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lundi 23 janvier 2012

Jean Perron est un parfait illusionniste


«Visions de Macao» de Jean Perron arrive comme le second tome d’une trilogie amorcée avec «Les fiancés du 29 février».
J’ai beaucoup aimé le premier volet, le monde irréel et fascinant de Venise, les personnages qui s’évanouissent pour ressurgir et vous hanter. Le tout reposant sur un film qui ajoute au flou et à la confusion.
Le cinéaste est de retour. Il revient amnésique de Macao. Invité dans la capitale du jeu, une sorte de pendant de Las Vegas, il a été drogué et rapatrié. Il était l’hôte d’un casino qui se distingue en invitant des artistes peu connus. Le roman est la longue reconstitution de ce séjour en Asie.
«Macao est devenue la capitale mondiale du jeu, avec des recettes qui dépassent maintenant celles de Las Vegas. La compétition y est féroce pour s’assurer d’une part de marché. Comme d’autres maisons de jeu, le Sonho Casino veut se donner une dimension artistique. Mais au lieu de miser sur les spectacles à grand déploiement avec des noms célèbres à l’affiche, il a décidé de faire appel à des disciplines plus «alternatives» comme le microcinéma.» (p.14)

Que s’est-il passé?

Le narrateur retrouve sa mémoire à l’aide de notes dispersées dans un carnet. Un travail qui ressemble à la mise en forme de ses films.
«Mes films ne sont pas narratifs. L’art n’est pas pour moi un moyen de conter ma vie, mais un voyage au cœur des perceptions possibles de la réalité. Le décor est le personnage central de mes films.» (p.15)
Peu à peu il se souvient. Au Sonho, il a retrouvé un ami d’enfance qu’il croyait mort. Barry Lalonde. Un obsédé qui se retrouve là pour assouvir sa passion du jeu en misant sa vie. Un risque tout capable du pire comme du meilleur.
Il y a surtout un personnage étrange qui fascine le cinéaste.
«Et cet homme qui buvait du cognac à côté de moi, il se faisait appeler Fernando et ressemblait comme un sosie à Fernando Pessoa, du moins aux images de ce grand et mystérieux poète portugais qui ont traversé le temps et l’anonymat dans lequel il a  vécu jusqu’à sa mort, à 47 ans, en 1935: lunettes et moustache dans un visage aux traits acérés; regard à la fois lointain et concentré; feutre à large bord; complet-veston sombre et cravate assortie; l’allure d’un rond-de-cuir intemporel.» (p.20)
Cet homme aurait conçu la plus grande escroquerie de tous les temps avec le bogue de l’an 2000, Bien plus, la guerre au terrorisme et les attentats du 11 septembre 2001 seraient le fruit de son imagination. Tout était pensé et planifié sauf qu’on a oublié le scénario original pour se tourner vers l’Afghanistan.

Casino
 
Il y a aussi la directrice du casino, une ancienne chanteuse populaire et sa fille Fortune Cookie, une escorte rebelle qui devient l’amante du cinéaste. Et dans l’ombre, un mystérieux personnage qui tire les ficelles et contrôle tout. On murmure qu’il pourrait s’agir de Pol Pot, le fameux tyran. Est-il mort ou est-il vivant?
L’étau se resserre autour de Barry et du narrateur. On les menace plus ou moins ouvertement sans trop savoir ce que l’on peut leur reprocher.
Un monde étrange, factice où tout devient possible.
«Quand on ne sait pas jouer, l’analyse ne résiste pas à la peur en situation de danger. Pour rester maître de jeu, le joueur, lui, sait manipuler les pensées et les émotions aussi bien que les cartes. Dans ce monde d’illusion, de stratégie et de bluff, rien n’est sûr.» (p.136)
Cette histoire est-elle réelle ou une invention? Barry Lalonde et Fortune Cookie sont-ils de vrais personnages? Le lecteur ne saura jamais sur quel pied danser.
Un roman formidable où l’écrivain risque tout. Comme si on se retrouvait autour d’une table de jeu et que les secondes qui viennent nous réservent le pire ou le meilleur. Jean Perron a l’art de nous tenir sur la corde raide pour se faufiler entre le réel et l’imaginaire. On doit lui faire confiance pour s’aventurer dans un monde à la fois rêvé et fantasmé. Cet écrivain échappe aux normes et aime prendre des risques. Je le trouve particulièrement rafraîchissant.

«Visions de Macao» de Jean Perron est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 13 septembre 2009

Jean Perron se perd dans la beauté de Venise

Un cinéaste, lors d’un séjour à Venise, croise une très belle femme. Le déclic se fait rapidement. Ce pourrait être une autre folle histoire d’amour que celle mise en scène par Jean Perron dans «Les fiancés du 29 février», mais il y a quelqu’un dans la vie de Corina.
 Les deux sont fascinés et décident de faire un film. Peut-être pour vivre un temps ensemble. Les images arriveront-elles à révéler cette femme imprévisible et secrète? Qui est Corina qui aime le cinéaste et une autre personne? Qui est le plus authentique? La femme qui porte un masque ou celle qui va visage nu?
«Cette séquence et d’autres images en mouvement apparaissent en surimpression, s’évanouissent les unes dans les autres et forment une trame dont je cherche le sens. Pourtant, ces images, c’est moi qui les ai filmées et en ai fait le montage. J’ai réalisé de nombreux courts métrages, je les ai tous présentés ou diffusés publiquement, mais pas celui-là, même s’il remonte déjà à quelques années. Et il n’a toujours pas de titre.» (p.12)
Venise se transforme au temps du carnaval, devient un film impressionniste. La ville est une vaste scène où résidants et visiteurs mutent sous les masques et les déguisements. Des fantômes hantent les rues et les décors millénaires.

Malédiction

Corina, une ancienne gymnaste, a connu un mariage blanc avec son entraîneur. Aucune sexualité pendant dix ans. Fabule-t-elle ou vit-elle réellement une double passion? Le cinéaste apprend la méfiance, mais il est incapable de s’éloigner. Cette femme l’aime, le fuit et l’attire.
«J’espérais un message de Corina, dont j’étais sans nouvelles depuis quelques jours. Il y en avait un. Mais l’espoir s’est mué en son contraire quand je l’ai lu, l’espoir s’est affublé d’un triste préfixe, d’un «dé», et j’ai pensé au célèbre coup de dé de Mallarmé, qui jamais n’abolira le hasard.» (p.16)
Tout est dit. Le cinéaste découvre peu à peu la double vie de Corina, sa passion pour une autre femme. Étrange chassé-croisé avec une femme évanescente qui disparaît dans la nuit pour ressurgir défaite au matin.
«Quand je téléphonais à Corina, son long silence me confirmait sa douleur, et le mien qui y répondait, par une entente tacite entre nous, se voulait un baume. Je ne faisais aucune remarque et ne posais pas de questions. Je posais mon silence sur le sien et nous pouvions rester ainsi pendant plusieurs minutes. Autant ce silence mutuel marquait une communion, autant il indiquait le vide infranchissable qui nous séparait.» (p.68)
Un pas en avant, une dérobade, un espoir et un amour qui en reste au désir. Un monde d’homosexuels et de lesbiennes qui laissent tomber les masques. Des ombres s’effacent au coin des rues quand la brume colle aux murs. Les fantasmes et les passions se libèrent alors, le temps d’une nuit ou d’une fuite en gondole.

Venise l’étrange

Venise ne cesse de subjuguer ceux qui s’y aventurent. Les esprits s’y amusent le temps d’une mascarade, permettent de plonger en soi pour révéler des aspects de soi que l’on dissimule le reste du temps. Une ville qui a hanté nombre de créateurs, Ernest Hemingway entre autres. Jean Perron multiplie les points de fuites avec les canaux, les reflets dans les vitres, les glissades du brouillard qui créent un monde irréel. Un roman où tout se répond et se mélange.
Corina danse nue pour mieux se masquer et échapper à l’amant. Le cinéaste n’arrivera jamais à la saisir avec sa caméra, ni à la tenir dans ses bras malgré les rapprochements et certaines promesses. Tout comme il s’avère impossible de cerner une ville qui abrite des secrets millénaires, qui attirent ceux qui vivent d’illusions et courtisent la folie.
Plusieurs niveaux de lectures dans ce court roman. Où est la vérité et où fuit le mensonge? Jean Perron ne donne pas de certitudes et c’est fort heureux. Arrive le drame, même si un amour comme celui-là ne se termine jamais. Comme toutes les histoires qui ont Venise comme décor, comme tout ce qui devient mythe.

«Les fiancés du 29 février» de Jean Perron est paru chez ZYZ Éditeur.