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dimanche 26 décembre 2010

Les mondes étranges de Pascale Quiviger

Clara Chablis disparaît. Son entourage ne semble ni inquiet ni perturbé. La jeune femme a toujours été plus ou moins absente. Les témoignages ne révèlent rien de particulier sur cette solitaire qui apporte paix et bonheur à ceux qui la côtoient.
Quelques jours plus tard, les policiers retrouvent le corps atrocement mutilé d’une femme. La mère est formelle: c’est sa fille Clara. Daniel Kieffer, son amoureux, est tout aussi catégorique. Le corps retrouvé n’est pas celui de sa compagne. Tout se mélange et tous s’y perdent. L’enquête des policiers ne va nulle part.
Qui est Clara? Sa mère, son copain Daniel et Rose Jordan, une amie d’enfance, racontent des faits, mais la jeune femme demeure une énigme. Un mystère  aussi pour sa mère Cassandre qui a vécu de la prostitution et fait un séjour en prison. La fillette a connu les foyers d’accueil en attendant le retour de sa mère qu’elle idolâtrait.
«En réalité, je pense que les enfants avaient peur d’elle, avec sa tête d’adulte et ses jambes en cure-dents. On voyait bien qu’elle n’était pas normale, elle cachait quelque chose que personne n’osait lui demander d’expliquer, moi et mes parents pas plus que les autres. Personne ne faisait l’effort de vraiment la connaître, on la laissait seule mariner dans son jus, on se disait que, de toute façon, elle vivait dans son monde à elle. D’une certaine manière, je l’ai toujours connue disparue.» (p.80)
Charles E. Kieffer, le père de Daniel, est catégorique sur son lit de mort.
«Car Clara ne regardait pas elle voyait. Son œil noir pénétra dans ma poitrine comme la pointe blanche d’une lame pure.» (p.168)

Un don

La jeune femme possède un don qui lui vient de sa grand-mère Marie Elena qui avait un charisme qui ne laissait personne indifférent. Elle apaisait ceux qu’elle approchait.
Clara exerce la même fascination sur les gens. Elle les pousse vers ce qu’ils ont de meilleur en eux Elle sympathise avec les marginaux, Robert Durham en particulier, que des voix entraînent dans des gestes extrêmes. Clara calme le schizophrène par sa seule présence.
«Elle est venue s’asseoir avec moi. Elle tenait ses genoux serrés entre ses bras et elle regardait les flammes. Elle ne parlait pas. J’appréciais le fait qu’elle ne parle pas parce que c’était mon premier silence depuis tellement longtemps.» (p.106)
Pas étonnant qu’elle ait un peu de mal à vivre dans une société où tout repose sur les raisonnements et la logique. Elle n’a ni passeport, ni carte d’identification, aucune carte de crédit. Clara n’existe pas pour la communauté.
La jeune femme, un peu détachée de tout, tient à un carnet rouge qui lui vient de ses grands-parents Marie Elena Fromm et de Daniel Simons, des poètes et des créateurs. Des pages vierges que l’on transmet de génération en génération sans jamais y tracer un mot. Peut-être parce que toute vie s’écrit et s’efface à mesure que les jours s’écoulent.

Monde étrange

Pascale Quiviger possède l’art de plonger le lecteur dans des mondes étranges. Dans «La maison des temps rompus», elle se faufilait dans d’autres dimensions du temps. Dans «Pages à brûler» les personnages n’arrivent pas à élucider le mystère. Peut-être qu’il n’y a rien à expliquer. Certains hommes et certaines femmes échappent à toute définition, toute logique.
Tous les repères basculent. Madame Quiviger nous garde dans son histoire sans que nous sachions vraiment ce qui est vrai ou faux, possible ou impossible.
«Tant que je vis, elle vit/ puisque je l’aime elle avance/ son pas tient la mesure du ciel/ sa main l’atome/ qui nous rassemble tous.» (p.255)
Qui est Clara Chablis? La dernière d’une lignée familiale qui agit et s’exprime par elle? Personne n’arrive à trancher.
Une écriture maîtrisée, une intrigue qui soulève bien des questions. La magie de Pascale Quiviger s’exprime encore une fois. Un roman qui sort des normes pour notre plus grand bonheur. Un univers que l’écriture emporte et sauve d’une certaine façon. Parce que la mièvrerie pourrait bien avoir raison d’un tel propos. Heureusement pour Madame Quiviger, il n’en est rien.

«Pages è brûler» de Pascale Quiviger est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/pascale-quiviger-1609.html

jeudi 30 octobre 2008

Comment survivre à la mort d’un enfant ?

La vie est fragile. Une course et l’irréparable nous gifle. Lucie a une fille dans «La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger. En traversant la rue, Odyssée se fait renverser par une automobile. La vie éclate comme une vitrine sous le souffle d’une bombe. La mort enraye l’esprit de la mère, court-circuite tous les sens. Cette douleur insupportable la pousse hors d’elle, à se blesser à des souvenirs et à cultiver des remords. Elle cherche un refuge comme le font les chats quand ils veulent guérir et lécher leur plaie jusqu’à une certaine résurrection.
«Je voulais une maison pour qu’elle m’avale, je me souviens, avoir pensé : j’aimerais tant être nulle part. Être nulle, annulée. Une maison, si possible au bord de la mer, comme antidote à l’étroitesse d’horizon.» (p.15)
Dans des récits croisés, nous apprivoisons la narratrice qui s’est réfugiée dans une maison de bord de mer qu’elle est seule à voir. Un refuge pour étourdir la souffrance insoutenable et faire germer peut-être un semblant de paix sans le regard des autres et le poids de la compassion.

Des inséparables

Le récit se casse au second cahier. Nous cherchons un fil pour nous accrocher. Deux femmes, Suzanne et Aurore, promènent leurs bébés Claire et Lucie. Il  faut du temps pour retrouver la narratrice qui nous a subjugués dès les premières phrases. Nous basculons dans l’enfance des fillettes, des inséparables, des sœurs sans trop faire le lien. Une complicité, un partage total, une amitié assez forte pour une vie. Les destins se croisent, se perdent, se retrouvent, se bousculent et reviennent rôder.
Par petites touches, nous découvrons l’histoire de Claire et Lucie, celle des mères aussi. Si Suzanne, la mère de Claire, est plutôt conventionnelle avec un mari toujours absent, Aurore est une imaginative qui préfère la fiction à la réalité. Il faut dire que son héritage sort des ornières. Sa mère d’origine irlandaise a connu une fin tragique alors qu’elle était encore une fillette.
«En l’absence de Jean et en présence d’Aurore, ils la brûlèrent vive et muette, depuis toujours consciente du risque d’être soi. Son âme aimée du monde s’éleva très haut, effleurant sur son passage l’épaule de son homme, qui comprit tout de suite ce qu’il savait déjà : le temps est bref, les bêtes sont libres, les hommes sont fous, les corps périssent. L’amour perdure, mystère sans tache le long des épines, au fond de la neige, sur les vaisseaux ardents.» (p.72)
Il y a de quoi se réfugier dans la fiction pour étendre une bâche sur les atrocités du monde et des images intolérables. Nous suivons Lucie dans sa douleur, dans sa quête de repères après cette mort qui a tout pulvérisé. Certaines douleurs peuvent pousser vers des excès terribles comme le fait le personnage de Brigitte Haentjens dans «Blanchie». La narratrice se perd et s’avilit jusqu’à frôler l’anéantissement après la mort de son frère.

Destins de femmes

Des destins de femmes, des pages époustouflantes sur l’enfance et l’accouchement.
«Le jour de la naissance d’Odyssée, Lucie ne voit plus que des éclats d’images, sa blouse tachée, une chaise en plastique bleu, les sourcils froncés de Claire, une reproduction de Van Gogh, le reflet des néons dans l’évier, les tournesols de Van Gogh, une rampe verte dans un corridor, la tête penchée des tournesols, leurs pétales jaunes. Les minutes ne passent qu’à force de ne pas passer. Chaque contraction dure une vie, une vie passée sur l’ourlet de la mort, charriée, emportée là où nul n’irait de son plein gré. Son corps craque dans la séparation, réduit au seul pouvoir de consentir, poussé vers l’autre bout des mondes pour prendre une âme par la main, pour l’inviter à redescendre, pour l’accompagner ici-bas tête première- et Lucie touche d’un seul coup le ciel et la terre, la bête et l’ange, l’entente et le cri.» (p.197)
Un souffle, un ton, une écriture remarquable, une voix, une force d’évocation rare. Pascale Quiviger, dans son quatrième ouvrage, signe un roman exceptionnel. Rappelons qu’elle a remporté le Prix du gouverneur général en 2004 avec «Cercle parfait» et a été finaliste au prix Giller. Une écrivaine sur qui nous devons compter.

«La maison des temps rompus» de Pascale Quiviger est publié aux Éditions du Boréal.  
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/pascale-quiviger-1609.html