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mardi 15 septembre 2015

Jean-Pierre Vidal secoue le monde des apparences


La société est en mutation et la littérature connaît une prolifération phénoménale. Écrire est maintenant possible pour tous. Ce n’est qu’une question de marketing et de vedettariat. Il faut d’abord se faire voir à la télévision ou au cinéma pour s’assurer de faire les manchettes. Les humoristes ont commencé à prendre d’assaut les salons du livre après avoir pillé la télévision. La culture humaniste est devenue suspecte et plus personne ne se gêne pour ridiculiser les écrivains plus exigeants. La philosophie, la poésie et la réflexion sont en train de devenir obsolètes. Encore plus étrange, au Québec, il y a de plus en plus d’écrivains et de moins en moins de lecteurs.
  
Jean-Pierre Vidal a enseigné la littérature à l’université, exploré des textes pour en retirer la « substantifique moelle » comme Victor-Lévy Beaulieu le répète. La situation actuelle le préoccupe. La réflexion est-elle une « maladie » qui ne touche que les plus de cinquante ans ? Comment naviguer dans une société où les opinions pleuvent au détriment des idées?

Mais l’enseignement, même universitaire, n’est pas que recherche et combat singulier ou étreinte avec un ou plusieurs auteurs, une ou plusieurs littératures. Il est aussi, justement, enseignement, c’est-à-dire nécessité de convaincre, prouver, séduire, sans que je n’aie jamais très bien su si ces trois opérations ne constituaient pas une seule et même activité, une seule et même attitude peut-être, innommable, incernable, et dont les deux autres ne seraient qu’une variante, ou plutôt le spectre. Dans cet exercice, je me suis bien souvent senti envahi par une force, une pénétration, une créativité, une science, qui n’étaient pas les miennes. Je les sentais venir du lieu et de la circonstance. Je n’étais que la caisse de résonnance de courants qui convergeaient vers le texte étudié. (p.63-64)

Que ferait Érasme dans un salon du livre ? Imaginez Platon dans un stand attendant de dédicacer Le banquet à côté de Ricardo. Vidal pourrait le faire à sa place bien sûr. Mais il n’y a pas que cette préoccupation dans Méfaits divers. Il y a un côté intimiste quand il est question de la vieillesse et des traces que nous laissons derrière nous. Y aura-t-il quelqu’un pour se rappeler notre passage ? Il y aussi l’absurdité, la violence, la vie qui vous emportent dans un tourbillon où les pulsions font foi de tout. Jusqu’où va aller la télévision dans l’horreur et le sensationnalisme ? Qui se préoccupe d’un message Facebook vieux de trente minutes ? Le passé n’arrive plus à être le passé et l’avenir est trop lointain pour s’en préoccuper. Il n’y a que l’ici, le maintenant, le jour de l’aujourd’hui.

SENS

Et les succès littéraires de maintenant ? J’y reviens parce que je me questionne sur le sujet, me demandant si tous les efforts consentis pour faire connaître les écrivains et leurs livres ont été utiles. Je ne suis pas pessimiste, mais il me semble que le monde en qui j’ai tellement cru est en train de s’écrouler. Les ventes de livres sont en chute libre malgré des initiatives formidables comme le « 12 août ». J’achète, mais est-ce que je lis ? Cet aspect ne semble guère intéresser les libraires et les éditeurs. Je vends, donc je suis. Les médias sociaux sont un marché où des « auteurs » offrent leur nouveau-né à tout venant. Des textes souvent simplistes, mal écrits, gorgés de fautes, pour ne pas dire bégayants et répétitifs. Je fréquente les médias sociaux tout en tentant de comprendre le phénomène. Est-ce que placer une photo ou un message sur Facebook permet de faire connaître un écrivain et de pousser un lecteur vers son livre ? Toujours l’impression de voir des milliers de personnes crier moi, moi à longueur de journée.
Le silence médiatique qui entoure la parution de 666 Friedrich Nietzsche de Victor-Lévy Beaulieu est assez troublant. Trop long, trop difficile, trop exigeant. Pas un chroniqueur ne s’est porté volontaire dans un grand journal comme La Presse. Silence aussi dans Le Devoir. Les écrivains qui empruntent des sentiers peu fréquentés sont marginalisés et ignorés. Qui lit encore Marie-Claire Blais ? Qui s’attarde à un roman de plus de 200 pages maintenant ?

Et le lecteur, s’y y tient vraiment, peut toujours compléter, répondre lui-même à ses questions, comme, de fait, il l’a toujours fait, depuis que la lecture est la lecture : ce n’est que dernièrement qu’on a formé les lecteurs à exiger que tout soit dit, souligné, expliqué clarifié, mâchouillé. En fait, rendu trivial. Comme si la littérature n’était qu’une forme un peu plus embarrassée de journalisme. (p.155)

IRONIE

Jean-Pierre Vidal aborde tout cela avec un humour vivifiant. Heureusement. Il nous entraîne dans les salons du livre, nous fait assister à une séance de dédicaces, nous présente un auteur astucieux qui a trouvé le moyen de stimuler les ventes en embauchant de faux lecteurs. Vous vous souvenez des saucisses ? Plus les gens en mangent, plus elles sont fraîches. Il y a ce côté amusant, mais l’écrivain reste perplexe sur le monde de maintenant. Comment ne pas frissonner devant notre planète en ébullition, une masse de réfugiés en Europe ? Toutes les valeurs éclatent. Des fanatiques n’hésitent plus à tuer pour la cause. Faut-il se contenter de rire quand les valeurs humaines traînent dans la boue ? Il faudrait peut-être comprendre, savoir pourquoi nous en sommes là. La littérature a toujours servi à cela. L’écrivain s’est fait bousculer par un nouveau barbare pour reprendre l’appellation d’Alessandro Baricco. Ce mutant lui a volé sa parole et son rôle.

Autrefois, on écrivait pour l’Autre, à qui il fallait mettre une majuscule, parce que c’était une présence anonyme, non pas innombrable, mais innombrée, une présence présupposée que peut-être on inventait, qu’on incorporait et qu’on finissait, quand on le considérait comme un collectif, par appeler Dieu, pour simplifier. (p.163)

Jean-Pierre Vidal devient fulgurant quand il montre la dépersonnalisation et la cruauté du monde. La violence des enfants, l’indifférence, l’assèchement de la langue littéraire, l’imposture et le commerce à tout prix.

Et maintenant, on écrit pour la foule, c’est-à-dire, comme l’a dit un auteur ancien - Sénèque ? Ésope ? il ne se souvient plus, mais il se rappelle la citation exacte : « la preuve du pire », argumentum pessimi. (p.164)

Le livre que l’on vénérait tel un objet sacré est devenu un objet interchangeable qui répète une même formule. La rumeur marchande a inventé l’art du conteneur. L’auteur n’a pas besoin de vivre pour que son « œuvre » se multiplie. Le cas de Stieg Larsson est un bel exemple. L’auteur est décédé et un autre prend la relève. Ce qui ne tue pas s’approprie le monde de l’écrivain et le pousse dans une autre direction. David Lagercrantz est ce vampire. L’écriture devient une entreprise et l’écrivain individuel un artéfact.

PERTINENCE

Si j’ai eu un peu de mal avec les premiers textes où l’ironie perd un peu de son efficacité, j’ai adoré Aladin ou les partances où le vieillissement se heurte à la cruauté des vivants. Tout comme L’ensablement où le lien entre l’écriture et la lecture est magnifiquement exploré. Écrire est lire le monde. Et n’est-ce pas la fonction première de l’écrivain que de chercher à comprendre la vie ? Là, Vidal atteint des sommets.
Il accompagne Jean Larose qui se montre très critique sur l’enseignement et les succès littéraires de maintenant. Les deux défendent une tradition humaniste de plus en plus méprisée.
J’aime ces résistants dans un monde où l’image est la valeur absolue autant en littérature qu’en politique. Vidal possède un formidable sens de la caricature qui bouscule et fait souvent grincer des dents.
Parions qu’il n’y aura pas file devant son stand au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean en début d’octobre pour s’arracher Méfaits divers. À moins qu’il ne soudoie quelques faux lecteurs pour que le syndrome de la file agisse dans toute sa magnificence. Il en serait bien capable !

Méfaits divers de Jean-Pierre Vidal est paru aux Éditions de La Grenouillère, 162 pages, 20,95 $.

dimanche 14 avril 2013

Jean-Pierre Vidal secoue nombre de clichés



JEAN-PIERRE VIDAL passe de la réflexion au rire dans «Le chat qui avait mordu Sigmund Freud», d’un monde tragique à un univers en apparence plus léger. Juste, difficile, grinçant souvent, l’écrivain secoue nombre de clichés dans ses nouvelles, avec un à propos à nul autre pareil. Une démarche nécessaire dans un monde où la pensée est perçue souvent comme une tare. Vidal bouscule cette modernité si floue et si envahissante surtout.

Vingt-huit nouvelles, vingt-huit manières de scruter la société, ses travers, ses folies et ses obsessions, des agissements qui montrent le meilleur, mais surtout dévoilent le pire. Dans «Le chat qui avait mordu Sigmund Freud», un titre fascinant, Jean-Pierre Vidal jongle avec des questions qui n’auront peut-être jamais de réponses, mais qu’il ne faut pas négliger pour autant.
Des textes consistants emportent le lecteur sur plusieurs pages ou encore l’auteur choisit le texte très court qui vous laisse en déséquilibre. L’auteur sait jouer de plusieurs instruments de l’orchestre pour notre plus grand plaisir. Il préfère parfois le flou qui m’a fait revenir sur les phrases pour tenter de retrouver ce qui avait pu m’échapper. Vous avez alors rapidement le sentiment de ne plus savoir où aller. Ou encore, un texte laisse croire que la mise en page a connu des hoquets. Vous réalisez après qu’il faut sauter un paragraphe pour retrouver le fil et revenir en arrière. Heureusement, ces «jeux dans l’espace» se font plutôt rares.
Il y a aussi ces incursions dans la pensée des tueurs en série qui semble si bien caractériser la société américaine. Des meurtres gratuits, la démence d’un tireur fou ou d’un solitaire qui travaille avec doigté, intelligence et raffinement.
«Vois-tu, le meurtre en série est dans la fibre de ce continent, il flotte dans l’air de cette civilisation, comme un pollen. Liquider le plus de gens possible, le plus rapidement possible et le plus spectaculairement possible, c’est la hantise secrète de tous ces énervés qui se prennent pour des individus. Pour eux, c’est comme un orgasme. Et après, ils se réveillent, complètement abrutis, vidés, mais contents. Même quand leur état les envoie rejoindre leurs victimes.» (p.171)
L’écrivain Bertrand Gervais a bellement exploré cet aspect dans «Les failles de l’Amérique», un grand roman passé inaperçu peut-être parce qu’il révèle un aspect de l’humain que nous refusons de voir même s’il prend toujours le pas dans les bulletins d’informations.

Communications

Il y a aussi la quincaillerie numérique qui obsède un peu Vidal et qui a donné de nombreuses chroniques dans «Le chat qui louche». Les contemporains sont branchés, bombardés de musique, de messages instantanés, souvent futiles où privé et public se bousculent.
«Partout dans l’autobus, les voix cellulaires imposent leur chorale: — Salut. C’est qu’tu fais? Ah bon! J’arrive là.» «Allo, Papa? Je serai là dans dix minutes, on est au centre d’achat, là. À tantôt!» (p.92)
J’ai aimé le regard sur les passagers d’un autobus, les manœuvres pour s’approprier le siège voisin, l’arrivée du retardataire qui bousille toute la stratégie et vient empiéter sur votre espace. Toutes les manœuvres aussi pour s’isoler des autres passagers. Le narrateur possède l’outillage parfait pour contrer toutes les approches. Cela ne l’empêche pas de reluquer discrètement une jeune femme fort jolie.
Il y a aussi les hasards qui emportent les personnages de Vidal. Des mondes étranges s’ouvrent et vous poussent dans une autre dimension.
À lire la réflexion du pape Pie XIV pendant un match de soccer. Il y a là tout l’avenir de l’humanité, ses obsessions et ses lubies. Le tout avec une bonne dose d’humour.
«Mais réunir l’humanité sous un seul dieu, c’était vouloir, en fin de compte, tout abolir dans l’indécision, l’indistinction qui ferait du même coup de la bête humaine un dieu. Et c’était, en même temps, revenir à la matière d’avant l’explosion initiale et engloutir Dieu, l’homme lui-même dans une totalité qui n’était que néant.» (p.204)
Et que j’aime quand une phrase coupe votre élan de lecteur comme un uppercut.
«Encore heureux que Gianfranco entretienne avec lui une relation dialoguée qui, au moins, lui permettait de formuler des demandes, sans avoir besoin de passer par cette forme d’hébétude archaïque et autiste qu’on appelait autrefois la prière.» (p.186)
Jean-Pierre Vidal demeure un allumeur de réverbères dans ce monde de pulsions et de consommation. Il demeure un humaniste qui cherche un sens à la vie et des certitudes de plus en plus fuyantes. Peut-être que l’écriture est la dernière manière de résister au naufrage.

«Le chat qui avait mordu Sigmund Freud» de Jean-Pierre Vidal est paru aux Éditions de La Grenouillère.

dimanche 8 mai 2011

Jean-Pierre Vidal fait grincer des dents

Jean-Pierre Vidal, dans «Petites morts et autres contrariétés», aborde un sujet que la société n’aime guère effleurer. Par le biais de trente-trois textes plus ou moins élaborés, l’écrivain tourne autour de la fatalité qu’est la mort. Il faut du courage pour aborder un sujet occulté et encore un peu tabou.
Le nouvellier plonge dans l’intime, mais ne dédaigne pas les drames qui dépassent l’entendement. Dans «Le dixième», un officier doit exécuter un soldat sur dix pour réprimer une révolte provoquée par l’incompétence des militaires. C’est assez terrifiant comme scénario.
«Jean-Pierre Vidal a la parole en amusement. Il brosse ses tableaux, met en scène des gens qu’on a l’impression de connaître, leur soumet un problème qu’ils se sont souvent causé eux-mêmes, et les regarde manœuvrer au péril de leur vie. L’air de n’y être que par hasard», écrit Louis-Philippe Hébert, son éditeur, dans une courte préface.
L’écrivain débusque les grandes et petites tragédies, imagine l’Irak après Saddham, Monsieur Hitler qui est sorti vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale et s’est retiré dans un village pour mener la vie de facteur. Ou encore un écrivain tente de relancer sa carrière en organisant son enlèvement avec la complicité de son éditeur et d’un groupe terroriste. Le journal de captivité est déjà écrit et on peut imaginer que rien n’ira comme prévu.
Et ici et là, une description du quotidien qui vous empoigne et vous secoue. Chacune des nouvelles montre l’absurdité de certaines situations, la banalisation de l’horreur et de l’inacceptable. Ses personnages sont souvent lucides, mais incapables de briser la spirale qui les emporte. 
«Ce qui commençait à lui peser, maintenant, dans ses relations avec les filles que la Zénon lui ramenait, ce n’était pas tant l’indifférence pendant l’acte, enfin pas toujours, c’était plutôt leur parfaite insensibilité au sens de la chose. Elles faisaient ça avec une bonne volonté détachée, comme pour rendre gentiment service ou se conformer à ce qu’on attend des jeunes filles de leur âge. Ça allait avec le cellulaire, le IPod et Facebook.» (p.161)
Voilà un thème récurrent chez Vidal. Les gadgets mènent à l’indifférence et à la solitude, à une sorte de lobotomie où les passions ne sont plus qu’un souvenir.

Univers

Bien sûr, le professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi peut sembler pessimiste. Il ne se gêne pas pour bousculer les obsessions de ses contemporains, la stupidité qui pousse un individu à être de toutes les émissions de télévision où le public fait tapisserie. L’écrivain décrit bien ce monde où il importe plus d’avoir des opinions que des idées.
Une sorte de fatalité chez Vidal emporte tout et mène au pire. Les gens sont aspirés par une vie trépidante et la mort profite de la moindre distraction. Ce qui dérange surtout, c’est la perte de sens critique et de jugement qui fait que tout devient banal. L’amour, la vie et les drames horribles qui secouent l’humanité passent avec les modes, un reportage à la télévision. Les monstres deviennent des citoyens modèles qui aident leurs semblables. Comment imaginer Hitler en grand-père toujours prêt à tendre la main. Oui, le monde est absurde et la mort est là pour nous le rappeler peut-être. 
Un regard lucide sur l’agitation des communications et du verbiage. Si «Jean-Pierre Vidal bouscule, dérange sans pousser les hauts cris» explique encore son éditeur, il fait souvent grincer des dents.
Le drame couve dans un embouteillage ou dans une fête pour souligner un départ à la retraite. Ses héros sont souvent des victimes qui mettent le doigt dans une mécanique qu’ils ne peuvent plus arrêter.
Jean-Pierre Vidal n’a pas son pareil pour démonter le ridicule de certains comportements, les obsessions du paraître et de l’avoir. Une véritable douche glacée qui s’avère nécessaire pour démêler le vrai du factice, le réel de l’inutile. Tout cela en ayant l’air de ne pas y toucher. J’avais lu quelques-uns de ses textes dans des revues, mais comme ça, en vrac, Monsieur Vidal étourdit. Un coup de poing qui laisse un peu sonné. À lire et à relire pour le sujet, mais aussi pour l’écriture, cette phrase envoûtante et d’une efficacité redoutable.

«Petite morts et autres contrariétés» de Jean-Pierre Vidal est édité aux Éditions de La Grenouillère.