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jeudi 18 février 2021

ET SI ON IMAGINAIT SON FUTUR

C’EST TOUJOURS UN PEU ÉTONNANT de lire des écrivains qui acceptent de se compromettre et de se projeter dans l’avenir. C’est ce que onze écrivains et écrivaines ont bien voulu faire en participant à ce collectif simplement intitulé Futurs. C’est vrai qu’il est périlleux de penser demain lorsque les horizons se bouchent avec la crise climatique et le réchauffement de la planète. Les catastrophes s’annoncent avec des migrations massives et des guerres pour le contrôle de l’eau potable. L’air et les plantes s’en prennent aux oiseaux et les animaux disparaissent. Et les glaciers ne sont plus qu’un souvenir. Comment rêver le paradis, vivre en paix, en toute tranquillité? L’humanité avance sur une corde raide et la Terre ressemble de plus en plus à un précipice si on se fie aux propos des experts. Les écrivains sont toujours attentifs à ces signes et n’échappent pas aux traumatismes de leur époque. Souvent, en s’aventurant dans l’avenir, tous affrontent leur peur et leur angoisse. 

 

Bien sûr, la technologie est présente dans Futurs. Des robots, des avatars, des gadgets qui permettent de se faufiler dans une autre dimension et de disparaître peut-être dans des espaces que nous avons du mal à imaginer. Pourquoi ne pas donner la parole aux morts, partir pour des missions qui deviennent des migrations sur des planètes toutes neuves, des mutations certainement? Difficile, parce que la beauté du voyage, après tout, trouve son sens dans le retour après avoir changé nos regards et nos perceptions.

Je l’avoue, je ne suis pas un grand lecteur de science-fiction. Ces écrivains me déçoivent la plupart du temps. Sauf (il y a toujours des exceptions) Élisaberth Vonarburg qui m’entraîne dans des univers imprévus et fascinants. Les gens restent au centre de ses préoccupations et de ses questionnements. Voilà une amoureuse qui, avec les mutations de ses personnages, les soubresauts de l’Histoire, ne cesse de s’inventer un monde où il est possible de s’épanouir. Cette écrivaine tente souvent de secouer le passé pour mieux essaimer dans un futur différent et si pareil. L’humain ne change guère malgré l’accumulation des connaissances et des découvertes scientifiques. Il sera toujours un angoissé qui imagine le pire et ne peut respirer sans une catastrophe.

 

MONDE

 

J’ai souvent l’impression que les écrivains de science-fiction racontent des histoires qui pourraient se dérouler chez le voisin ou dans une campagne pas très loin de mon grand lac. Ils enrobent le tout de machines bizarres, font appel à des robots fort pratiques et efficaces qui sont toujours plus fiables que les humains qui portent des noms étranges. Peu de Dallaire, de Tremblay ou de Paré dans les textes d’anticipation. 

Oui, la planète est mal en point et les plus résistants tentent de se débrouiller dans un environnement devenu très hostile. La nature a disparu et les enfants ne peuvent imaginer une forêt, un ours en liberté ou encore un lièvre qui explore son coin d’univers en rêvant peut-être de voyage dans l’espace où les pinières sont infinies. Ayavi Lake ne se fait guère rassurante dans Résurgence.

 

Avec son Lévit, la Compagnie a endormi tout instinct de survie au sein des populations des zones habitables. Des amas de cadavres se sont accumulés dans les parcs et dans les écoles, en silence. Parfois, rarement, un adulte moins amorphe que les autres laissait échapper des bruits semblables à des pleurs. Maintenant qu’il n’y a plus aucun enfant, les parents d’autrefois errent, absents, drogués, occupés aux mêmes tâches, au parc-zoo, dans les églises et les laboratoires, ou sur les sites d’exploitation. (p.19)

 

Un peu plus et je me serais cru dans les affabulations d’un complotiste qui imagine les pires scénarios et qui voit la pandémie comme l’ultime tentative de certains dirigeants pour contrôler les humains. Des plans machiavéliques, des vaccins qui vont nous contaminer et permettre à ces grands mégalomanes de faire de nous des animaux dociles. 

 

L’AILLEURS

 

L’ailleurs est étrange maintenant quand je pars à l’épicerie, que je bascule dans un espace où les masques sont obligatoires. Je ne dois plus m’approcher de mes semblables et me méfier, respecter un couvre-feu dans une région rouge ou orange, faire reculer ce terrible ennemi invisible qu’est la COVID qui vient peut-être d’une planète méconnue que l’on nomme la Chine. Notre vie communautaire s’est enrayée depuis un an et nous ne savons plus trop à quoi nous accrocher. Comment imaginer un avenir fascinant et exaltant? Peut-être que nous sommes au cœur d’une dystopie que messieurs Arruda et Legault écrivent chaque jour à la télévision.

 

— Ça ne se peut pas. Il commence à y avoir des publications scientifiques là-dessus. Tu n’es pas assez attentif à l’étiolement qui suinte de partout. Tout le monde éprouve ce sentiment d’être dévitalisé, dépourvu de couleurs. Sans chromatisme. Chlorosé. Je te le répète : la meilleure manière d’apprivoiser le néant, c’est de le créer en soi. En extrayant… (p.91)

 

Ce texte d’Ariane Gélinas m’a particulièrement dérangé. La mutilation ou «l’extraction» comme elle écrit, est-elle une solution, une façon de vivre. S’acharner à soustraire des parties de soi qui paraissent embarrassantes me semble un peu inquiétant. Plusieurs en art de la performance ont pris leur corps pour un objet en lui faisant subir nombre de mutations. Après de multiples interventions, greffes et amputations, ces individus sont devenus des monstres. Ça me donne des frissons dans le dos une histoire semblable.

 

PELOUSE

 

Élisabeth Vonarburg m’a fait sourire quand elle s’attarde à sa phobie de la pelouse pour imaginer un monde que je veux bien. Elle s’en prend à la loi de l’herbe verte, entretenue, rasée et stérilisée avec tous les fertilisants polluants et efficaces qu’il faut répandre régulièrement. Une guerre sourde et totale contre cet ennemi coriace et têtu, le pissenlit. Dans son texte, heureusement, le gazon est obsolète. Merveilleux! La forêt s’installe en ville et s’implante dans les petits espaces qui permettent la pousse d’un bouleau ou de fleurs sauvages. Fini les environs qui ressemblent à des tapis fabriqués en Chine. 

 

Puis son regard revient sur son boisé. Oui, elle dit encore «mon boisé» — après tout, elle a été la première du quartier à se débarrasser des pelouses, à l’avant comme à l’arrière de la maison, en acceptant les arbres offerts par le hasard et en en plantant d’autres quand ils devenaient trop vieux; ça lui a valu assez de regards et de commentaires critiques, cette absence de gazon! (p.58)

 

Voilà qui peut nous faire oublier les catastrophes et tous les dangers en faisant une place à la nature qui s’impose et va comme elle l’entend bien. 

 

PEUR

 

Mathieu Villeneuve, instigateur et coordonnateur de ce projet, a bien raison quand il dit que : «… la fin du monde fait partie de l’imaginaire collectif, mais aussi qu’elle se niche en nous, invisible, dans nos peurs comme dans nos amours.»

C’est le cas depuis la nuit des temps. Les hommes et les femmes ont pris un malin plaisir à prédire les cataclysmes et à imaginer des fins du monde. Même dans la Bible, on parle d’incendies qui rasent les villes et d’un déluge qui permet à la famille d’un élu de monter dans un bateau de croisière pour sauver toutes les espèces vivantes. Est-ce là une prophétie ou un texte qui esquisse le grand projet de migration sur une autre planète qui pourra accueillir les survivants que nous deviendrons? Espérons que dans ce voyage ultime, si jamais il se produit, les passagers oublient leur goût pour la violence et la guerre, leur fascination pour les catastrophes et les désastres. D’autant plus qu’ils auront avec eux le pouvoir le plus extraordinaire qui existe, soit celui de l’imagination qui peut transformer une galaxie et permet le pire comme le mieux. Des textes étonnants, un peu déroutants parfois, qui font réfléchir au dur métier de vivre, effleurent ces rêves que les humains transportent malgré tout dans leurs bagages.

 

VILLENEUVE MATHIEUFuturs, collectif de onze écrivains, avec Bérard Sylvie, Brisebois Patrick, Brousseau Simon, Côté Catherine, Ferland Charles-Étienne, Gélinas Ariane, Lake Ayavi, Laramée Émilie, Larson Rich, Villeneuve Mathieu et Vonarburg Élisabeth, ÉDITIONS TRIPTYQUE, 228 pages, 21,95 $.

http://www.groupenotabene.com/publication/futurs

jeudi 2 novembre 2017

MATHIEU VILLENEUVE NOUS ENVOÛTE

MATHIEU VILLENEUVE entreprend un périple singulier dans Borealium tremens, une épopée où David Gagnon, après avoir hérité d’une terre abandonnée, tente de renouer avec ses ancêtres. Le personnage, dans ce roman baroque et hallucinant, se perd dans des chemins oubliés de son pays du Lac-Saint-Jean. La maison brûlée où il s’installe est insalubre et pleine d’artéfacts qui moisissent avec la mémoire collective. Un retour aux sources qui ne se fait pas sans périls. Un roman qui m’a particulièrement touché.

David Gagnon a tout quitté pour parcourir les routes de l’Amérique. Il voulait peut-être retrouver la pulsion qui poussait les explorateurs vers de nouveaux horizons, des peuples étranges et d’autres manières de secouer la réalité. Ce Nouveau Monde que l’on a saccagé. Les Autochtones ont payé chèrement dans leur corps et leur âme l’arrivée des envahisseurs européens.
Si le voyage tient hors du temps, arrive un moment où il faut défaire ses pas. Le retour n’est jamais facile pour celui qui a traversé le continent et est devenu un étranger sur les terres qui l’ont vu naître.
Je me suis retrouvé dans un univers familier avec Mathieu Villeneuve. Comme si je regagnais les espaces rêvés et connus du pays de La Doré. David Gagnon arpente le Lac-Saint-Jean, ce territoire que je n’ai cessé de visiter de toutes les manières d’écritures possibles depuis des dizaines d’années. J’y ai entendu comme un écho au Voyage d’Ulysse qui s’aventure dans un pays mythique et réel. Je voulais alors faire éclater le temps historique, plonger dans une époque où les frontières n’existent pas et jongler avec des mythes et des légendes.
La colonisation toute récente de ce coin du Québec a laissé des cicatrices un peu partout. Comme si les « faiseurs de terre » n’avaient pas eu le temps de marquer le territoire de façon durable.
J’ai pensé souvent aussi aux personnages de William Faulkner en m’avançant dans la fresque de Villeneuve, à ces hommes marqués par la guerre de Sécession qui ne savent que foncer à toute vitesse sur les routes du Sud des États-Unis pour surprendre la mort au premier tournant, boire jusqu’à l’hallucination.

REDÉCOUVRIR

Autant mon Ulysse est habité par une grande naïveté ou pureté, autant Gagnon est miné par un héritage de démences, d’alcoolisme et d’obsessions qui poussent souvent à la destruction.

De toute façon, Auguste n’aurait jamais pu compléter ses études. Disons qu’il lui manquait deux-trois boulons. D’abord, il n’avait aucune aptitude sociale. À part moi et les animaux de la ferme, personne ne voulait l’écouter. Une chance qu’il avait son violon… Il pouvait passer des heures enfermé dans sa chambre, à improviser des pièces impressionnantes, sans jamais se fatiguer. Enfin, c’était avant ses périodes de spleen chroniques. Il avait aussi une tendance à l’obsession. Quand une idée naissait dans son crâne, il était impossible de la lui faire oublier. Il relisait toujours les mêmes vieilles affaires : un livre de légendes amérindiennes, des journaux jaunis, un missel - il disait qu’il avait appartenu à Maria Chapdelaine en personne-, des traités d’astrophysique et de mathématiques, des cartes de la région, des manuels de mécanique. (p.39)

Un incendie a rongé les murs et les cloisons de la maison ancestrale. La pluie s’infiltre partout. Les idées de David s’égarent dans des visions éthyliques où il rêve du Grand Livre qui va secouer les assises du monde. Une maison pleine d’objets, de livres, d’écrits, de photographies, de vêtements qui témoignent d’un passé récent et ancien. Il y a surtout le journal d’Auguste.
L’héritier s’installe dans une sorte de musée familial, l’antre d’Auguste qui distillait des quantités d’alcool phénoménales et qui a laissé un testament que David entreprend d’apprivoiser. Il découvre Marie Bouchard, la reine-métisse qui a régenté tout le pays.

QUÊTE

David reçoit l’aide de son frère Alexis et de Lianah, une femme qu’il a aimée avant de partir dans le vaste monde pour échapper à la folie héréditaire peut-être, qu’il aime encore. Un amour impossible. Le temps a creusé un fossé entre eux.
David veut surtout à écrire le texte fondateur, la Bible qui fera le lien entre les ancêtres et lui, donnera un sens à sa vie et peut-être aussi à ceux qui ont risqué leur corps et leur intelligence dans l’aventure de la colonisation.

— C’est aussi pour écrire un roman que je pars, mon oncle. Ça va s’appeler Borealium tremens. C’est l’histoire d’un gars qui décide de s’installer sur les lots de ses ancêtres pour retaper une baraque en ruine pis vivre d’une terre inculte. Mais je peux pas vous parler du dénouement… Ça s’est jamais vu dans l’histoire de la littérature saguenéenne. Le rêve de mon personnage, justement, c’est de la marquer au fer rouge, cette littérature-là. Il veut qu’on donne son nom à une MRC, à une école, à une rue principale. Il veut qu’on se souvienne toujours de lui. (p.63)

Écrire un nouvel Évangile n’est pas chose facile quand on s’imbibe d’alcool et de drogues. Comment être à la hauteur de Marie Bouchard qui régnait sans partage sur ce coin de terre, d’Auguste qui cherchait à renverser l’ordre des choses ? Pourquoi cette grandeur, cet avenir démesuré s’est-il ratatiné pour ne laisser qu’une maison ouverte aux quatre saisons, des artéfacts que la pourriture gagne peu à peu ?

OBSESSIONS

Le roman de Mathieu Villeneuve tend un fil entre des légendes et l’histoire récente. Je pense encore à mon Voyage d’Ulysse où je bascule du côté du mythe et du conte pour me faufiler entre le réel et l’inventé, le possible et l’imaginaire, la culture millénaire des Innus et celle des Blancs.
Contrairement à Mathieu Villeneuve, je bascule du côté de l’épopée, m’accrochant à L’odyssée d’Homère, l’un des grands textes fondateurs de l’humanité, pour ne pas basculer dans les volutes du rêve.
L’aventure de Villeneuve s’avère particulièrement périlleuse. David, malgré ses efforts, n’arrive pas à contrer sa dépendance à l’alcool et aux drogues. Comment faire naître la légende, le mythe dans un tel état ? Il rêve d’un geste d’éclat, de tout recommencer. Si Auguste a échoué, il doit réussir.
Villeneuve suit un personnage qui se lance frénétiquement sur des chemins sans issues, s’attarde dans des lieux qui deviennent magiques quand il a pris de la cocaïne ou vidé toutes les bouteilles. Un clin d’œil peut-être à Jack Kerouac qui n’a cessé de parcourir le continent, filant derrière une ombre et un rêve inatteignable. Il voulait peut-être échapper à sa naissance, mais elle le rattrapait chaque matin quand le soleil le retrouvait.

— Là, on fait mon tour du lac à moé. Pas les niaiseries de Véloroute des Bleuets, pas une affaire de lambineux qui fait la route du fromage cheddar sans se déboucher une seule bière de toute le voyage. Non, un vrai tour du Lac : en pleine nuite, en passant par les petites routes qui sont même pas sur les cartes touristiques, en arrêtant dans toutes les paroisses où c’est qu’y a un bar, une taverne, un feu, n’importe où où c’est qu’on peut boire pis sniffer. Pis y est pas question qu’on arrête pas à une paroisse, on les fait toutes : Girardville, Sainte-Hedwidge, Notre-Dame-de-Lorette… (p.166)

Le récit part dans toutes les directions, comme si l’écriture explosait ou implosait. Comme si David devait mourir à soi pour renaître comme un certain Jésus de Nazareth. Personne ne peut l’accompagner dans cette quête qui a rendu Auguste fou. Comment effacer les erreurs, les gaucheries qui ont saccagé le pays, comment retrouver le temps d’avant la construction des grands barrages ? Il faut tout faire sauter, comme Auguste l’a imaginé, retrouver la terre sacrée d’avant, quand tous les rêves étaient possibles, quand Marie Bouchard pouvait vivre en reine.

PARENTÉ

Une quête étrange qui ne peut déboucher que sur la mort et la destruction dans un pays qui n’est toujours pas un pays comme l’écrit si justement Victor-Lévy Beaulieu. David le sait, mais il ne peut s’empêcher de tenter l’impossible.
J’aime ce roman qui veut échapper à toutes les balises et secouer l’imaginaire, ce texte échevelé qui témoigne peut-être du plus grand échec qui puisse frapper une nation.

Chaque rang porte sa masse d’accidents niaiseux, de malheurs enfouis, de caves jamais cimentées et de greniers qu’on ne visite plus, même plus pour chasser les souvenirs, parce qu’on ne sait plus quoi se rappeler et qu’il n’y a plus personne pour le faire. Chaque maison a embaumé ses vivants et veillé ses morts. Même enterrés au village, ils n’ont jamais quitté leurs lots. Et maintenant, ils revenaient pour moi. Ou plutôt, moi j’allais vers eux. (p.214)

Un roman bouleversant qui balafre le territoire, de La Doré à Alma, passant par Péribonka et Sainte-Monique et encore nombre de paroisses quasi oubliées. Un texte puissant, envoûtant.
David devient une sorte de Messie qui tente de comprendre ses ancêtres tarés et obsédés, un chevalier à la Triste Figure qui n’arrive plus à faire la part entre le réel et l’imaginaire.
J’ai lu Borealium tremens dans une sorte de transe qui me ramenait constamment à ma démarche d’écriture, celle que je secoue tous les jours depuis presque cinquante ans, cette quête de l’être qui ne cesse de s’imposer et de me glisser entre les doigts dans ce pays du Lac-Saint-Jean où tout est démesure.


BOREALIUM TREMENS de MATHIEU VILLENEUVE est paru à la maison d’édition LA PEUPLADE.