de muter, cet « ange de pierre ».
Qu’est-ce que j’ai tenté de fuir dans ma vie ? Qu’est-ce que j’ai refusé de voir… Christiane Lahaie nous laisse avec ce genre de questions qui trouvent difficilement une réponse. J’en suis à me demander si les livres que j’ai publiés ne sont pas tout simplement des pièces à conviction. Un roman puissant.

PARHÉLIE OU LES CORPS TERRESTRES de CHRISTIANE LAHAIE est publié chez LÉVESQUE ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : Le regard du hibou d’ANDRÉ MAJOR, est paru chez BORÉAL ÉDITEUR.