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jeudi 31 décembre 2020

UN MONTRÉAL PLUTÔT MÉCONNU

PIERRE SAMSON DANS Le Mammouth, présente une ville de Montréal que nous retrouvons très rarement dans nos productions romanesques. L’écrivain nous plonge dans les années trente, dans des milieux de migrants qui échouent à Montréal pour le meilleur et le pire, avec seulement leurs vêtements dans la plupart des cas. Ils survivent en exécutant des petits travaux, se regroupent dans des quartiers délabrés, créant des ghettos où ils se replient sur eux et entre eux. Ils partagent leur faim et la méfiance, surtout envers les francophones, se battent pour une soupe, prisonniers d’une langue que peu comprennent en dehors de leur cercle. Tous vivent une terrible indigence au quotidien, la misère dans leur corps et leur tête. En plus, ils doivent se faire invisibles parce qu’à la moindre incartade, ils risquent d’être entassés sur un bateau et retournés dans leur pays d’origine où la situation est encore pire.

 

Les années trente à Montréal et au Canada, c’est le gouvernement Bennet qui entretient une véritable psychose envers les communistes qu’il voit partout et qu’il tient responsable de la plus petite manifestation ou mouvement d’humeur au Canada. Au Québec, c’est Louis-Alexandre Taschereau qui est premier ministre depuis 1920. Il en est à ses dernières années de pouvoir après avoir régné sur la province pendant une grande partie de sa vie. Maurice Duplessis est élu chef de ce parti qui deviendra l’Union nationale du Québec la même année. La crise économique frappe durement les entreprises et les travailleurs les plus démunis écopent comme toujours. Pas d’assurance-chômage ou d’aide sociale. Tous doivent se débrouiller comme ils peuvent. 

La situation est difficile pour tout le monde, surtout pour ces immigrants qui confrontent l’hiver implacable dans des logements insalubres et qui étirent la soupe pour calmer leur estomac. C’est le cas de Nikita Zynchuck, immigrant d’origine polonaise au passé un peu trouble, surnommé le mammouth à cause de son physique imposant. Sans emploi, comme à peu près tous ses concitoyens, il survit dans une solitude terrible. Il connaît la faim, le froid, la vermine dans des chambres laissées à l’abandon, les longues marches dans la ville pour se réchauffer et avoir peut-être l’impression d’être toujours un vivant, de faire partie d’une société qu’il a du mal à comprendre. 

 

PERSONNAGE

 

Le véritable personnage de ce roman de Pierre Samson est Montréal avec ses quartiers bien délimités, ses populations venues d’Europe de l’Est surtout, des séparations marquées par des rues et des quadrilatères. Les francophones sont massivement regroupés dans l’Est. La rue Saint-Laurent est une frontière et tous se méfient de «ces étrangers» dont on ne comprend pas la langue et qui, pour la plupart, ne fréquentent pas les églises. L’écrivain nous entraîne dans un univers de misère, de famine où le racisme et la peur sont la norme. Chacun se tient avec les leurs et ne s’aventure jamais dans un autre territoire ou quartier de la ville, sauf peut-être pour des êtres d’exceptions que sont les syndicalistes, les activistes qui cherchent à influencer le cours de l’histoire et à aider les éclopés du mieux qu’ils peuvent.  

 

Nick, en bon chrétien, avait décliné l’offre. Mais, planté là sur le trottoir, rongé par un désespoir insondable, suivant des yeux un tramway glissant sous un ciel quadrillé de câbles et de fils noirs, il ne peut s’empêcher de penser qu’Anselmi a raison malgré tout : la pauvreté, c’est la guerre. Et les curés, les prêtres mangent à leur faim, peu importe l’autel devant lequel ils officient. (p.23) 

 

C’est surtout un Montréal dominé par la finance étrangère, où les truands trouvent toujours une façon de profiter de la situation et de faire des sous sur le dos des indigents en s’acoquinant avec le pouvoir. Tous les commerces affichent des bannières en langue anglaise. Samson décrit une ville anglophone où les affaires se passent dans cette langue. Camilien Houde a dû céder sa place à Fernand Rinfret à la mairie. Une métropole vivante, sale, grouillante de tramways qui roulent dans toutes les directions, d’automobiles qui commencent à se faufiler partout et des chevaux qui résistent à la modernité comme des vestiges d’une autre époque. Un milieu où tout change et se modifie au jour le jour, où la faim peut pousser à des gestes extrêmes. 

 

Pendant qu’il poursuit son soliloque, Simone laisse son esprit muser au fil des portes qui défilent comme autant de cadres bordant des exemples de désespoir quotidien : femmes mûres édentées, métisses à la blondeur oxygénée, longues rousses aux yeux caves, adolescentes au visage peinturluré et aux corsages lâches, garçonnets en haillons patientant au pied d’un perron. (p.125)

 

C’est surtout l’hiver, la neige, le vent impitoyable, la sloche, l’humidité qui s’installe dans les taudis, s’insinue sous les vêtements usés et rapiécés. C’est la ville qui va donner le roman Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy, quelques années plus tard, en 1945. Un portrait inoubliable des francophones de Saint-Henri. Les chats errants et les rats ont la vie belle dans cette métropole grouillante et cosmopolite, surtout près du port où la misère côtoie l’opulence et la richesse. 

Les usines exploitent les gens et certains syndicalistes et communistes tentent de venir en aide aux travailleurs qui se font mettre à la porte du jour au lendemain. Des noms surgissent. Celui de Fred Rose, un partisan communiste qui sera même élu député et Bella, une militante qui m’a rappelé Léa Roback, cette féministe, communiste, elle aussi d’origine polonaise, qui s’est imposée dans des luttes pour les droits des ouvriers et pour améliorer la condition des femmes. Samson se moule à la réalité et décrit Montréal dans sa laideur, ses beautés, ses odeurs et sa saleté, dans toute sa différence et mouvance. Le portrait est saisissant et perturbant. 

 

DRAME

 

Devant l’inéluctable, quand les locataires sans revenus ne peuvent plus payer le loyer d’un appartement minable, la justice intervient en saisissant tout ce qu’ils peuvent trouver sur place et en expulsant des familles qui se retrouvent sur le trottoir. Ce sont les francophones qui appliquent la loi et qui comptent sur l’appui des forces de l’ordre pour exécuter les mandats. Les policiers sont toujours là pour voir à ce que les pauvres déguerpissent sans faire d’histoires et pour que les huissiers puissent travailler en toute quiétude.  

 

— Vous êtes à Montréal. Si les rouages des affaires sont aux mains des… Britanniques, la gestion politique, la justice criminelle par-dessus tout, ont été confiées en grande partie aux Canadiens français, qui s’acquittent admirablement bien du travail aux yeux de plusieurs. Par contre, ils gardent une certaine, comment dire, timidité devant l’inconnu. (p.117) 

 

Lors de l’une de ces interventions, les policiers abattent Nikita Zynchuck dans la confusion. Une balle dans le dos. Un agent un peu nerveux, d’origine italienne, un admirateur de Mussolini, fils d’immigrants comme ce Polonais, tire sans trop savoir ce qu’il fait. Il ne sera pas importuné, on s’en doute. Ce n’est pas sans rappeler certains événements récents. La mort de George Floyd par exemple qui a été littéralement étranglé par un policier lors de son arrestation à Minneapolis. Des images qui ont fait le tour du monde et enflammé la planète. Comme quoi l’histoire se répète et que rien ne change même si nous imaginons avoir fait un grand pas vers la civilisation et l’égalité avec nos gadgets électroniques.

La mort du Polonais fera en sorte que la colère et les frustrations se canalisent et que des manifestations risquent d’éclater un peu partout, surtout lors des funérailles qui deviennent un événement où tout peut exploser. C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Toutes les associations se mobilisent pour en faire un cas d’espèce. Les syndicats, les communistes, les activistes entendent bien profiter de la situation pour s’imposer et pour dénoncer l’exploitation et les injustices. Tout peut sauter et on craint les émeutes après un simulacre d’enquête préliminaire.

 

INNOCENCE

 

Mélange explosif que celui que décrit Samson. Politiciens véreux, policiers sûrs de pouvoir tout faire sans avoir à répondre de leurs actes, migrants dans la misère extrême, vivants dans la crainte d’être déporté. Situation tendue, propre à la révolution peut-être qui ne viendra jamais comme nous le savons dans «ce pays qui n’est toujours pas un pays». Usines où l’on exploite les travailleurs dans des conditions lamentables, productions aux plus bas coûts possibles et accidents qui laissent des gens sur le trottoir, sans aucune compensation, dans la plus terrible des indigences. Certains, à peine sorti de l’adolescence, sont déjà sourds à dix-huit ans tellement le bruit est infernal dans les salles où tournent les métiers. 

Une fresque magnifique que Samson rend vivante et captivante. L’écrivain prend plaisir à décrire ces quartiers, comme si une caméra curieuse et libre circulait dans les rues en captant tout pour en montrer les commerces anglophones, les logements délabrés qui illustrent parfaitement la situation qui couve dans cette cité multiethnique où il faut se battre pour survivre. Époustouflant, le regard de Samson. Il fait vibrer ces lieux tels des caisses de résonnance. Voilà un grand corps qui bouge et se démène devant nous. Le lecteur voit, respire, entend la ville. On la surprend dans ses odeurs et ses effluves qui ne sentent pas nécessairement la rose, le bruit infernal des tramways ou encore aux alentours des usines où le sol frémit et l’air devient toxique. C’est magnifique comme travail et il faut du souffle pour montrer une époque, cette tension qui hante le Montréal que l’on aime maintenant. 

Un formidable roman qui nous fait vivre une page d’histoire méconnue, décrit des aspects de la métropole dont nous n’osons pas souvent parler. Une écriture admirable de précision qui nous emporte dans un véritable tourbillon avec des personnages attachants. Du meilleur pour Pierre Samson, un mélange parfait de fiction et de faits réels, de vrais humains qui luttent, sentent et tentent de secouer le présent, d’oublier un passé de misère en s’implantant dans une ville d’Amérique où la vie ne se laisse pas apprivoiser facilement. 

 

SAMSON PIERRELe MammouthÉDITIONS HÉLIOTROPE, 368 pages, 17,99 $.

https://www.editionsheliotrope.com/librairie/133/le-mammouth#

samedi 18 mai 2013

Samson et Laverdure jouent le jeu de la vérité


Bertrand Laverdure et Pierre Samson, dans «Lettres crues», se lancent dans une correspondance à l’incitation de leur éditrice. L’échange donne des propos percutants, parfois impertinents, souvent émouvants.

Bertrand Laverdure
Pierre Samson
Les propos sur la littérature, les écrivains, le monde littéraire ont de quoi hérisser. Surtout ceux de Pierre Samson. Peu d’écrivains trouvent grâce à ses yeux.
«Réglons le cas de mon zona, puisque tu le mentionnes dans ta lettre. Admettons que c’est un problème somme toute mineur, un sain exercice de zénitude avant mon départ pour le Japon. Le pire avec ce virus, c’est la douleur constante, pulsative, quoique modérée, qui a meublé mes jours comme mes nuits. Et, franchement, encaisser un zona, c’est comme lire un roman de Victor-Lévy Beaulieu: vous savez que vous êtes confronté à quelque chose de plus fort que vous, c’est une marée puissante faite d’élancements dans un cas, polluée par d’innombrables débris littéraires [et coupants] dans l’autre, dont Ferron, Aquin, Ducharme et, bouée de sauvetage, Joyce. Peu importe de laquelle de ces épreuves il s’agit ici, l’évocation d’un dix-huit roues lancé à tombeau ouvert sur une autoroute du 450 et vous imprimant pour de bon sur l’asphalte prend alors des airs de libération.» (p.12-13)
Bertrand Laverdure, heureusement, même s’il a des idées sur ce que doit être un roman et l’écriture, se montre plus tolérant.
«…VLB, si on met sa poésie de côté, a pondu des œuvres majeures, que ce soit dans le domaine de la biographe d’écrivain (Melville, Joyce, Voltaire), du roman-fleuve, du roman poétique, de l’étude sur l’édition au Québec, de l’essai en général et du téléroman à succès. Il est un monument de nos lettres ET un histrion éhonté de notre histoire littéraire.» (p.19)
Samson ne semble guère lire ses contemporains, ce qui ne l’empêche pas d’avoir des idées tranchées, surtout sur le travail des chroniqueurs.
«Je nous demande d’éviter le piège de l’indéfinitude, zona de la prose québécoise, notamment chez nos tortionnaires en pantoufles, les chroniqueurs : Mort au «on»! Je n’en peux plus de ces fadaises indéterminées, de cette présence floue, de ce «nous» de bigleux, de ce «je» outremontais, c’est-à-dire un «nous» monarchique non assumé, et avec raison.» (.12)
Une fois à Tokyo, dans une résidence d’écrivain, Samson crache souvent dans la soupe, se moque des fonctionnaires, des manies des Japonais et peut-être aussi des siennes. Il a l’œil pour débusquer les travers de ceux qu’il approche.
Laverdure, à Saint-Ligori, découvre la vie à la campagne, fait preuve d’une franchise troublante quand il raconte ses misères de jeunesse et ses expériences.

Recherche

Quand les deux écrivains tentent de cerner le pourquoi de l’écriture ou leurs ambitions, la quête, malgré les doutes et les obstacles, devient vibrante. Les deux cherchent un ancrage au cœur des mots, un monde où l’imaginaire et le réel peuvent se colletailler. Ils bousculent leur désir de renouveler la littérature en la forçant à aller au-delà de la vie peut-être et des sentiers trop fréquentés. Comment ne pas aimer? C’est chaud, vivant, même s’ils m’ont fait rager souvent.

«Lettres crues» de Bertrand Laverdure et Pierre Samson est paru aux Éditions La Mèche.