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samedi 30 décembre 2017

DANIEL LEBLANC-POIRIER FRAPPE FORT


DANIEL LEBLANC-POIRIER étonne avec Nouveau système, un roman qui m’a laissé perplexe, m'a fait perdre mes repères dans une aventure d’écriture qui se risque en terrain peu connu. Le titre laisse songeur et l’explication que l’écrivain offre dans ce qui peut être une préface intrigue. Il parle de l’intrication, une théorie de la physique. « Dans un système intriqué, écrit-il, tout se passe comme si une action X effectuée sur un corps avait un effet absolument instantané sur l’autre, même s’ils sont séparés par de grandes distances. » Peut-être en est-il ainsi des humains ? « Ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez », disait Jésus le Nazaréen. Et je pense à ce papillon aux ailes si puissantes... « Le battement d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? » a répété Edward Norton Lorenz. Et qu’arrive-t-il aux autres planètes avec tout ce que nous faisons subir à la Terre ?

Kikou est foudroyée par un cancer. De quoi secouer n’importe qui. Ceux, dans la vraie vie, qui ont vécu une telle situation en sortent brisés, comme s’ils avaient échappé à la noyade, comme si le combat perdu de son amoureux ou de son amoureuse était le sien et que la vie vous laissait au bord du précipice. Personne n’arrive à se défiler devant ces moments intenses où l’on voit quelqu’un qui a partagé votre existence mourir.
Le narrateur est ravagé par la maladie de son amie. Il vit une thérapie, allume des incendies pour se calmer, n’arrive plus à s’éloigner de cette chambre d’hôpital où l’univers s’est recroquevillé.
Les trois étaient des inséparables. Kikou se prostituait et Néné faisait de l’argent avec des téléphones érotiques. Lui se contentait de signer son chèque du bien-être social. Un trio qui s’aventurait dans tous les excès, se permettait toutes les drogues. L’impression souvent que les personnages plongeaient dans un trou noir qui broie l’être. Un roman où je me suis avancé sur la pointe des pieds, comme si je craignais de mettre la main sur une seringue souillée.
Ce que l’un vit, l’autre le ressent dans tout son être. La jeune femme est à l’hôpital et les deux autres restent là avec leur impuissance et leurs larmes. Que faire devant un être que nous aimons et qui navigue dans ses derniers jours ? Ces heures vous déchirent le cœur et l’âme, vous coupent le souffle. Je pense à Claude Le Bouthillier quelques jours avant sa mort. Il était si lucide, si beau de courage et de sérénité. Il parlait de ses textes comme si c’était l’essentiel, la substantique moelle de sa vie. Il mettait toutes ses énergies à terminer son livre. La mort lui soufflait dans le cou et il l’éloignait comme un moustique un peu trop insistant. Il avait dit avec un sourire : « Je ne m’acharnerai pas. J’ai eu une belle vie. »

MOMENTS

Kikou gît sur son lit d’hôpital avec ses verres fumés en forme de cœur et c’est comme si elle était sur une grande lagune de sable pour s’étirer dans la chaleur du jour.

Dans la chambre d’hôpital, il faisait noir. Il était primordial de tenir les stores fermés. C’est elle qui voulait ça. Je m’en rappelle clairement. On passait la journée coupés de l’extérieur. Elle fumait en dedans. On entendait le crépitement de sa cigarette qui se mélangeait au va-et-vient des infirmières. J’ai déposé mes lèvres sur son front. En sentant l’odeur de sa peau, de grosses larmes ont coulé. Elles se sont échouées dans ses yeux et ça l’a fait rire. Elle a dit « don’t cry », mais devant la beauté du moment, du fait que je versais des larmes directement dans ses yeux, on a ri, comme on n’avait jamais ri auparavant. (p.63)

Le narrateur nous raconte leur histoire par des bonds en arrière. La première rencontre, l’éblouissement au magasin devant la caisse, l’osmose amoureuse, les drogues, les plongées dans une réalité qu’il est difficile de décrire. L’impression que les trois fuyaient leur corps pour planer dans le cosmos. Je ne sais pourquoi, mais j’ai pensé à une sorte de poussée dans la galaxie où les lois de la pesanteur et de la gravité perdent leurs effets. Difficile d’exprimer ce que j’ai ressenti devant ces textes d’une beauté attachante.

Je suis simplement resté là, debout, à ne pas bouger, comme un pieu. J’avais l’air d’une statue, moi aussi. Du moins, je jouais à ça. Je suis resté figé presque une heure. Des piétons distraits venaient se cogner contre moi et je ne réagissais pas. Je n’avais pas l’impression d’être sur le speed. C’était le reste du monde qui bougeait moins vite. J’avais dopé le temps. Il s’était contracté. (p.33)

Tout ce qui tenait le triangle se défait. Chacun doit se refaire une solitude, s’ajuster dans son corps et sa nouvelle dimension.

COMPLICITÉ

Ils s’aimaient, se faisaient mal, se détruisaient et se retrouvaient pour respirer, collés l’un à l’autre, devant la télévision.
Souvent, j’ai eu l’impression de m’aventurer dans les espaces des premiers romans de Réjean Ducharme. Un Mille Milles trash, drogué, fou de tous les excès avec la coke et l’ecstasy ; de surprendre des anges qui pataugent dans la boue et la saleté, mais que rien ne peut toucher. Kikou est de la race des personnages de Boris Vian dans L’écume des jours. Chloé meurt d’un cancer, mais une fleur prend racine dans sa poitrine.

Le prochain show, c’était la mort. La muerte. Mais quand elle s’est éteinte pour de bon, un samedi matin, on a réalisé que le show était fini. Le soleil se levait entre les buildings comme un ouvrier qui rentrait au boulot. La lumière de l’aube prenait une teinte orange et, dans son omnipotence, j’ai étiré mes bras et j’ai dit « c’est le crépuscule du Titanic ». La mort de Kikou, c’était le vrai crépuscule, la dernière étape d’un naufrage. Les larmes qui roulaient sur mes joues s’imbibaient de la lumière du matin. Elles devenaient des petites gouttes d’orangeade qui venaient s’échouer sur mes jeans. (p.58)

La mort n’est pas décrite dans l’implosion du corps comme Karoline Georges le fait d’une façon si bouleversante dans son roman De synthèse. Nous sommes dans une dimension poétique, devant un corps qui flotte dans la douleur avant de s’évaporer. Pas de résistance frénétique, mais la douleur, la terrible douleur de la perte, de laisser une partie de soi dans le jour qui continue de prendre ses aises comme si de rien n’était.

ÉCRITURE

J’ai aimé cette façon de secouer la réalité et de la dire autrement. Comme s’il y avait des fissures au coin des rues par où il est possible de se faufiler dans une autre dimension. Une manière d’écrire pas tellement familière pour dire des choses essentielles, des états d’être et d’âme. Une poésie rugueuse qui tombe juste, qui ne force jamais et qui résonne profondément en vous. Comme cet accord de piano qui se prolonge longtemps longtemps et qui vous touche en pleine poitrine pour s’installer à l’intérieur de vous. Des paumés, des drogués, mais des personnages qui vivent au-delà de tous les tabous et qui s’imposent dans leur mal d’être.
Peut-être que nous aimons croire qu’il est possible d’échapper aux recommencements, d’être le vivant qui fait tout à sa manière et qui peut tenir tête à Dieu et au Diable ; peut-être aussi que nous ne pouvons nous passer des autres et de leur présence. Un court roman poignant. Une voix, une musique rugueuse qui vibre longtemps en vous.


NOUVEAU SYSTÈME de DANIEL LEBLANC POIRIER, une publication des ÉDITIONS HAMAC.

 
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/nouveau-systeme-831.html