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vendredi 18 septembre 2020

MAJOR DONNE LE GOÛT DE VIVRE

JE RÉPÉTAIS SOUVENT à mes stagiaires, quand je dirigeais un atelier d’écriture, qu’un écrivain est un lecteur avant tout, un explorateur des textes de ses contemporains et des grands noms de la littérature. Il devait repousser ses limites physiques et sociales, se doter d’un regard. Ce n’est certainement pas André Major qui va me contredire, lui qui ne cesse de voir par les yeux de certains écrivains. Quel bonheur de le retrouver dans Les pieds sur terre, un nouveau carnet qui couvre les années 2004 à 2007. Il s’agit de la quatrième étape de ce périple amorcé en 2007 avec la parution de L’esprit vagabond.


André Major lit et écrit. Bien sûr, il se laisse distraire par de longues promenades dans la forêt, les travaux dans son royaume des Laurentides, des moments avec ses petits-fils en visite et les corvées qui malmènent facilement une journée. Malgré toutes ces tâches, il reste en état d’écriture. Même en flânant aux abords d’un lac, en marchant lentement sous le couvert des arbres. Qu’il soit à sa petite table devant la fenêtre ou encore dans la montagne, il ressasse des mots, secoue des images qui tournent avec les moustiques quand c’est leur saison. Une idée qu’il travaille comme un morceau de bois un peu tordu qu’il doit redresser avant de lui trouver une place dans ses projets de rénovation.


Le livre que je préfère de plus en plus, c’est celui où je peux circuler à mon gré — et non pas de la première à la dernière phrase, comme on le fait en entrant dans un récit — et que je peux découvrir comme on découvre une forêt, en quittant le sentier pour suivre le cours d’un ruisseau ou en rêvant, assis contre le tronc d’un arbre. (p.18)

 

Major aime les carnets, les journaux d’écrivains et certains échanges épistolaires. Kafka, Paul Morand, Robert Walser et Peter Handke sont ses familiers. Leurs réflexions ne sont jamais loin quand il se laisse prendre par la beauté de son lac ou encore par un animal qui se faufile sans faire de bruit dans un massif de fougères. Ces moments où il s’abandonne à l’environnement que l’on oublie de voir souvent, toujours la tête ailleurs.

 

«Sans lectures, dit Canetti, plus rien ne vient à l’esprit. Rien ne se rattache plus à rien.» Moi, quand je suis privé trop longtemps de lecture ou d’écriture, c’est un sentiment d’inconsistance que j’éprouve — une sorte d’égarement que je surmonte en faisant n’importe quel travail manuel ou en cuisinant. Quand les mots nous manquent, c’est comme si on mangeait sa soupe sans sel. (p.91)

 

Sans la lecture et l’écriture, j’ai moi aussi l’impression de ne plus savoir comment respirer. Je peux m’étourdir avec Major dans des projets de rénovation. Ça m’arrive souvent au printemps, après un long hiver consacré aux phrases. Je m’aère l’esprit dans ces travaux qui exigent toute mon attention.

 

COMPLICITÉ

 

Je me sens proche d’André Major quand il soupèse les réflexions de ses amis les écrivains. Comme s’il était là et que je l’entendais respirer. Comme si je le suivais dans une érablière, heureux du silence et des oiseaux, partageant le bonheur d’être un corps en mouvement, qui se laisse envoûter par la douceur d’un jour de soleil ou de pluie, prenant plaisir à l’envol de la perdrix ou les affolements d’un geai qui s’alarme de tout, s’attardant devant un champignon surgi de la nuit ou une fleur dont le nom vous échappe. Ou encore un colibri qui dérive avec le vent, vous étonne avec ses départs brusques et imprévisibles. C’est peut-être pour ça que les premiers Français venus en terre du Canada croyaient que cet oiseau était l’incarnation du diable. 

Si Major a sa montagne, j’ai le parc de la Pointe Taillon, un vaste espace qui me surprend toujours avec ses jeux de lumière, les massifs d’épinettes qui montent la garde en bordure de l’eau. 

Plus souvent que l’auteur de L’esprit vagabond, je me laisse happer par les parutions québécoises et la fiction. Je reste un explorateur même si je devrais revenir sur mes pas, relire des écrivains découverts il y a si longtemps. Me parlent-ils encore, sauraient-ils m’émouvoir? C’est le prétexte de ma chronique dans Lettres québécoises. Elle me force à retrouver des textes que j’ai parcourus dans une belle frénésie. Ma mère alors n’aimait guère me voir «le nez» dans les gros livres de Gabriel Roy ou de Ringuet. J’étais beaucoup trop silencieux pour elle qui n’avait pas assez de sa journée pour essorer tous les mots. 

Je pourrais m’attarder dans cette chronique au premier roman d’André Major que j’ai lu dans les années 1970. C’est Gilbert Langevin qui m’a fait connaître Le vent du diable. Il a été son premier éditeur chez Atys. Tout comme Gilbert devait jouer un rôle important dans ma venue en littérature. 

 

AVENTURE

 

Lire André Major me fait songer à ces bonheurs que j’ai vécus dans les montagnes de La Doré, dans des chemins à peine tracés. Je retrouvais les cyprès de mon enfance, des ruisseaux et des éclaircies chargées de bleuets. Ou encore mon plaisir de pédaler dans le parc de la Pointe Taillon, de m’arrêter près d’une famille de perdrix qui vaquent à leurs affaires, ayant réussi à apprivoiser les humains. Et après, derrière une colline, les parterres de grandes fougères-aigles qui donnent une idée de l’infini. Plus loin encore, il y a un banc discret, devant le lac, à l’embouchure de la Péribonka. Sous une talle d’épinettes, je parcours quelques pages d’un livre. J’en ai toujours un dans les sacoches de mon vélo. La dernière fois, c’était Une brève histoire du temps de Stephen Hawking. Ça décolle les œillères que de pédaler dans le cosmos. Ou encore, je me contente de surveiller les hirondelles des sables qui passent leur été à multiplier les vrilles et les plongées. Et souvent un moment magique. Tout récemment, des grues du Canada qui arpentaient la tourbière, patientes et appliquées.

 

En relisant le journal ou les carnets d’un écrivain de qui je me sens proche, j’ai le sentiment d’entretenir avec lui des liens d’une amitié profonde. (p.174)

 

Major emprunte les mêmes sentiers que moi, écrit ce que je pourrais noter, mais dans un registre différent. Parce que, comme lui, j’ai la manie du carnet. Voilà un compagnon de marche, un ami qui pourrait partager mon temps, m’accompagner quand je tente de déchiffrer toute l’histoire du pays dans l’écorce d’un pin.

 

J’ai toujours su que tout récit a besoin d’un paysage pour évoluer et qu’il doit s’y ancrer pour s’épanouir, même s’il est ingrat, comme c’est le cas chez Juan Rulfo. L’écrivain peut aussi avoir vécu dans un lieu sans rien en avoir tiré, qu’il y ait été heureux ou malheureux. Je pense à l’année que j’ai passée à Toulouse, dont aucune trace n’apparaît dans ce que j’ai écrit par la suite. (p.175)

 

Quel bonheur que de suive André Major, que de s’attarder à ses phrases qu’il extirpe de ses carnets pour les épurer et les épousseter. Parce que «l’écriture vagabonde» fait accumuler les détails, de petites choses futiles qu’il faut élaguer comme un arbre avant de l’offrir à un lecteur. Je n’ai pas le courage de faire ce ménage dans mon journal, préférant avancer en laissant tout derrière. 

 

PARTAGE

 

Je ne me lasse jamais de ses réflexions, des écrivains qui partagent leur monde, des amis que je ne connais pas et que je devrais apprivoiser. C’est peut-être le plus grand bonheur qu’un écrivain peut vivre, se trouver des âmes complices. 

Il m’a ému avec Les pieds sur terre, me disant de prendre le temps de respirer, de m’ouvrir les yeux, de retourner les mots. 

 

Loin de nous délivrer du moi, la lecture nous renvoie à ce moi en l’élargissant, en l’ouvrant à quelque chose qui lui manquait. (p.223)

 

Je ne suis pas rassasié même si André Major se demande s’il y aura un autre carnet. Il doit continuer. J’ai besoin de ces moments de bonheur que je déguste comme un café chaud. Un écrivain n’a pas le droit d’abandonner son lecteur. 

Voilà une écriture qui fait du bien à l’âme et au corps, des pages qui donnent une conscience d’être un vivant dans l’étonnement du monde. André Major est un chercheur en quête de sens. C’est pourquoi il est indispensable. Si je ne suis pas un «noteux» comme lui, je suis un «souligneux». Je lis avec un marqueur jaune et laisse des traces partout. Peut-être que je me fais un livre avec ses phrases. C’est toujours ce que l’on cherche quand on s’abandonne au bonheur de la lecture.

 

MAJOR ANDRÉ, Les pieds sur terre, Éditions du BORÉAL, 264 pages, 28,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/les-pieds-sur-terre-2740.html

jeudi 16 février 2017

André Major se laisse emporter par le quotidien

DANS L’ŒIL DU HIBOU, André Major nous ramène aux débuts des années 2000. Pour les fidèles, il faut se rappeler Le sourire d’Anton ou l’adieu au roman qui s’attardait aux années 1975 à 1992. L’Esprit vagabond couvre 1993 et 1994 et enfin Prendre le large nous pousse dans les années 1995 à 2000. Qui dit carnet, dit fragments, réflexions qui dévoilent la vie de l’auteur. Une belle façon d’accompagner un écrivain, son écriture et ce qu’il ne cesse de chercher dans ses lectures. André Major est un formidable lecteur et dans ce carnet, il revient aux écrivains qui l’ont marqué. Le risque est grand, parce que l’œil du jeune enthousiaste et celui de l’homme qui a tourné le dos à la fiction ne peut être le même.
  
À quoi s’occupe un écrivain quand il renonce à la fiction et au roman ? Peut-il se murer dans le silence, ou tout simplement prendre une autre direction. L’écriture peut s’épanouir sur bien des terrains et nombreux sont ceux qui multiplient les expériences. « Il est facile de devenir écrivain, difficile de le demeurer et presque impossible de cesser de l’être », écrit-il dans son carnet.
Le quotidien l’occupe. Surtout que c’est un bricoleur impénitent et les menus travaux au chalet ou à la maison de la ville occupent ses mains et sa pensée. Je suis pareil. J’adore me lancer dans des constructions ou des projets autour de la maison. À vrai dire, je ne vois pas de différence entre échafauder une remise ou aménager une galerie, m’occuper d’un potager ou m’entêter devant un texte qui résiste. En écriture ou en menuiserie, il faut prendre son temps, penser à ce que l’on fait et ne jamais hésiter à ajuster, sabler pour arriver à ce que l’on souhaite. Et quelle satisfaction après !
J’aime particulièrement quand il décrit ses longues promenades dans la montagne de La Minerve et le plaisir qu’il ressent à marcher dans la forêt, à suivre un ruisseau, à s’attarder sur un pic qui le fige dans la beauté du monde. Jean Désy explique alors qu’il « sent son âme s’envoler ». Ou encore quand Major entreprend un dialogue avec un oiseau et s’émerveille de son chant.
Il m’arrive d’abandonner mon écriture pour m’intéresser aux mésanges qui fréquentent les mangeoires. Elles me confient bien des choses, surtout par les jours de grand froid.

Toujours est-il que, confiant ou pas, le hibou que je suis – ou prétends être – garde l’œil ouvert, comme si le spectacle quotidien du monde pouvait encore lui apporter matière à réflexion, comme si son détachement ne parvenait pas à l’en détourner. Les choses de la vie, qu’on qualifie parfois de petits riens pour en minimiser l’importance, prennent une plus grande place qu’auparavant. Les grands de ce monde, je ne les regarde pour ainsi dire qu’en passant. (p.10)

Ces instants que nos grandes préoccupations font oublier. Surtout quand un travail vous aspire et que vous devez vous débattre avec des heures de tombée. J’ai passé des années à courir comme journaliste et je dois dire que quitter ce travail, non pas prendre ma retraite comme on le répète trop souvent, ne m’a demandé aucuns efforts. Je me consacre à la lecture et à l’écriture maintenant, à perdre mon temps devant les arbres, les nuages sur le lac devant la maison ou encore à surveiller les jeux du soleil sur la neige.

REGARD

C’est peut-être le plus important. Avoir le temps de s’attarder à tout ce qui vit et bouge autour de soi, ne plus avoir à chercher son souffle dans la fin du jour. Il y a aussi ces moments de recueillement sur un livre que j’ai lu alors que j’étais aux études, que je m’accrochais à des écrivains comme à des bouées de sauvetage. J’étais convaincu que la lecture allait changer ma vie et je le crois encore.
Je ne suis pas encore rendu aux relectures, même si j’aimerais renouer avec Tolstoï et Dostoïevski. Hamsun bien sûr et Jean Giono qui a été si important pour moi. Je ne manquerais pas non plus de faire un détour par Faulkner et Steinbeck. C’est tentant, mais la tenue d’un blogue me force à lire mes contemporains. Et ce n’est jamais une corvée ou un devoir.

Si j’ai perdu le goût de la nouveauté depuis que je ne lis plus pour des raisons professionnelles, c’est au profit d’une bibliothèque idéale où sont rassemblés les interlocuteurs dont la voix familière ne cesse de me dire quelque chose. C’est une forteresse où je ne crains plus grand-chose, où je pourrais demeurer enfermer un temps fou si je n’avais pas autant besoin de me dégourdir les jambes et de respirer le grand air. (p.29)

Je me demande si c’est sage aussi d’ignorer ses collègues. Un écrivain, même s’il a tourné le dos à la fiction, doit rester en contact avec ses contemporains et surtout surveiller ceux qui sont en train de le pousser vers la solitude et le silence. Que dirait-on d’un homme qui aurait vécu pendant des années sur une île - comme Robinson Crusoé - en lisant uniquement L’intranquillité de Fernando Pessoa. Que dirait-on de sa culture, de ses goûts littéraires ? J’ai du mal à suivre André Major de ce côté des choses.

QUESTIONS

Et je bougonne devant certains de ses propos. Je le connais, je m’y attends. Il serait le premier étonné si j’adhérais à tout ce qu’il dit. Je grince des dents quand il s’en prend aux féministes. Il ne rate pas une occasion, éprouve un malin plaisir à s’attarder aux exagérations ou aux déclarations malheureuses. Oui, même les féministes peuvent déraper et les hommes ne sont pas prêts à leur laisser la place dans ce domaine.
La langue parlée et écrite au Québec le fait réagir souvent et je le sens de plus en plus loin de notre société.

Il y a peu de romanciers que je suis encore capable de lire avec joie. Ce sont ceux qui ne racontent pas seulement une histoire, mais qui ont une voix dont les échos retentissent en profondeur. Pour éprouver cette joie, il m’a fallu, ces derniers mois, relire des pages de Flaubert et de Thomas Bernhard – ces désenchanteurs qui me redonnent le goût de me remettre au travail. (p.148)

Bien sûr, je prends souvent des chemins de traverse pour suivre un écrivain finlandais ou norvégien quand ce n’est pas un voisin des États-Unis. Ou bien un Canadien anglais qui m’étonne toujours. Boréal, Alto et La Pleine lune offrent d’excellentes traductions. 
Je reste fidèle à mes contemporains parce qu’ils me disent qui je suis. Si je me retranchais dans les lectures de ma jeunesse, j’aurais l’impression de refuser d’être ici, maintenant.

BONHEUR

C’est un réel plaisir que de suivre Major dans ses promenades en montagne ou encore de rêver avec lui devant son lac dans le calme du soir. Nous pourrions le faire ensemble, en silence, n’ayant pas besoin des mots. Vivre alors est un simple regard.
Je m’égare souvent aussi dans un carnet de Robert Lalonde qui plonge dans les fardoches, fonce à grandes enjambées ou s’arrête devant les ravages d’un chevreuil. Je ne suis pas certain que Major aime Robert Lalonde, son écriture généreuse et rebondissante. Il préfère la phrase qui coule comme l’eau d’un ruisseau sur la mousse sans faire de bruit. Une écriture invisible, parfaitement lisse. J’aime, mais j’adore aussi les écrivains qui font des bulles et vous en mettent plein la vue. Je ne lui conseille pas de lire Hervé Bouchard. Il s’étoufferait à la première phrase.
« Du bel ouvrage », comme disait mon père. Je l’ai lu en prenant mon temps. Il le faut pour voir et à respirer autrement. J’espère qu’il y aura d’autres carnets, je les attends. L’impression de trouver un frère. Nous partageons un même amour pour les mots et la littérature, ce qui devient de plus en plus rare dans notre société d’agités.

L’ŒIL DU HIBOU d’ANDRÉ MAJOR est publié chez BORÉAL ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : LA VIE EST DOMMAGE de JACK KEROUAC est paru chez BORÉAL ÉDITEUR.


http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/oil-hibou-2541.html

dimanche 7 juillet 2013

André Major me fascine depuis toujours


André Major a publié son dernier roman en 1995. Depuis, il y a eu Le sourire d’Aton ou l’adieu au roman en 2001, où il fait ses adieux à la fiction et son plus récent carnet: «Prendre le large». Son retour au genre romanesque, avec À quoi ça rime?, est un événement dans notre monde des lettres. Simplement parce que Major occupe une place particulière dans notre littérature par son œuvre, ses carnets et aussi son travail à Radio-Canada où il a contribué à faire connaître plusieurs écrivains.

J’étais curieux de voir la direction qu’il prendrait après ce long retrait de la fiction. J’ai aimé les carnets, son essai L’Esprit vagabond qui ont marqué cette période où l’écrivain s’attardait à la vie et à la nécessité de l’écriture. Est-ce que le romancier qui savait si bien m’entraîner dans l’errance de ses personnages, la quête d’un monde meilleur, serait au rendez-vous?
Quel bonheur de retrouver les protagonistes de «L’hiver au cœur». Antoine est à Lisbonne après le décès d’Huguette, sa compagne. Elle a partagé sa vie jusqu’à sa mort. Une complice qui l’a secoué dans sa tête et son corps. Il est au Portugal pour respecter le vœu d’un oncle un peu fantasque qui souhaitait voir ses cendres dispersées dans le Tage. Un homme qui protégeait ses secrets et savait partir à l’occasion. Ce qui ne l’a pas empêché d’être le protecteur de la famille du jeune Antoine.

Présence de Pessoa

Et le voici dans Lisbonne, posant ses pas dans les pas de Pessoa qu’il relit lentement, au rythme de ses déambulations, de ses arrêts dans un café pour discuter avec Lydia, une jeune serveuse passionnée de littérature. Il y a aussi le «Ulysse» de James Joyce qu’il garde à l’œil.
«Ce à quoi je me prenais à rêver, au cœur de Lisbonne, ce n’était pas de faire des voyages organisés comme mon oncle en avait fait, c’était de me construire une cabane au milieu des pins et des bouleaux, mon loin du torrent, qui serait mon ermitage en quelque sorte, où je comptais non pas méditer sur mon salut éternel, encore moins écrire mes mémoires puisque je jouerais désormais le rôle de l’écrivain défroqué, mais ne rien faire, sinon marcher et lire, relire plutôt les livres qui m’avaient fait mieux voir ce qu’il y a à voir dans ce monde peuplé d’étranges créatures qui font semblant, la plupart du temps, de savoir de quoi est fait leur destin si passager et qui meurent finalement, sans avoir accepté de n’être bientôt plus que des ombres dans la mémoire de leurs survivants ou, pis encore, des cendres refroidissant dans une urne si encombrante qu’on s’empresserait de l’enterrer.» (p.38)
Un endroit où disparaître presque, pas trop loin d’un voisin qui lutte contre le cancer et repousse tous les médicaments. Une vie de lectures et de promenades. Ce rêve hante ses carnets. Jamais Major ne semble plus heureux que quand il se retrouve à la campagne, happé par les tâches les plus simples.

Force de vie

Antoine se rapproche d’Irena même si le souvenir d’Huguette est encore sensible.

«Le lendemain matin, contemplant le visage d’Irena endormie, il m’a semblé que l’ombre de la mort avait reculé et que rien n’était plus gai que les flocons de neige voletant comme du pollen entre les lattes du store.» (p.150)
La vie est là, plus forte que jamais.
Le roman de Major n’est pas très loin de ses carnets. On y retrouve les mêmes préoccupations, des lectures, des réflexions sur la vie et la littérature, les ruptures et les morts qui vous suivent en prenant de l’âge. Une écriture d’une limpidité désarmante pour traduire la vie dans ce qu’elle a de vrai et de beau.
On voudrait accompagner Antoine dans ses promenades en forêt, le regarder se bercer dans ses souvenirs près du poêle à bois ou encore partager ses réflexions sur les livres qu’il relit en buvant un thé. Un bonheur que ce roman. Il est vrai que j’aime Major depuis Le vent du diable paru en 1968. Cet écrivain a été un véritable compagnon depuis toujours. Il faudrait que je trouve le temps de relire son œuvre, en flânant sur ses phrases comme il sait si bien le faire. Quel plaisir de le retrouver! J’espère qu’il va encore se laisser tenter par la fiction.

«À quoi ça rime?» d’André Major est paru aux Éditions du Boréal.