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mercredi 6 avril 2022

LA VIE MALGRÉ TOUTES LES FOLIES DES HUMAINS



MONIQUE PROULX PRÉSENTE un nouveau roman, son huitième ouvrage. C’est un événement et toujours un grand bonheur de lecture pour moi. Enlève la nuit vient comme une suite à Ce qu’il reste de moi paru en 2015. Voici ce que j’écrivais alors : «Ce qu’il reste de moi, c’est l’esprit de Jeanne Mance, l’amour des autres, le dévouement, le désir de connaître l’éclopé, le démuni pour l’aider à être mieux dans sa vie.» La pensée des fondateurs de Montréal, le rêve mystique et une compassion pour ses semblables, l’accueil de l’étranger, de la différence et une générosité de tous les instants pour soigner les corps et l’âme certainement. Nous croisons Gabrielle qui enseigne le français aux arrivants et Markus Cohen qui a fui sa communauté pour plonger dans le « Frais Monde» comme il dit. Le voilà dans Montréal, combattant le découragement et le désespoir. Un homme le sauvera et ce sera le début d’une longue route où il trouvera sa place en s’engageant dans le soutien des démunis, retrouvant ainsi l’esprit des pionniers et de ces croyants venus de France en 1642 pour créer une cité nouvelle, une société reposant sur l’entraide et le partage.  


 

Monique Proulx a eu le génie de montrer les villes qui existent dans Montréal, ces «pays» qui cohabitent dans la métropole, des groupes qui nichent les uns à côté des autres sans se connaître et sans se parler. Markus, après avoir quitté sa mère qui vit recluse dans son quartier, ne s’éloignant jamais de sa maison, découvre un milieu différent. Il doit apprendre le français que les Juifs boudent même s’ils sont nés à Montréal, se trouve parmi ceux et celles venus d’ailleurs qui cherchent un moyen de comprendre leur lieu d’atterrissage. 

Avec un peu d’argent «emprunté» à sa mère, le voilà errant dans cette ville dont il ignore les usages et les coutumes. Perdu, désorienté, ne pouvant plus se fier à ses références, il se retrouve à la soupe populaire. Ce sera sa planche de salut, le point de départ dans ce Nouveau Monde. Il devra se retrousser les manches, ne jamais rechigner devant l’effort et tout faire pour se débrouiller dans cette société dont il a du mal à comprendre les codes et les façons d’agir. Et il y a cet écrivain, l’homme au foulard jaune, un personnage mystérieux qui l’inspire et le pousse à se battre pour se faire une vie, approcher peut-être l’une de ces «Mignonnes» si belles et si attirantes pour satisfaire son besoin d’amour et de tendresse. 

 

Je ne peux même pas vous dire quoi. Mais quand j’ai relevé la tête pour remercier celle qui venait de faire tomber une purée grise dans mon assiette, toute la tablée dépareillée m’est entrée dans l’œil. Et n’a plus voulu en ressortir. J’ai vu la communauté d’étrangers forcés de se coller ensemble, meurtris, tatoués, délabrés grisonnants, mais aussi jeunes aux cheveux hirsutes exprès et aux anneaux dans le nez. J’ai vu la communauté d’êtres complètement seuls. Et j’en étais. (p.21)

 

Vous savez maintenant pourquoi il m’a fallu quelques pages pour me familiariser avec l’écriture de Monique Proulx qui a choisi de suivre Markus qui apprend le français et, possède sa manière particulière de s’exprimer et de dire ce qu’il ressent. Une langue métissée, différente, fascinante et belle comme un vent chargé des fragrances du lilas qui vous coupe le souffle et vous donne des poussées du bonheur quand vient le temps du mois de mai.

 

SUITE

 

Nous sommes dans un univers dur et sans pitié, une ville où les quartiers deviennent des refuges qu’on ne déserte presque jamais. Qui s’approche des éclopés qui mendient sur les trottoirs, qui montent le guet à la porte d’un café ou près d’une station de métro? Ces gens d’ici, du Grand Nord par exemple, ces déracinés échappés d’un autre monde comme Charlie Putulik, un Inuit qui campe sur les flancs du Mont-Royal pour retrouver un peu l’espace et le ciel de son pays qu’il a dû fuir pour toutes les mauvaises raisons imaginables. 

Le travail que Jeanne-Mance faisait auprès des démunis continue 400 ans plus tard pour constituer une société normale qui s’occupe de ses citoyens et prend soin de ses éclopés qui errent et demandent juste un peu d’attention et de nourriture.

 

LE FOND DU BARIL

 

Markus ne peut descendre plus bas. La tentation d’en finir est forte parce que le défi est tellement important, si souffrant. Pourtant il suffit d’un geste, d’un regard pour que tout change et devienne possible. Le rêve l’attend, là, sur un coin de rue.

 

Ce soir-là d’il y a maintenant plus de deux ans, je m’en allais mourir. Est-ce qu’il neigeait?... Quelque chose de mouillé et d’éternel me traversait de part en part, sans mot assez fort pour le nommer. Faim et Froid, les deux frères jumeaux, me tenaient par le bras depuis des semaines et avaient éteint toute ma flamme. J’avais la journée, et celle d’avant, et celle d’avant-avant, à reluquer avec envie les piments rouges pourtant dégoûtants des vitrines, flottant dans des liquides épais, à arracher en pensée les sandwichs que des garçons de mon âge grignotaient dans la rue, à dénicher comme un chien des os entourés de viande dans les poubelles près du comptoir de poulet grillé, et à entrevoir la nuit suivante, et toutes les autres d’ensuite, dans la tente puante de celui qui m’hébergeait après m’avoir volé tout ce que j’avais. (p.8)

 

Markus trouvera sa voie, grâce au geste de cet écrivain qui le hante et reste une sorte d’ange qui vient et va pour lui indiquer la direction et lui permettre de se faire une place dans un monde tout nouveau et tellement ancien. Certains y arrivent difficilement, doivent se prostituer pour survivre, faire de son corps et de son âme l’objet que l’on monnaye dans la plus terrible et féroce dépossession. Bien sûr, on peut se procurer pas mal d’argent en agissant ainsi, mais c’est le commencement et la fin de son moi, de cet être qui se réfugie tout au fond de soi et qu’il faut protéger. Abbie ne pourra s’en sortir.

Un roman magnifique qui m’a littéralement envoûté par la musique de la langue qui souffle comme une brise printanière sur la ville, ce regard qui remet tout en question sans avoir l’air d’y toucher. Markus découvre Montréal, ses richesses, ses beautés et ses laideurs, garde la foi des migrants qui croient qu’il est possible de refaire sa vie dans la communauté en s’intégrant. Il aime ce monde, plus que tout, malgré le matérialisme et la soif de l’argent, cette quête absurde qui fait oublier l’amitié et la compréhension de l’autre. 

 

QUESTION DE SOCIÉTÉ

 

Sans avoir l’air d’y toucher, Monique Proulx effleure les grandes secousses telluriques qui ébranlent la société du Québec. La place des émigrants, l’espace qui leur est fait, le travail qui n’est pas évident quand on ne réussit pas à se débrouiller dans le langage du nouveau pays, des efforts terribles à faire pour se trouver un lieu où vivre normalement. 

Et ces biens nantis qui, sans trop le vouloir, profite des arrivants qui se débattent de toutes les manières possibles pour se faire un milieu de vie. 

Quel souffle, quelle langue et quelle compassion comme c’est toujours le cas dans les romans de Monique ProulxEnlève la nuit m'a bouleversé. Et le jeune Markus, un prophète des temps modernes, découvre sa mission en donnant, en tentant d’aider tous ceux qui circulent dans les rues en quête d’une ombre ou d’une présence, d’un appartement où ils peuvent devenir des êtres humains qui ont leur place et un petit coin pour le rêve. 

 

Ce matin, j’ai trouvé si vaillant le Frais Monde, tous debout sous le soleil même quand il y a des nuages, encaissant les coups durs en rouspétant et en sacrant, mais en se relevant tous de même, effrontés et fragiles comme des petits oiseaux qui se prendraient pour des avions. Partout en me rendant au travail, vélos véloces et autos impatientes, et à pied des jambes pressées surmontées de têtes déjà emboulotées qui s’étourdissent un moment sur leur petit phone, désastres ambulants partout aurait dit Abbie, mais moi je voyais : petits seigneurs de guerre s’en allant tous au combat, leur courage au poing. (p.342)

 

Un regard qui nous approche de la beauté du monde et de tout ce qui respire malgré toutes les atrocités. Il suffit d’avoir des yeux pour découvrir autre chose que l’horreur, les délires des armes et les massacres qui dépassent l’entendement en Ukraine où des hommes et des femmes ne demandent qu’à être et à profiter du printemps peut-être qui ne saurait nous bouder indéfiniment. Ces frères et ces sœurs qui vont venir dans nos villes pour trouver un lit, manger, rêver et redevenir tout simplement des vivants.

Un souffle, un élan d’espérance que ce roman et un pari sur l’espèce humaine, en sa capacité de résilience, malgré toutes les dérives et les folies qui ne cessent de nous bousculer. Monique Proulx continue son travail exigeant et nécessaire avec une aisance et une élégance remarquables.

 

PROULX MONIQUEEnlève la nuit, Éditions du Boréal, 252 pages, 29,95 $.

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/monique-proulx-11253.html

lundi 1 juin 2015

L’esprit de Jeanne Mance flotte sur Montréal


QUE RESTE-T-IL DE ceux qui ont quitté la France en 1642 pour venir à Montréal, où « tous les arbres pouvaient dissimuler son Iroquois sanguinaire ». Jeanne Mance et Maisonneuve voulaient partager leur foi avec les peuples autochtones et fonder une colonie où tous vivraient en harmonie. Les fondateurs avaient la certitude d’avoir la vérité dans leurs bagages et manifestaient une ouverture d’esprit peu fréquente à l’époque. Une attitude bien différente de celle des Espagnols qui, obnubilés par l’or, ont massacré des populations.

Montréal est maintenant une ville cosmopolite où plusieurs groupes d’origines différentes cohabitent. Plusieurs quartiers sont des territoires fermés. Il suffit d’une rue ou d’un trottoir pour tracer une frontière. Je pense à certaines communautés qui s’installent dans des lieux circonscrits pour vivre en autarcie. Cela n’est pas sans inquiéter les Québécois francophones qui sentent le caractère de leur ville s’étioler. Beaucoup se plaignent aussi de la poussée de la langue anglaise depuis des années. Les arrivants deviennent ainsi le sujet de tensions entre les groupes et sont souvent un enjeu politique.
Comment cerner le Montréal de maintenant ? L’Ouest anglophone coupé de l’Est francophone par la rue Saint-Laurent, une véritable frontière entre les nantis et les plus démunis. La barrière linguistique accentue encore le phénomène. Il en est ainsi depuis fort longtemps même si les bornes se déplacent dans la ville. Certains quartiers font la renommée de la grande cité ou sa désespérance. Pensons au Plateau-Mont-Royal où j’ai vécu longtemps parce que les loyers y étaient abordables. Ce n’est plus le cas.
Partout, des populations vivent dans une certaine autarcie et sont peu portées à aller vers l’autre. C’est le propre de toutes les grandes villes du monde. Cette problématique a fait l’objet de fictions où Montréal se coupe du Québec pour devenir une forteresse moyenâgeuse où différentes ethnies s’affrontent. Je pense à Jean Basile et son admirable Piano-trompette et Michel Vézina qui, dans Zone 5, fait de la ville une citadelle.

C’est vers 2017 que les premières guérites seront érigées entre les quartiers d’Outremont et du Mille-End, puis aux entrées, un peu plus tard la même année, des autres quartiers chics de Montréal. Petit à petit, la ville, puis la région métropolitaine au complet, seront divisées en quatre catégories de zones distinctes…  (p.13)

Aurélien Boivin qui a publié un ouvrage important sur les Contes, légendes et récits touchant l’île de Montréal fait une remarque intéressante dans sa préface.

Il est toutefois un constat certes étonnant, du moins pour moi, peu importe la catégorie des récits sélectionnés dans l’un ou l’autre tome : rares sont les écrivains qui se sont attardés à décrire Montréal, un quartier ou une rue, avec ses caractéristiques ou ses habitants.

Francine Noël et Gabrielle Roy ont décrit formidablement des quartiers de cette ville.
Francophones, hassidiques, musulmans, populations d’origines grecques italiennes et haïtiennes tentent de vivre en harmonie. Cette diversité en fait applaudir certains et en inquiète d’autres. Est-ce que l’esprit des fondateurs a marqué Montréal ? Qu’en est-il de l’utopie de Jeanne Mance et Maisonneuve ?

Elle s’en vient apporter l’éternité à des êtres qui ne la connaissent pas. Accessoirement, elle s’en vient aussi soigner les corps, puisqu’elle est infirmière et chargée de fonder un hôpital dans une ville qui n’existe pas encore. Mais c’est d’être passeur d’éternité, surtout, qui la fait vibrer. (p.10)


Une mission qui fait peut-être sourire maintenant. Les fondateurs rêvaient pourtant d’apporter l’éternité à des peuples qui avaient été oubliés dans les terreurs et les aberrations d’une pensée qui n’avait pas connu le rachat et le sacrifice du Christ. Ces missionnaires se savaient des porteurs de lumière et agissaient au nom d’un idéal qui exigeait tout de leur vie.

MISSION

Certains plus que d’autres sont attirés par l’étranger et le différent. C’est le cas de Markus Kohen, un jeune hassidique qui fréquente Françoise Bouchard, une francophone plutôt hostile à cette communauté. Sa famille ignore tout de ce jeune homme et apprendra sa présence après le décès de leur mère.
La fille enseigne le français aux arrivants et le fils est scripteur pour le cinéma et la télévision. Son petit-fils cherche une forme de spiritualité et un sens à sa vie. Comme bien des jeunes, il part vers l’ailleurs, vivra un long séjour en Inde pour trouver peut-être. Pour certains, la vérité se cache dans le plus lointain du monde et pour d’autres, il suffit de traverser la rue.
Un curé pratique des exorcismes et chasse les démons, Virginie Hébert, une ancienne religieuse en révolte contre l’église, s’occupe des itinérants, particulièrement des autochtones, souvent dépendants de l’alcool et de la drogue. Elle est la Jeanne Mance de maintenant avec son idéal de justice et de partage.

RENCONTRE

Nous vivons les premiers temps de la colonie où la peur, la faim et le froid hantent les migrants. La guerre contre l’Iroquois prend fin avec la Grande Paix de Montréal en 1701 et la colonie peut respirer. Il y a aussi les embûches que le clergé de Québec ne cesse de multiplier pour contrecarrer ce projet, les mesquineries et les entêtements des gouverneurs. La rivalité entre Québec et Montréal remonte à l’arrivée de Jeanne Mance et Maisonneuve.

Dès le début, il ne vient que misères et vexations de Kebecq et de ses gouverneurs, irrités des ambitions démesurées de ce qu’ils ont baptisé avec dérision la Folle Entreprise. Emprisonnement du canonnier de Paul, qui a osé lancer une salve en l’honneur de son anniversaire, tentatives d’extorsion sur les sommes et les recrues destinées à Montréal, retranchement brutal de ses appointements, imposition des denrées, menaces diverses, mesquinerie générale qui trouvera des formes sans cesse inédites à la faveur des gouverneurs qui se succèdent à Kebecq : Monsieur de Montmagny, Monsieur de Lauson, Monsieur d’Argenson, Monsieur de Mésy, Monsieur de Tracy… Plus les officiels changent, plus l’hostilité reste la même, quand elle ne s’accroît pas. (p.84)

Pour retrouver l’esprit des fondateurs, il faut descendre dans les rues, s’arrêter devant Charlie l’itinérant inuit ou Tobi le Mohawk, croiser un curé en rupture, suivre un réfugié soupçonné de terrorisme qui trouve refuge dans une église. Ou encore le jeune Markus Kohen qui rejette le carcan de sa communauté pour découvrir les autres. On se retrouve même dans une grande messe télévisuelle où il est possible de fraterniser. Le lien avec Tout le monde en parle est évident. C’est peut-être la nouvelle manière de toucher l’autre et de le connaître.
L’esprit de Françoise, de Jeanne Mance et de Maisonneuve plane sur la ville et va où bon lui semble. L’esprit est là et le partage, la compréhension se retrouvent avec ceux qui savent ouvrir les yeux.

Le cœur de Jeanne n’en a cure, il continue de battre indifféremment pour tous, ceux qui rient ou ceux qui pleurent, les Mohawks comme les pures laines comme les venus d’ailleurs, tous ceux-là susceptibles d’être allumés par ses pulsions clandestines. (p.402)

FASCINATION

Je pense à Khaled le restaurateur qui se confie à Gabrielle ou à  la mère de Markus Kohen, le jeune hassidique, qui décide d’aller sur le mont Royal pour peut-être le ramener dans sa communauté. Un monologue à couper le souffle.

Oui, il est exigeant d’être un véritable être humain, oui, les codes sont nombreux pour aider le corps à ne pas oublier sa vraie nature. Mais quel autre choix est plus valable que celui d’assumer sa propre grandeur ? Rappelle-toi, Markus, la joie profonde de voir sacralisé ce qui pour le reste du monde n’est que gestes et déplacements insignifiants. Et rappelle-toi, surtout, toutes les autres joies si fréquentes dans nos vies, tant de fêtes, tant de chants auxquels tu excelles, et les danses et les jeux, et les nourritures délicieuses, tant d’émotions exaltantes. (p.370)

Montréal, dans sa diversité et sa beauté, sa démesure et ses misères, ses folies et ses espoirs, fascine. Une ville pas tout à fait comme les autres par sa géographie, ses populations, ses institutions qui doivent beaucoup à l’esprit de ces fous de dieu qui cherchaient à réinventer le monde. Les utopies religieuses ont souvent échoué, particulièrement aux États-Unis où elles ont donné naissance à des sociétés fermées et butées. Il reste des manières pourtant à Montréal, des élans ou une fibre qui fait en sorte que l'intelligence des fondateurs n’est pas perdue.
Ce qu’il reste de moi, c’est l’esprit de Jeanne Mance, l’amour des autres, le dévouement, le désir de connaître l’éclopé, le démuni pour l’aider à être mieux dans sa vie.
Ce roman vous hante longtemps, comme l’âme peut-être de ces fondateurs qui se distinguaient des aventuriers venus au Nouveau Monde pour faire fortune. Monique Proulx nous donne un ancrage et nous réconcilie avec l’utopie qui permet d’influer sur les agissements des humains. J’aime à le croire. Jeanne Mance et Maisonneuve pensaient faire autrement et ils y ont consacré leur vie, nous laissant un formidable héritage. Les fondateurs ne sont pas que des noms de rues, de parcs ou d’institutions. Il faut s’en souvenir.
 
Ce qu’il reste de moi de Monique Proulx est paru aux Éditions du Boréal, 432 pages, 29,95 $.

jeudi 1 mai 2008

Les paradis dissimulent bien les drames

Monique Proulx, dans «Champagne», son dernier roman, effleure une problématique qui fait saliver les médias. Combien de conflits éclatent entre les «développants» et les «verdoyants» qui protestent quand on veut implanter un port méthanier ou un parc d’éoliennes qui défigurent un paysage. Partout au Québec, les tenants du progrès à tout prix se heurtent à des groupes qui veulent protéger leur coin de pays. Non, Monique Proulx ne cherche pas à pourfendre ceux qui balafrent les paysages en scandant les mots profits. C‘est pourtant le combat qui se profile dans de ce roman foisonnant. Une preuve s’il en faut que les créateurs sont attentifs aux grands enjeux de notre société.
L’écrivaine nous entraîne dans un coin sauvage au nord de Montréal. Un petit lac calme accueille quatre ou cinq villégiateurs. Un paradis où le moteur est banni, où les bêtes vivent dans une forêt abandonnée à toutes les saisons.
Lila Szach ne semble s’inquiéter que pour les champignons, les oiseaux, les poissons et un orignal qui ménage ses apparitions à la pointe du lac. Elle protège son paradis avec un zèle inquiétant. Tous doivent obéir à ses diktats. Mais comment éloigner les prédateurs qui ne pensent que centre de skis et villégiature?
Malgré tout, les gens cohabitent dans une certaine harmonie, vivent des amours sans lendemain, tentent de guérir, bien ou mal, écrivent pour cicatriser ou gagner leur vie. Même le jeune Jérémie s’invente un monde pour oublier sa famille dysfonctionnelle en peuplant la forêt d’êtres étranges.
«C’était un sentier fascinant, contenant juste assez de monstres pour garder sur le qui-vive sans donner de sueurs insupportables, tantôt fermé comme un poing sombre entre les conifères touffus, tantôt ouvert à l’infini sur des clairières bienveillantes où le soleil s’engouffrait par coulées. Au moins deux fois, Jérémie fût tenté d’aller se perdre dans ces grands terrains de jeux lumineux, mais pas si fou, ce n’était pas parce qu’il venait de la ville qu’il allait oublier les Sombrals et les Centaures traîtreusement arc-boutés, pour sûr, derrière les longs troncs épars.» (p.21)

Le mal

Plus nous avançons dans cette histoire, moins les choses sont claires. Lila Szach a perdu son mari. Est-ce un accident ou un suicide? Elle doit vivre aussi avec le remords parce qu’elle a presque cédé aux avances de Gilles Clémont, un chasseur effronté qui braconnait sur ses terres et qu’elle a voulu empoisonner. Sa voisine Claire imagine des scénarios sanglants qu’elle destine à la télévision. Des histoires sordides qui finissent par la rattraper. Simon aide un peu tout le monde en allant de l’un à l’autre dans son kayak. D’autres ne peuvent oublier les horreurs du passé. Violette a connu l’enfer d‘un père pédophile, d’une mère qui se fermait les yeux et ne voulait rien entendre.
«Elle n’a jamais protégé des mains folles du fou les petits de son propre ventre, elle n’a jamais désavoué le fou dans ses violences, elle a refermé la porte de la chambre sans bruit quand elle a surpris le fou en train de vous violer, et elle continue de jurer que tout ça n’a jamais existé, a été inventé dans votre tête, dans vos dix têtes. Si vous la revoyez un jour, ce que vous ne souhaitez pour rien au monde, vous l’accueillerez à coups de batte de baseball et vous frapperez jusqu’à ce que l’un d’eux – bois ou crâne – se rompe le premier.» (p.192)
Comme quoi les paradis peuvent dissimuler des enfers.

Sauvagerie

Monique Proulx plonge dans une sauvagerie qui happe les protagonistes. Parce que derrière le calme apparent, les grandes passions ne dorment jamais. Les humains, mêmes pour les plus nobles causes, peuvent aussi commettre d’incroyables sottises.
«Les pires étaient les amateurs de fleurs et de jardins. Ils venaient ici, stupéfaits par tant de luxuriance éparpillée, et une fois que Claire et Luc les avaient baladés dans les tourbières sauvages et les clairières moussues, ils sortaient des pelles et des seaux et tenaient mordicus à rapporter dans leur jardin des nymphéas, des bébés sapins, des plants de rudbeckias, des lichens qui mettent cinquante ans à croître d’un centimètre.» (p.122)
Monique Proulx crée un univers magique, envoûtant et hypnotisant. Une écriture somptueuse confirme sa parfaite maîtrise. Un plaisir qui ne fléchit jamais. Un grand roman qui habite votre mémoire après la lecture.

«Champagne» de Monique Proulx est publié par les Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/monique-proulx-1107.html