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vendredi 26 octobre 2018

MATHIEU SIMARD TOUCHE LE COEUR


MATHIEU SIMARD, une fois de plus, nous prend par la main avec Les écrivements. Inutile de chercher ce mot, vous ne le trouverez pas dans le dictionnaire. Ce terme est l’invention d’une petite fille nommée Fourmi, une petite voisine de Jeanne qui joue à lire dans son carnet même si elle ne connaît que quelques lettres. Une belle occasion de laisser aller son imagination sur ces fragments où Jeanne s'attarde à ses grandes et petites douleurs après le départ de Suzor, son compagnon, son amoureux, l’homme de sa vie, celui avec qui elle a connu le pire et le meilleur. Elle écrit pour se calmer et comprendre peut-être ce que la vie lui a fait. Souvent, on « voit » mieux en écrivant qu’en parlant. C’est mon cas. J’écris, donc je pense. Une habitude de glisser sur les mots, de secouer des phrases pour trouver un ancrage à ses jours et se donner un élan.

Mathieu Simard semble avoir un faible pour les histoires d’amour malheureuses. Dans Ici et ailleurs, paru en 2017, Marie et Simon tentaient de se retrouver après la mort de leur fille. Jamais ils n’arrivent à sortir la tête hors de l’eau, même en tentant de se couper de leur passé dans un nouveau village qui dissimule bien des drames et des secrets.
C’est encore le cas dans Les écrivements. Suzor et Jeanne n’arrivent pas à oublier leur séjour en Russie. Une mission secrète du gouvernement canadien, une collaboration avec ce pays communiste alors que personne en Occident, du moins officiellement, ne parlait avec les Soviets. Ils devaient faire un stage dans les mines, partager des savoirs et des manières d’exploiter leurs ressources. Ils vivront plutôt l’horreur, un drame épouvantable et inexplicable dans la neige et le froid, au pied de la « montagne de la mort ». Une expédition qui a tourné au tragique, des visions d’horreur. Lui en revient complètement obsédé, incapable d’oublier, cherchant à comprendre.
Et le désastre arrive. Suzor part, quitte Jeanne, s’éloigne pour ne plus revenir. On ne perd pas l’homme de sa vie comme ça sans que tout ne soit bouleversé, sans claudiquer dans sa tête et son corps.

Quand Suzor est parti il y a quarante ans pour ne jamais revenir, je me suis promis de l’oublier, parce que le souvenir de lui l’autorisait à exister et que je ne pouvais pas concevoir qu’un homme qui existe ait pu me faire aussi mal. Pendant les semaines qui ont suivi, je me suis employée à brûler tout ce qui pouvait me faire penser à lui. Photos, lettres d’amour, chapeaux, vêtements. La moitié de notre chambre. À la fin il ne restait que le garde-robe de la chambre d’amis, qu’il avait rempli au fil des ans de choses inutiles. Je n’avais plus la force de le vider, j’en ai vissé la porte contre le cadre. (p.33)

Elle continue à respirer bien sûr, mais il y a une blessure en elle qui ne guérira jamais, habite les décombres de sa vie, voit des amis une fois par année, leurs amis.
Comment ne pas s’attacher à cette octogénaire qu’elle est devenue, à la « ma tante » d’un peu tout le monde, de ces amis qu’ils voyaient et qui lui rappellent son état d’humaine et de femme. Sa terrible solitude  aussi, le désastre de ses jours et des années.

Suzor n’avait que trois amis, qu’il connaissait depuis l’enfance : Skip, Jean-Luc et Robert-comme-sur-l’affiche. Les origines de leur amitié étaient floues et l’histoire changeait chaque fois que j’osais poser la question. Un jour ils étaient de simples copains d’école, le lendemain ils étaient des agents secrets à la solde d’une puissance étrangère, formés pour ressembler à des Québécois, le surlendemain ils étaient la même personne portant différents déguisements. Le secret de leur amitié était très simple : ils ne se voyaient presque jamais. (p.18)

Jeanne apprend, lors de l’une de ces fêtes, que Suzor est atteint par la maladie d’Alzheimer, le mal de l’oubli. Elle a voulu ça toute sa vie, mais ne peut rester là à ne rien faire, amorce alors une recherche, j’allais dire une quête. Où est-il, qu’a-t-il fait pendant ces quarante années ? Voilà la manière qu’a trouvée Mathieu Simard pour replonger dans le passé du couple, nous faire comprendre ce qui l’a détruit, nous rapprocher de ces êtres singuliers.

VIEILLESSE

Ce que j’ai aimé surtout, c’est le portrait sans complaisance que l’écrivain fait de Jeanne qui s’avance dans les filets de la vieillesse, vit les malaises d’une femme qui voit le temps se recroqueviller, prend conscience que son avenir est un sentier de plus en plus étroit.

La vérité, c’est que je suis une octogénaire irritée par la sénescence, qui survit à coups de pilules avalées chaque matin, renouvelées à tout jamais, à prendre avec de la nourriture. L’arrière-goût poudreux de la maladie ne s’efface qu’au moment d’aller me coucher. C’est ça, la vérité. Mais je dis rarement la vérité. (p.24)

Fourmi, après avoir déménagé avec sa famille, revient en jeune fille, pour comprendre, pour se calmer peut-être. Et voilà qu’elle plonge dans les recherches de Jeanne. On comprend alors que les angoisses de la vieille femme peuvent rejoindre aussi celle d’une jeune fille qui débute dans la vie et qui a du mal à se faire confiance.

ASPERGER

J’ai aimé comment s’y prend Mathieu Simard pour s’approcher de Suzor, cet homme doté d’une intelligence supérieure, un peu mal équipé quand même pour faire face à l’usage des jours, un peu asperger certainement, de ceux qui ne lâchent jamais quand ils s’intéressent à un problème ou un événement. Il se perd souvent dans des lubies, comme celle de construire un abri antinucléaire avec de vieux autobus. Une obsession qui a frappé l’Amérique dans les années cinquante alors qu’un peu tout le monde craignait la bombe atomique.
Et l’homme de Jeanne est parti sans laisser de traces. Il a fait ça toute sa vie. Sa famille d’abord pour les oublier, son frère qu’il a renié et Jeanne et d’autres. Les deux enquêteuses l’apprendront lors de leurs voyages et certaines rencontres, finiront par savoir où l’homme se terre.
Les retrouvailles doivent se faire aussi, ça arrive dans les meilleures histoires. Sinon, je serais le premier à m’en plaindre. On ne lit pas des centaines de pages, surtout après avoir tout misé sur des personnages attachants, sans avoir le droit de savoir. Quel bonheur en plus quand l’aventure vous étonne.
« La dernière rencontre », ça aurait pu être le titre de ce roman, arrive aux Îles de la Madeleine, ce croissant de verdure et de sable dans le golfe Saint-Laurent, ce bout du monde, ce commencement de tout peut-être.
Les écrivements m’a permis de m’abandonner à une écriture qui m’a laissé un peu tout croche. Suzor et Jeanne se sont aimés à la folie et les voilà l’un devant l’autre. Ils se saluent, marchent, l’un à côté de l’autre sur la plage. Lui ne sait plus, lui tente de jouer à être autonome et y arrive avec son intelligence. Il a toujours fait cela en quelque sorte, duper les autres. Jeanne ne brusque rien, l’accompagne, silencieuse comme elle l’a été toute sa vie avec lui, comme elle devait l’être aux côtés de cet homme autour duquel le soleil tournait.

C’est d’abord le claquement de la serrure que j’entends, puis une quinte de toux. Si le temps n’est pas important ici, c’est sans doute parce qu’il ne cesse de s’arrêter. Entre chaque son, chaque déclic, chaque mouvement de la lumière contre la paroi de la porte, le silence, l’immobilité et le vide. Quarante ans sont passés plus vite que ces secondes. Une goutte de pluie sur mon épaule. Un fil de poussière soulevée au loin. Suzor. (p.231)

Mathieu Simard y est d’une justesse et d’une précision remarquable. Ça vibre, ça touche.

ÂME

L’écrivain explore l’âme humaine, la folie, la violence et l’horreur, la fidélité, l’amitié au-delà des clichés et des aléas de l’âge. Il réussit l’exploit de se faufiler dans la tête des gens qui claudique dans la dernière courbe. Suzor a perdu de grands morceaux de sa vie. Jeanne aura tourné pendant quarante ans autour de ses écrivements sans parvenir à guérir.
La vie sans le lestage du passé n’est peut-être pas une vie. Il faut le poids d’une histoire pour s’accrocher, des amours, des douleurs pour se quitter et se retrouver, se regarder, se voir, penser, marcher l’un à côté de l’autre pour aller dans une même direction, dans ce qui sera peut-être leur dernière sortie.
Jeanne retrouve un homme qui s’est défait de ses obsessions et de ses hantises. Il est là, dans une certaine paix, dans une terrible solitude aussi.
Et cette histoire d’amour, de séparations, de douleurs et de fuites se termine par une phrase qui m’a touché au cœur et à l’esprit. Je suis resté là, le livre entre les mains, ne pouvant répéter que cette petite réplique de Jeanne. Sans arrêt. J’avais l’impression d’être un immense gong qui prolonge un son à l’infini. Une phrase tellement juste, belle, qui dit tout du roman. Je la répète et ça fait presque mal dans ce matin gris et venteux où je tente de mettre fin à cette chronique.
« — Viens, Suzor. On va s’oublier ensemble. »
Pas oublier, mais s’oublier l’un et l’autre. C’est à verser une larme. Voilà la grande tragédie de la vie : s’oublier.


LES ÉCRIVEMENTS, un roman de MATHIEU SIMARD publié chez ALTO, 2018, 240 pages, 23,95 $.
  
https://editionsalto.com/catalogue/les-ecrivements-matthieu-simard/

mercredi 8 novembre 2017

MATHIEU SIMARD BRISE DES MASQUES


MATHIEU SIMARD propose un roman fort troublant avec Ici, ailleurs, un récit qui entraîne le lecteur dans les jours qui suivent la mort d’un enfant. Marie et Simon s’accrochent et tentent de sauver leur couple, de retrouver le goût de vivre. Ils couleront à deux ou survivront. Comment oublier ce cancer fulgurant qui a emporté leur fille à l’âge des rêves et des jeux innocents ? Que dire devant la douleur de son enfant, que faire pour le soulager, comment accepter de voir sa fillette mourir ? Marie et Simon s’installent dans un village marqué par le destin…

Une jeune fille muette va tous les jours près de l’antenne qui se dresse sur la montagne, derrière le village, comme pour y capter un message. Le garagiste, l’homme à tout faire, un fainéant, tente de séduire Marie dès la première rencontre au restaurant. Un endroit déserté où Madeleine fait semblant que des clients vont se présenter en grand nombre. Il y a aussi les Lavoie qui s’installent pour l’été avec leurs enfants, une famille qui ne semble connaître que le bonheur.
Marie et Simon ont acheté la grande maison du Vieux. Un coup de cœur, une impulsion. Ils n’arrivent pas à défaire leurs boîtes, peut-être parce qu’ils savent que leur séjour sera temporaire, qu’ils n’arriveront plus à avoir un chez-soi. Ils font l’amour frénétiquement, avec rage, comme pour accomplir un devoir quotidien.

ÉTOURDISSEMENT

Que dissimule cette frénésie ? On comprend après un certain temps. La fille de Marie et Simon est morte d’un cancer. Le monde a glissé sous leurs pieds. Ils n’arrivent plus à trouver une direction, des certitudes et le goût de vivre.

Je me relève, secoue mes vêtements et feins la contrariété. Elle continue de rire, comme pour s’accrocher à ce moment jusqu’à ce qu’un autre nous rejoigne, mais dès que ses yeux se posent sur le parc, derrière nous, le rouge, le jaune, le sable, l’absence de traces de pas, Marie perd son sourire. La lumière fragile dans son œil s’éteint et elle avance vers le vide. Je la suis et je sais qu’aussitôt dans la maison elle ira avaler deux ou trois comprimés devant le miroir de la salle de bain. Ce sera à son tour de tomber. (p.25)

La vie continue tout croche dans le village où tout le monde rumine des blessures. Et comme dans tous les villages, on se méfie des nouveaux arrivants, des poseurs de questions, de ceux qui risquent de bouleverser l’ordre des choses. On se croirait dans un roman de Lise Tremblay, dans ces agglomérations où tout le monde connaît les secrets des autres, où les haines et les colères sont soigneusement étouffées. Il faut toujours sauver les apparences. Personne ne veut se faufiler derrière la façade et dire les vraies choses. Une manière de se protéger certainement. Un esprit de clan que Lise Tremblay illustre magnifiquement dans L’habitude des bêtes et La Héronnière.

QUESTIONS

Pourquoi tant de maisons abandonnées, d’installations en décrépitude, ce terrain de jeux qui ne sert plus à rien et qui avive la douleur de Marie et Simon ? Et Fisher qui sait tout, qui fait tout, qui boit pour s’étourdir et perdre contact avec la réalité. Et qui était ce Vieux dont personne ne veut parler ? Un étranger lui aussi, quelqu’un qui avait une vie ailleurs.

Nous survivons en échangeant nos mensonges comme les enfants échangent leurs jouets. Dans ce village qui ne nous ressemble pas nous apprendrons à inventer les vérités qui nous feront le plus de bien. Je sais maintenant que nous ne pourrons jamais oublier le passé, mais c’est ce que nous essaierons de faire malgré tout. Oublier le passé et nous aimer aujourd’hui. Isolés loin d’ailleurs, nous masquerons nos cicatrices à coups de fausses espérances. (p.43)


Simon s’accroche à Marie qui ne sait plus trop qui elle est, qui devient violente même dans sa volonté de remplacer sa fille. Et Fisher tourne tandis que Madeleine se montre particulièrement vindicative envers la nouvelle venue, comme si elle menaçait de tout faire s’écrouler.
Alice passe en regardant droit devant elle. Simon la suit et comprend les drames qui ont frappé à gauche et à droite. Celle qui s’est enfermée dans le silence pour oublier se confie, peut-être parce qu’elle devine sa douleur et qu’elle peut enfin partager la sienne.

Tout ce qu’y ont vu, c’est un enfant paralysé par ma faute, la même fille qui en avait fait disparaître un autre douze ans plus tôt. C’était encore moi la coupable, pis cette fois-là j’avais pas quatre ans, j’en avais seize. Pis c’était ma deuxième fois… Pour eux ben vite c’est devenu clair que j’étais pas correcte. Pis cette fois-là, mon père il m’a pas défendue. Y était tellement en peine pour son petit-fils qu’y s’est laissé convaincre que c’était de ma faute. Après ça, y s’est mis à en perdre des bouts. Je suis partie juste avant qu’y meure. Ça a pris deux ans avant que j’apprenne qu’y était mort. C’est là que je suis revenue. (p.113)

Le sentiment de culpabilité, l’impuissance, la certitude de ne pas avoir su faire le bon geste, d’avoir été témoin des ravages de la mort sans pouvoir s’interposer. C’est le drame de Simon et Marie, d’Alice et de Fisher. Nous avons tous peut-être des moments que nous aimerions effacer. Il suffirait d’un mot pour que tout soit différent. La vie est si compliquée et si simple.
Le propriétaire de l’épicerie part quand Madeleine, qu’il aime depuis toujours, le repousse. Alice, Simon l’apprend, est la fille du Vieux, la sœur de Fisher. Tout le monde se connaît, tout le monde sait, ravale en silence. Marie et Simon ne pourront survivre. Ils sont déjà morts près d’une petite fille aux grands yeux qui jonglaient avec des pourquoi et qui ne demandait qu’à rire.

TENSION

L’étau se resserre et ça devient difficile de respirer. Je me suis senti si vulnérable. Personne ne peut tricher. La mort ne trouve d’issue que dans la mort. Les survivants ne peuvent-ils que se sentir responsables des disparus ? La réalité finit toujours par s’imposer et il n’est pas toujours facile de faire face. Je pense à ma sœur qui voulait tant vivre et qui savait que le temps lui glissait entre les doigts. Le cancer, toujours lui, la happait hors de la vie des siens. J’y pense presque tous les jours. Et aussi ma mère, dans ses derniers souffles, avec ses grands yeux bleus ouverts sur l’éternité.

Notre tout s’est dissous dans un four crématoire et l’urne dans une boîte de déménagement nous rappelle que nous ne pourrons plus être. Nous faisons semblant. L’horloge. Le calendrier. Vieillir. Nous ferons semblant. Et la paix, c’est le bout vide entre deux conflits, j’ai mal au sang, j’aurai toujours mal au sang. Et la pluie c’est elle, notre fille qui revient nous taper sur l’épaule, chaque goutte d’eau c’est elle qui nous rappelle que nous ne pourrons jamais endurer la douleur, combler son absence, annuler son départ. (p.68)

Un roman particulièrement dense. Le brouillard qui entoure Marie et Simon, Alice et Fisher, se dissipe lentement. Comment en réchapper ? Fuir, partir comme le vieil épicier le fait ou comme Alice l’a fait ? Il semble bien qu’il n’y a pas de refuge pour oublier ce qui froisse l’être. Alice est revenue pour confronter son drame. Elle s’est enfermée dans le silence, comme on le faisait autrefois dans les monastères pour faire taire la douleur. Pour se punir aussi. On finit toujours par partir, même de la plus maladroite des façons.
La solution est peut-être d’osciller entre le point de départ et le point d’arrivée comme Virginie Blanchette-Doucet le fait si bien dans 117 Nord. Maude a tout perdu et elle est condamnée à aller et venir entre l’Abitibi et Montréal sans jamais arriver à oublier la perte de son pays et de son grand amour. L’ici ne peut jamais être l’ailleurs tout comme l’ailleurs ne peut avaler l’ici. Un drame terrible que Mathieu Simard traite avec une délicatesse remarquable.


ICI, AILLEURS de MATHIEU SIMARD est paru chez ALTO ÉDITEUR.


  
http://editionsalto.com/catalogue/ici-ailleurs/