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mercredi 7 décembre 2016

Maude Veilleux risque tout pour arriver à l’écriture


UNE JEUNE FEMME entend vivre la liberté dans ce qu’elle a de plus enivrante et de plus exigeante. Elle écrit, veut traduire la vie dans son intimité, se glisser dans une fiction qui colle à ses pulsions. Elle vit en couple, mais chacun a droit à ses espaces et ses escapades. Lui aime bien « coucher avec des hommes » et elle se permet des fredaines à gauche et à droite. Des aventures qui exigent de garder l’esprit libre et de ne jamais se laisser prendre par les émotions. Cette fameuse exploration des sens prend des directions étonnantes et la narratrice s’attache à son amant, s’accroche, devient le roman, le corps du texte. Tout se mélange, se bouscule et ne reste plus qu’une désespérance qui emporte tout.

Prague vient comme un prolongement au premier roman de Maude Veilleux, Le vertige des insectes, paru en 2014. La même narratrice que l’on peut confondre avec l’écrivaine. Ce roman existentiel laissait le personnage de Mathilde au bord du gouffre après la fin d’une aventure amoureuse.
Ici, la narratrice entend vivre une sexualité sans restriction tout en protégeant sa vie de couple. La fidélité n’est-elle qu’une disposition de l’esprit ? La loyauté peut-elle survivre quand on s’abandonne à ses pulsions, multiplie les aventures ? Comment faire de sa vie intime un projet d’écriture ? Comment rester indemne dans une expérience littéraire qui s’écrit avec son corps, ses pulsions et ses sentiments ? C’est le pari que Maude Veilleux tente dans Prague, un roman de passion, de sexe et de mal-être, de désirs où les frontières s’abolissent et ouvrent de terribles blessures.

L’entente avec mon mari était simple, mais nécessaire à la survie du couple ouvert. Nos relations extraconjugales ne devaient pas nuire à notre couple. Pas le droit de tomber amoureux ni de découcher. Il fallait choisir des gens que l’autre n’aurait pas à côtoyer. Il y avait aussi la liste de gens interdits. La sienne était plus longue que la mienne. Probablement parce que j’avais une tendance à la jalousie plus prononcée. Pour l’instant, tout était sous contrôle. (p.17)

Pas facile ce texte où l’écrivaine se complaît dans les scènes épidermiques, la description d’aventures frénétiques dans les termes les plus crus. Une écriture neutre, sans fioriture, fiévreuse je dirais. J’ai failli abandonner. Où Maude Veilleux voulait aller en multipliant les jeux sexuels qui dérivent vers le sadomasochisme à quelques reprises. On a beau vouloir vivre toutes les expériences, on finit par faire du surplace dans ses rencontres charnelles.

QUESTIONNEMENT

Et brusquement, il y a un projet littéraire qui fait surface. Il était temps. Maude Veilleux venait de titiller ma curiosité. J’ai continué à avancer, un peu aux aguets, prêt à fuir si on en restait aux baisers, aux fellations et à une certaine violence.

Cette histoire n’avait de sens que lorsque je commençais à l’écrire. Si je passais une semaine sans rédiger, je me croyais amoureuse, au bord du divorce. Il fallait que je ramène mon expérience à la littérature. Quand je terminais un bon paragraphe, peu importait ma peine, mon manque, ma culpabilité. Il y avait le texte. Le  texte salvateur. Celui par lequel tout existe, même moi. (p.47)

La narratrice vacille. Comment écrire sa vie, dire l’intime sans y laisser son âme ? Que faire après la trajectoire de Nelly Arcand qui a voulu que sa vie devienne une œuvre littéraire ? Ou encore l’expérience de Marie-Sissi Labrèche qui est descendu au fond du gouffre dans ses premiers ouvrages. La littérature est-elle la vie ?
Christian Mistral s’est retrouvé éclopé après un début foudroyant. Lui aussi a jonglé avec le feu. Jack Kerouac y a laissé sa peau, n’arrivant plus à repousser les filets du « vagabond céleste » qui l’a emporté dans la mort.
L’entreprise de Maude Veilleux est dangereuse. L’oeuvre littéraire s’aventure dans le plus intime, le dévoilement de l’être comme on le fait en enlevant tous les vêtements devant un partenaire amoureux. Quel texte arrive à tout dire et à vous colle à la peau comme la sueur ?

J’avais presque trente ans. Je ne savais plus trop bien en fait. Je mentais depuis longtemps sur mon âge. J’avais entre vingt-six et vingt-neuf. J’étais affolée par le temps qui filait. J’avais peur de ne rien être. Et, je n’avais que l’écriture. Que l’écriture qui me sauvait en dernier lieu, que ce roman que je voulais terminer pour au moins en avoir deux. Deux romans, un recueil et un autre posthume, peut-être que ça ferait de moi une écrivaine, une petite chose. (p.56)

Il faut que l’expérience se déglingue. Tout deviendrait inhumain si la narratrice ne se prenait pas aux pièges de l’amour. La jeune femme n’arrive plus à démêler le réel du rêve, la vie personnelle de son projet de roman. Cette expérience ne peut être intéressante que si les prémices s’écroulent et que le personnage se perd, se laisse prendre par des situations qu’il voulait contrôler parfaitement. Guillaume, le mari, devient particulièrement insensible et intransigeant en réclamant que l’entente du début soit respectée. Il ne comprend rien aux affres de l’amour. Et peut-être que les hommes peuvent vivre plus facilement le dédoublement, multiplier les aventures et demeurer intacts.
La narratrice se retrouve en pleine dépression, encore une fois au bord du précipice, tout comme Mathilde dans Le vertige des insectes. Comment rétablir le lien entre la vie réelle et l’écriture ? Comment traduire l’intime quand les passions et les désirs nous poussent dans des terres inconnues ? Il reste peut-être l’exil, Prague pour recoller ses morceaux d’être, chercher  le soi que l’on a éparpillé dans un Big Bang passionnel. Les blessures d’âme ne sont jamais faciles à vivre et Prague, la ville de tous les espoirs, devient le lieu où la narratrice va tenter de revenir dans sa tête et son corps.
Voilà un roman à risques qui effleure la folie, la démence et presque le suicide. Encore une fois le personnage de Maude Veilleux, sa sœur la narratrice je dirais, plonge au fond des pulsions pour en ressortir avec des ecchymoses au corps et à l'âme. Cette romancière pratique un art terriblement exigeant qui brûle toutes les énergies physiques et mentales. Oui, l’écriture peut être une aventure dangereuse et tout exiger de soi. Un roman extrêmement troublant. Une sorte de roulette russe où l’écrivaine risque le tout pour le tout. Je ne sais pas si je serais capable de couper tous les ponts pour en arriver à l’œuvre littéraire… Il faut un courage singulier ou une grande témérité.
J’en suis sorti un peu inquiet, dérangé parce que Maude Veilleux m’a entraîné dans un espace où je n’aime guère m’avancer. Il y a aussi cette forme d’impudeur, cette façon de tout mettre en pleine lumière sans se réserver un coin d’ombre. Il faut beaucoup d’audace pour plonger dans un tel projet. La narratrice devient l’écrivaine et plus personne ne sait qui est qui. Maude Veilleux s’est mis un fardeau terrible sur les épaules. Une écriture où elle brûle toutes ses cartouches, coupe tous les ponts. Troublant. Exigeant. Déstabilisant.

PRAGUE de MAUDE VEILLEUX est publié chez HAMAC ÉDITEUR.


PROCHAINE CHRONIQUE : AUTOUR D’ÉVA de LOUIS HAMELIN, paru chez BORÉAL ÉDITEUR.


lundi 21 avril 2014

Maude Veilleux tisse une toile d’araignée

Maude Veilleux, dans Le Vertige des insectes, une histoire en apparence banale, ancrée dans le quotidien, ne semble aller nulle part. Pourtant, un détail, un geste, l’impression qu’un drame couve, que tout va basculer d’un moment à l’autre, vous retient. Un terrible malaise. Les jours emportent Mathilde et nous voilà pris au piège. Les indices, disséminés un peu partout, prennent toute leur importance quand le geste de la jeune femme, à la toute fin, vous éclabousse. Une lente dérive des continents, un piège qui se referme peu à peu et laisse abasourdi.

Certains moments de l’enfance sont impossibles à effacer. Ils sont là, toujours prêts à refaire surface à la moindre occasion. Il suffit souvent d’un regard, d’une rencontre et tout revient, comme si le temps se repliait pour vous ramener à un événement qui a tout bouleversé.
Mathilde vit dans la grande ville avec son amoureuse, poursuit des études et tout semble bien aller dans le meilleur des mondes. Elle partage son appartement avec Jeanne et Thomas, un ami discret, un garçon qui vit des escapades amoureuses à gauche et à droite, dont une avec une voisine.
La grand-mère de Mathilde meurt. Il faut y arriver un jour. Une grand-mère aimée et aimante, toujours présente, capable de l’écouter et de la conseiller. Un choc, une grande peine qui font ressurgir une foule de souvenirs.

Elle se sentait seule, mais surtout étrangère à cet endroit ; des années la séparaient de ses douze ans. Elle aurait voulu porter une casquette encore une fois, remplir son sac de biscuits secs pour se rendre au village, dépenser ses économies en bonbons, jouer avec son frère dans la forêt. Oui, surtout jouer avec Christophe, n’importe où. (p.16)

 La mort de son jeune frère alors qu’elle n’était qu’une fillette la hante même si elle a tout fait pour oublier. Elle se sent responsable de cette tragédie. Le remords la ronge et vient la surprendre, ébranler toutes ses certitudes.

Une assiette apparut devant elle. Elle la repoussa ; une angoisse nauséeuse la tenait. Une gorgée d’eau pour caler le dégueulis des souvenirs. Elle voyait les mêmes visages, treize ans plus tôt. Assis au même endroit, parlant des mêmes choses du monde. La grand-tante venue malgré les neuf heures de voiture qui la séparait du cercueil de Christophe. Mathilde, trop jeune pour comprendre les conversations d’adultes, devant cette presque même salade de macaronis, savait que son enfance était affaire du passé. (p.18)

Le départ de sa copine pour le Yukon la plonge dans une lente dérive où elle n’arrive plus à s’accrocher. En fait, c’est plus compliqué que ça. Mathilde est hantée par le désir d’avoir un enfant, pour réparer peut-être la mort du frère, pour continuer la grand-mère dans sa descendance, maintenir les liens, tendre un fil entre les générations.

Souvenirs

Mathilde aide sa famille à vider la maison de sa grand-mère, fait des boîtes, trouve des objets qui font remonter des souvenirs, découvre aussi des aspects inconnus de cette femme qu’elle aimait tant. Cette grande maison que l’on va mettre en vente, c’est son enfance, sa vie que l’on va brader. Comme si elle faisait l’inventaire de son passé, n’osait se tourner vers l’avenir.

Mathilde aurait aimé tout conserver, acheter la demeure et y vivre comme sa grand-mère l’a fait. Des enfants dans les tiroirs, un chien couché sous la table, un camion stationné dans l’entrée. Elle se lèverait tôt pour préparer les crêpes aux bleuets, guetterait l’autobus scolaire le visage collé à la fenêtre. Elle n’aurait jamais peur la nuit. Elle sortit un pyjama de bébé, caressa le tissu souple au motif de pois. Elle le mit de côté pour l’apporter chez elle. (p.115)

Elle invente les occasions pour séduire Thomas et devenir mère. Malgré plusieurs tentatives où elle pense avoir tout prévu, elle n’y arrive pas. Comme si son corps refusait la maternité.
Tout s’effrite et Mathilde s’enfonce de plus en plus dans le silence, dans cette obsession qui la tourmente du matin au soir. Elle ne s’intéresse plus aux études qu’elle devait poursuivre à l’automne, se perd quand elle veut lire ou s’intéresser aux gens de son entourage. Tout meurt autour d’elle. Son chat et les insectes qu’elle ramasse un peu partout. Même les communications avec Jeanne sont de plus en plus laconiques et insignifiantes. L’univers se replie pour la broyer. Elle perd pied et il y a des images d’une exposition qui ne cessent de s’imposer.

Les images vues au musée ne la quittaient plus. Elle avait abandonné son chandail, parcourait son abdomen, questionnait les masses sous la paroi de chair. Où percer ? Où ouvrir une brèche ? (p.122)

Une forme d’accouchement où l’on s’ouvre le ventre pour en laisser sortir les organes vitaux. Une fascination morbide.
Un roman dense, réussi. Un monde vous aspire et vous broie. Maude Veilleux place les éléments du piège et le lecteur est cerné peu à peu. La fin ébranle, surprend, vous fige. Tout vous poussait vers ce geste et pourtant vous n’avez rien vu. Vous voilà en train de douter de vos capacités à voir les autres, les drames qu’ils peuvent vivre.
Des atmosphères, des déplacements tectoniques qui remuent les profondeurs et broient l’être. Un véritable jeu d’échecs où tous les éléments poussent vers l’inéluctable. Un drame qui donne des frissons dans le dos, écrit avec délicatesse.


Le Vertige des insectes, de Maude Veilleux est paru aux Éditions Hamac, 18,95 $.
http://www.hamac.qc.ca/collection-hamac/vertige-des-insectes-695.html