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vendredi 26 juin 2020

HÉLÈNE VACHON NOUS ENVOÛTE

HÉLÈNE VACHON propose une douzaine de nouvelles chez Alto. Dans Le complexe de Salomon, l’écrivaine passe de la tragédie au rire, de cette belle «légèreté de l’être», pour évoquer monsieur Kundera, au drame. Cette écrivaine donne un souffle singulier à la nouvelle, à l’art du texte court, au formidable pouvoir de l’humour. Un sourire, un temps de réflexion, une situation un peu étrange montrent les travers des humains qui adorent se compliquer la vie, vivre toutes les émotions imaginables.

J’ai toujours du mal à rédiger une chronique quand je referme un livre que j’ai particulièrement aimé. Les mots m’échappent on dirait et je dois résister à la tentation de bondir partout comme un chien fou qui se laisse emporter par les odeurs et les bonheurs de l’errance. Mon plaisir de lecture m’aveugle peut-être, m’empêche de mettre la main sur les expressions qui conviennent au travail de l’écrivain qui a su si bien me remuer. Comme si je n’arrivais qu’à balbutier en voulant cerner les nouvelles d’Hélène Vachon. Le complexe de Salomon m’a fait m’agiter tel un colibri qui va d’une fleur à l’autre, s'éloigne et revient dans la frénésie du bourdon qui mesure les lilas. Et certaines phrases résonnent comme des invitations à la contemplation et la réflexion. 

Nous sommes les enfants du silence. Nous n’attendons pas de la vie qu’elle nous donne tout. (p.33)

Ou encore un propos vous titille, vous laisse muet, incapable d’ajouter quoi que ce soit.

Les grandes tragédies commencent presque toutes par une question anodine. Il vaut mieux les tuer dans l’œuf, les tragédies comme les questions. (p.65)

La sensation de m’asseoir devant un coucher de soleil qui prend toutes les parcelles de l’horizon et s’éclate dans un dégât de couleurs aveuglantes. Oui, la beauté, la justesse peut causer une cécité temporaire et ce n’est pas du tout douloureux.

RHÉTORIQUE

Ce titre à connotation biblique coiffe l’avant-dernière nouvelle où Salomon, un avocat, se met dans tous ses états pour tirer les choses au clair. Malgré sa rhétorique de plaideur, il ne parvient qu’à embrouiller tout le monde. Comme quoi les discours et les raisonnements ne viennent jamais à bout des problèmes les plus simples, surtout quand on s’enferme dans une logique qui nous pousse inexorablement vers l’absurde. L’homme fait son spectacle, effarouche les témoins qui se demandent s’ils ont un fou ou un type dangereux devant eux.
Que d’émotions dans ce recueil trop bref! Parce que j’aurais aimé faire un bout de chemin avec madame Vachon qui m’a touché profondément dans une ultime nouvelle tout à fait remarquable. Désenchantement est un cri, un arrêt sur l’exil, la vie en se rapprochant des derniers moments de Stefan Zweig, l’auteur autrichien bien connu pour ses romans et ses pièces de théâtre. Ayant dû fuir le nazisme en Autriche, il met fin à ses jours au Brésil qui l’a accueilli. Une densité rare, des phrases qui résonnent tels des gongs. J’ai parcouru ce texte à plusieurs reprises, examinant les mots dans toutes leurs rondeurs. 

Le devoir de l’intellectuel est de parler à travers son œuvre, l’écrivain est libre, il a le droit de rester en marge, de s’extraire d’un monde qui ne le satisfait pas, de perdre de vue tout ce qui n’est pas son œuvre parce que là, et là seulement, est son salut. (p.96)
 
Étourdissant, puissant et dérangeant. De quoi méditer en ce temps de pandémie où il faut se renouveler, paraît-il, faire autrement. En tournant peut-être le dos à l’œuvre pour se perdre dans les méandres de l’informatique et s’enivrer des prouesses de ces appareils dits intelligents

PERCUTANT

Tout dérange dans Le complexe de Salomon qui passe du sourire aux larmes presque. Que dire à Alyssia, la fille effacée devant son époux qui se perd dans les méandres du cerveau? D’autant plus que sa mère en mène large et prend tout l’espace autour d’elle. L’épouse esseulée entreprend d’attirer l’œil de son chercheur de mari en recourant à la chirurgie esthétique. Une tragédie qui touche les femmes qui veulent transformer leur corps pour correspondre à un idéal. Une réflexion originale sur les caractères culturels que l’on ne peut s’approprier sans provoquer des effets pervers.
Heureusement, Hélène Vachon sait ménager son lecteur et m’a permis de reprendre mon souffle avec des nouvelles qui se révèlent quand même troublantes quand on gratte le vernis. Ce texte par exemple où un jeune de dix-sept ans doit faire euthanasier son chien. Si son compagnon est rendu à bout de forces, lui n’en est qu’au début de son aventure. Le temps se mesure bien différemment chez les êtres vivants. Et les animaux sentent peut-être quand ils doivent quitter, que la vie leur a donné tout ce qu’elle avait à offrir. Les humains sont-ils les seuls à croire qu’ils peuvent continuer au-delà de toute espérance et ne jamais céder leur place?

Le chien lève sa grosse tête, ses yeux imprécis se posent sur le garçon immobile. Pousse la porte, allez! Jérémie tressaille, je ne peux pas, dit-il. Mais oui, tu peux. Le chien s’assoit devant la porte et attend, il attendra le temps qu’il faut. (p.62)

Que dire de l’entrevue avec un vieil écrivain sourd comme une pierre? L’émission dérape et devient loufoque, tragique, montre encore une fois que le factice ne donne jamais de bons résultats. Il suffit de si peu pour que tout se détraque et bascule dans l’absurdité.

REGARD

Hélène Vachon aime ses semblables, même si elle a un don pour déceler leurs travers et leurs qualités. J’ai ri en suivant cet auteur qui cherche à se défaire de ses romans invendus et n’y arrive jamais malgré des prouesses d’imagination et des tentatives qui se retournent toutes contre lui.  

Curieusement, au lieu de se désoler, au lieu de penser même la vermine ne veut pas de mes livres, l’écrivain se dit mes livres sont ininflammables, insubmersibles et imputrescibles. Il en déduisit, avec un embryon de joie au cœur et toujours aussi peu de logique, qu’ils traverseraient les ans. (p.43)

J’aime ces phrases sculptées qui tombent comme des aphorismes que l’on ne peut changer et que l’on répète en baissant la tête.

… le pays perdu ne se rattrape jamais, toute ressemblance est un leurre, surtout quand ce qu’on a perdu a les dimensions d’un continent. (p.94)

Souvent, Hélène Vachon m’a laissé songeur devant un énoncé qui vient vous ébranler dans ce que vous êtes et pouvez être. Ça touche le cœur et l’âme. J’aime quand les nouvelles s’éloignent de l’anecdotique pour effleurer le souffle qui rend vivant et fait prendre conscience du monde et de ses pièges. 
Un recueil tout à fait remarquable.

VACHON HÉLÈNE, Le complexe de Salomon, Éditions ALTO, 104 pages, 18,95 $.

https://editionsalto.com/catalogue/complexe-de-salomon/

lundi 18 mars 2013

Hélène Vachon cerne l'âme du comédien


Hélène Vachon possède l’art de surprendre quand elle propose un nouveau roman. Chaque fois, elle étonne et captive. Avec «La manière Barrow», elle s’aventure dans le monde des comédiens qui «doublent» des personnages de séries télévisuelles ou qui travaillent dans la publicité. Leurs voix deviennent celles des autres, leur identité devient floue en changeant continuellement de visages. Peut-être à tort, j’ai fait le lien avec les écrivains qui «incarnent» tous les personnages de leurs ouvrages. Qui est qui dans cette bousculade?

J’ai aimé cette quête de soi qui peut devenir particulièrement obsédante chez un comédien. Où s’accroche le moi véritable, l’être dur qui constitue la personnalité? Et si l’art de la scène n’était que pertes, glissements pour ces hommes et ces femmes qui prennent l’identité de personnages qui tendent les mains les uns vers les autres sans jamais pouvoir se rejoindre. Voilà quelques questions qui m’ont habité en lisant «La manière Barrow».

Idéal

Grégoire Barrow, enfant, s’entraînait à dire les grands textes et rêvait d’incarner tous les rôles sur une scène.
«Dans la pénombre de sa chambre, à l’abri des regards, chaque fois que frères et parents s’absentaient, Grégoire Barrow déclamait – Shakespeare, Racine, Molière. Un verre de vin à la main, la bouteille parfois, il déambulait à travers la maison vide en récitant tout ce qui lui tombait sous la main, riant souvent, sanglotant un peu, gesticulant beaucoup, infiniment seul, infiniment heureux. Quand par hasard il croisait son image dans le miroir, il s’arrêtait un instant, confus. L’étrangeté de son visage le surprenait chaque fois.» (p.8)
Il module sa voix, oublie peut-être de glisser dans le corps des héros qu’il voudrait incarner. Il reste maladroit, un peu embarrassé par ses bras et ses jambes. Peut-être que c’est ce qui l’éloigne de la scène et des grands personnages dont il rêve.
Pourtant, il est recherché pour les messages publicitaires. Grégoire sait trouver le ton qui permet de parler des savons et du Viagra avec conviction. Il devient la voix. Il abandonne peu à peu la publicité pour doubler des séries populaires, incarner des personnages dont les enfants raffolent. Il connaîtra une certaine notoriété en devenant la voix d’un canard. Il est loin de Ionesco et de Shakespeare. Il sera aussi la voix française de personnages de feuilletons populaires.
«Grégoire inclinait la tête de côté et contemplait longuement son image, comme il le faisait à dix-huit ans, à vingt ans, dans la maison vide. Gros balourd ! s’exclamait-il. Je te prête ma voix, je te prête mon talent, ma vie et, petit à petit, je m’efface. Je parle comme toi, je pense comme toi, je m’endors en pensant à toi, je te retrouve à mon réveil et pourtant tu ne m’intéresses pas. Je n’aime ni ta façon de vivre ni ta façon de penser. Je te rencontrerais dans la rue que je ne t’adresserais même pas un regard.» (p.54)

Il croit décrocher un vrai rôle en incarnant Ulysse dans une adaptation de L’Odyssée. Les producteurs étouffent ses espoirs et n’entendent pas donner au héros d’Homère la voix du Viagra. Difficile à prendre pour un comédien qui se croit destiné aux plus grands rôles. Il peut enfin incarner Bérenger dans «Le roi se meurt» de Ionesco. Un rêve qui le décevra une fois de plus.

Rencontre

Edward Blake est Dough dans la série «Voisins voisines» que Grégoire double en français. Le vrai comédien débarque chez lui et s’installe. Comment vivre avec son alter ego? Les personnalités se mélangent, se bousculent, se heurtent même. Qui est qui?
Grégoire s’est permis de «glisser des phrases» qui n’ont rien à voir avec le texte original en devenant la voix de Dough. Une forme de suicide professionnel peut-être pour se retrouver et passer enfin à autre chose. Curieusement, personne ne semble s’apercevoir de l’écart. Blake le sait et c’est pourquoi il veut connaître sa voix française. Les deux cohabitent pendant que Grégoire se rapproche de son père mourant. C’est l’occasion aussi pour Barrow de retrouver son être qui s’est dilué au fil des ans.
Passionnant. Encore une fois, Hélène Vachon nous fait jongler avec de grandes questions existentielles. Qui oserait s’en plaindre? Un roman juste qui m’a laissé un peu en déséquilibre.

«La manière Barrow» d’Hélène Vachon est paru aux Éditions Alto.

dimanche 13 février 2011

Hélène Vachon: la tendresse et l’empathie

Autant le dire, j’ai failli refermer «Attraction terrestre» d’Hélène Vachon dès la première phrase. L’ouverture a de quoi affoler.
«Toute joie est révolution. Sans l’effet du contentement, la face de l’Homo sapiens commun se transforme. Jusque-là paisibles, les peauciers se réveillent, petit et grand zygomatiques se tendent, l’orbiculaire des lèvres se contracte, tandis que le risorius de Santorini retrousse les commissures, tissus contractiles par excellence. Cela s’appelle sourire et c’est très fatigant.» (p.9)
Heureusement, je suis un lecteur persévérant. Il est rare que j’abandonne un livre, n’en déplaise à Monsieur Pennac et les diktats du lecteur. Il faut donner une chance à l’écrivain de se faire entendre. Et comment juger à partir de quelques lignes?
Quelques pages plus loin, Madame Vachon répondait en quelque sorte à mes hésitations.
«Entamer un livre est toujours une étape et les débuts, c’est difficile. Il est donc recommandé de le faire dans un hôpital… …Les trente premières pages sont les pires. De quoi me parle-t-on? Où l’action se déroule-t-elle et à quelle époque? Grands dieux, que se passe-t-il? Après, vous abandonnez ou ça va tout seul.» (p.20)
Il  est rare qu’un écrivain vous guide. Ils prennent plutôt un malin plaisir à brouiller les pistes.

Histoire

Hermann est thanatopracteur ou embaumeur. Un métier plutôt inquiétant pour la plupart des vivants. Il habite un bloc appartement, côtoie ses futurs clients, des clientes surtout.
«En haut de chez moi vit la très vieille et insonore Mme Le Chevalier. Je l’aime énormément. Elle a un je ne sais quoi qui vous fait haïr le neuf. Elle est tellement plissée et toute en muscles mous que c’est à se demander pourquoi on n’y a pas pensé plus tôt. Elle sait ce que je fais et me prend comme je suis, nos rapports sont cordiaux.» (p.13)
Tous sont de sa famille en quelque sorte. «Douze femmes pour un homme, c’est le ratio.»
Il vit une relation amoureuse avec Clotilde sans éprouver la grande passion, cherche même à rompre, se pâme devant Zita, une stagiaire, sans oser s’épancher.
«Zita dans sa combinaison multipoche, Zita éminemment élastique, avec ses muscles qui doivent se remettre en place tous seuls quand on les déplace. Je ne sais pas, je ne les ai jamais déplacés. Zita a deux épaules, un cou, les yeux et les cheveux noirs, des muscles longs, des tissus très vivants et des creux poplités du tonnerre. En plus, elle ests anergique, ce qui est très pratique dans le métier.» (p.105)
Voilà la façon d’Hélène Vachon et sa manière de décrire des personnages et son univers. On se laisse rapidement prendre.

Drame

L’une de ses connaissances est pianiste. Il apprend qu’il est le fils d’un résidant de son immeuble, un homme un peu étrange qui lui a confié un manuscrit qu’il a égaré.
Le musicien ne contrôle plus ses mains. Il a toujours été trop grand, trop gros pour son père qui se passionne pour les miniatures. Tout se déglingue dans son corps et la mort se profile. L’artiste tente de s’accrocher et sa lutte devient pathétique. Un être seul qui ne sait comment communiquer malgré son don pour la musique. Si la vie est douce pour plusieurs, elle est impitoyable pour lui. Hermann fera tout pour l’aider à vivre, sans parvenir à juguler sa détresse et sa terrible solitude.
Voilà tout le roman. L’empathie, la tendresse qui pousse à agir et à aider ses semblables. Tous, nous avons besoin d’un peu d’attention et d’amour avant de confronter l’inévitable.
Le vieillissement, la maladie, la création, l’amour, l’amitié sont abordés dans «Attraction terrestre» avec finesse et délicatesse. Un microcosme où la vie s’exprime avec ses heurts et ses contradictions.
Un roman terriblement attachant et émouvant. Un baume qui donne l’envie de vivre en étant plus attentif à ses proches et ceux qui habitent nos jours.
L’écriture pleine d’humour rend le tout particulièrement sympathique et vibrant. Plus qu’une lecture, c’est une rencontre, un moment de vie qu’il est difficile d’oublier. Une formidable réussite!

«Attraction terrestre» d’Hélène Vachon est publié aux Éditions Alto. 
http://www.editionsalto.com/catalogue/attraction/