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samedi 22 mai 2010

Un regard fort pertinent sur notre société

«Imaginaire sans frontières» de Madeleine Ouellette-Michalska plonge le lecteur dans les méandres de l’écriture, les lieux qui portent les mots et leur donnent une saveur particulière.
«On écrit pour se nommer, se connaître, se construire. On lit pour s’inventer des visages, des fusions, des extases. Enfants, nous le savions déjà et, sans pouvoir le dire, ce savoir nous enchantait. Le besoin de laisser sa trace par une signature anonyme et rudimentaire se faisait néanmoins sentir.» (p.15)
Madeleine Ouellette-Michalska aborde des questions que l’intellectuel ne cesse de ressasser. D’où vient l’écriture et où mène-t-elle? Ces interrogations ont hanté les écrivains depuis toujours. C’est la pensée qui oriente la belle collection «Écrire» des Éditions Trois-Pistoles où des écrivains expriment leurs intentions et décrivent les sentiers qu’ils empruntent.
Une culture, une époque, une géographie forgent la parole et la pensée, engendrent les œuvres littéraires. Elles témoignent d’une manière de faire face au réel pour y survivre et s’épanouir.
«Une large part de notre littérature s’est constituée dans la fracture historique liée à un environnement ingrat, hostile, étranger, qui conduirait à une quête identitaire opiniâtre et inassouvie. L’expression d’un monde précaire et menacé d’extinction favorise l’expression du manque, de la coupure, de la révolte, attitudes génératrices d’un sentiment d’impuissance et d’insatisfaction.» (p.74)

Les sources

L’écrivaine s’attarde à la situation du Québec dans une Amérique du Nord anglophone. Avec le temps, les premiers Européens sont devenus des Américains de langue française. Une entité s’est formée sans parvenir à se donner un pays avec tout ce que cela exige. La littérature québécoise le dit par ses thèmes et ses personnages.
«Dans notre littérature, l’enfant, le fou, le malade sont des personnages récurrents. Ces trois prototypes peuvent d’ailleurs échanger leurs traits ou se fondre en un seul. Animés de la plus extrême folie ou bénéficiant  de la plus grande lucidité, ils partagent ou refusent la vision collective du groupe dont ils exposent les rêves et les ruses, les paradoxes, l’impuissance ou les contradictions.» (p.70)
Une manière d’éviter la question identitaire que l’adulte doit confronter un jour ou l’autre. Madeleine Ouellette-Michalska touche cet aspect avec beaucoup de justesse. La question demeure malgré «la fatigue» qui frappe beaucoup de Québécois dans ce monde des communications. Les humoristes perpétuent ce mythe de l’enfant qui peut refaire le monde en proférant les plus folles élucubrations.

Modernité

Le livre numérique questionne autant les écrivains que les lecteurs. Madame Ouellette-Michalska va au-delà de la fascination pour l’outil électronique.
«Le texte numérique, produit d’un temps accéléré, peut au contraire occasionner une désaffection mentale ou psychique, la discontinuité des contenus et de la présentation pouvant entraîner une certaine désensibilisation sensorielle ou même, selon le point de vue d’Umberto Eco dans «La guerre du faux» une «passivité narcotique». (p.59)
Si on se contente souvent de croire que ce nouveau support va diffuser la littérature d’une autre manière, l’auteure de «Imaginaire sans frontières» croit que c’est la façon de dire le monde qui sera touchée. Le changement est palpable dans des romans en forme de fragments ou d’intrigues qui se développent dans une suite de courriels épars. La manière de dire la réalité a muté avec l’ordinateur et risque de changer encore.

Les lieux

Dans la seconde partie de son ouvrage, l’écrivaine s’attarde dans des lieux qui lui ont inspiré un roman ou un essai. Grosse-Ile, l’île de la quarantaine, lui a fait sentir des hommes et des femmes d’une autre époque. L’écriture permet ce voyage dans le temps, de plonger dans des pages d’histoire qui hantent certains lieux.
Et comment ne pas effleurer les grandes questions qui secouent notre société? Madame Ouellette-Michalska réfléchit aux accommodements raisonnables ou déraisonnables selon les cas. Ses voyages en pays musulmans lui permettent une approche différente et prudente.
Un livre qui questionne la culture, la société, des comportements qui nous habitent depuis des générations. Madeleine Ouellette-Michalska affirme haut et fort que l’écrivain témoigne de sa société et tente, par ses ouvrages, de répondre à ces questions: qui sommes-nous, où allons-nous et que deviendrons-nous? La réponse peut être individuelle, mais elle se doit d’être collective aussi.

«Imaginaire sans frontières» de Madeleine Ouellette-Michalska est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/554.html

jeudi 4 janvier 2007

L'enfance fascine Madeleine Ouellette-Michalska

Madeleine Ouellette-Michalska, avec Marie-Claire Blais, m’a fait voir la littérature du Québec d’un autre œil. «La maison Tresler ou le 8e jour d’Amérique», paru en 1984, et «L’été de l’île de Grâce» évoquent de beaux moments de lecture. Il y a eu après «L’échappée des discours de l’œil» et «L’amour de la carte postale», en 1987. Il est rare qu’un écrivain s’aventure avec autant de bonheur que Madeleine Ouellette-Michalska dans la poésie, le roman et l’essai.
«L’apprentissage», son dernier roman, renoue avec une écriture qui berce comme une sonate de Debussy. L’écrivaine travaille à la manière d’un verrier qui prend la peine de scruter chaque morceau pour en étudier les reflets et les transparences.
«Une fillette fixe la route où les touristes commencent à défiler. De grosses voitures tirent des roulottes dont la puissance d’attraction distille l’attrait de la richesse et de la liberté. Dans son regard, les véhicules étrangers tracent la voie d’un monde différent. Un monde en mouvement dont la fascination la plonge dans une sorte d’exaltation fiévreuse qui ressemble à du bonheur.» (p.13)
Ce personnage neutre devient le regard de toutes les femmes d’une certaine époque. Le lecteur n’a qu’à se laisser prendre par la main.

La vie est ailleurs

C’est l’été, des parents débarquent des États-Unis. Ils exhibent de beaux habits, des robes fleuries et élégantes. C’est la fête pour l’enfant qui prend conscience que l’ici peut être ailleurs. Le quotidien un peu terne s’efface. Peut-il y avoir de l’espoir et une vie différente? Elle écoute, n’ose formuler ses rêves avec les interdits de son milieu, les enfermements de l’hiver qui font oublier les espérances de juillet.
La jeune fille voit le temps filer. Les cousins ne sont plus les mêmes et certains effleurements ne savent mentir. Le monde s’ouvre avec ses rires, ses pièges, ses peurs et ses hésitations. L’avenir semble aller droit comme une clôture qui divise un champ qui mène au fleuve.
«L’adolescente rabat le papier de soie sur la robe de baptême à peine jaunie qui retourne dans la boîte moirée. Elle retape ensuite rapidement la layette de coton ouaté avant de replacer les brassières, les chaussons et les barboteuses d’où s’échappe un parfum âcre. Puis elle ferme d’un coup de genou le tiroir coincé par l’humidité. Elle veut l’amour, mais pas d’enfants, du moins pas tout de suite. Les femmes enceintes et joufflues, gorgées de semence, de nourriture, ne lui font pas envie. Elle leur préfère les jeunes filles libres et audacieuses des magazines de mode, celles-là ne s’engouffreront pas trop vite dans la tranquille béatitude du mariage. Et puis, rien ne presse. Devenir mère sans avoir été femme lui paraît une abomination.» (p.45)
L’amour viendra, les enfants et un premier livre longtemps souhaité. Et un autre pour visiter la mémoire et l’enfance, nourrir un univers qu’il faut toujours réinventer.

Photographies

Madeleine Ouellette-Michaslka visite sa famille du Bas-du-Fleuve, la migration de la campagne vers la ville, l’amour et tous les enfermements qu’il faut encore et encore briser pour faire de la place au «je». Tout un pan de l’histoire des femmes du Québec se profile dans cet apprentissage de la liberté et de l’affirmation.
«Un collègue lui dira un jour que son œuvre a parfois l’apparence d’une mise à table, réelle dans certains cas, où tente de se dire la parole manquante. Elle s’en étonnera. Elle croit plutôt qu’elle commence à écrire. Elle croit qu’il lui faudra des années pour accomplir tout ce qu’elle veut faire.» (p.134)
Le lecteur a souvent l’impression de se pencher sur un album de photographies où des disparus l’interpellent. Des enfants aussi devenus des vieillards aux regards effarouchés.
Un roman qui tient de la quête, de la réflexion et de la méditation, qui permet de comprendre pourquoi des écrivains passent une vie à secouer des souvenirs et à les réinventer. Ils scrutent leur enfance, la transforment et l’embellissent pour la garder bien au chaud dans la mémoire collective et individuelle. L’œuvre de Michel Tremblay et de beaucoup d’autres peuvent en témoigner. La vie sociale et individuelle n’est possible qu’avec le passé qui moule le futur. Les sociétés ne peuvent survivre et s’épanouir sans ces racines.

«L’apprentissage» de Madeleine Ouellette-Michalska est publié chez YXZ Éditeur.