vendredi 15 avril 2005

Gaston Miron l’allumeur de conscience


Gaston Miron a eu droit à des funérailles nationales en 1996. Ce n’était que justice pour ce poète qui a consacré sa vie à ce pays qui n’arrive pas à se dire oui.
Voilà un homme, un poète à son corps défendant, un militant de l’indépendance du Québec qui n’a jamais fait de compromis, un chercheur d’identité qui jamais n’a hésité à pourfendre les politiciens et ses concitoyens. Particulièrement quand il s’attarde au «charabia ou le traduidu» pour qualifier la langue des Québécois. La publication de ces textes rédigés entre 1953 et 1996 nous plonge dans la pensée de Miron et illustre le combat de sa vie.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer cette rencontre. C’était à Paris, en 1985. En plein Quartier latin, nous étions tombés sur lui. Il s’était mis à discourir comme lui seul savait le faire. Une demi-heure à s’attarder sur la pauvreté de la langue des Québécois. Il s’émerveillait devant les Français qui sortaient le mot juste, le mot exact pour décrire leur réalité. Il levait la voix en gesticulant devant les sourires des passants. Il parlait de «porte et de portillon».
J’ai retrouvé les mêmes expressions dans la conférence de l’Estérel que Miron prononçait en 1974.
«Attention au portillon. Au début, je ne saisissais pas, puis, tout à coup, la lumière s’est faite et je me suis dit : «C’est vrai : c’est un portillon, ce n’est pas une porte, car une porte, qu’elle soit petite, moyenne ou grande, elle bouche toute l’ouverture. »… Je monte ensuite dans un wagon de train et je lis : «Attention à la portière ». Une autre porte et cette fois-là c’est une portière!» (p.147-148)
Comme quoi Gaston Miron avait de la suite dans les idées et ne craignait pas de se répéter.

Accompagnement

Dans «Un long chemin», le lecteur découvre le militant, l’homme public et le poète. Nous remontons à l’enfance, à Sainte-Agathe-des Monts, à «l’illumination» où Miron prend conscience qu’il est un colonisé et un aliéné. Nous effleurons alors les assises de son combat, la charpente de sa poésie et le terreau de sa lutte. Miron restera toujours déchiré entre l’urgence de l’action politique directe et la poésie, cette souffrance existentielle.
«Ce constat d’aliénation de ma langue chez moi eut l’effet d’un choc. Je m’expliquais ma langue approximative, parlée et écrite. J’utilisais la dérision : quelle langue parlez-vous, Monsieur ? Je parle l’approximatif, je parle l’à-côté, je parle autre chose. Ce choc remit en question de fond en comble le rapport à ma langue tout court, puis le rapport du langage à la réalité et le rapport à mon travail poétique. Désinvestir ma langue de la langue de l’autre, redonner aux mots le sens de la tribu : je devins un obsédé, je le suis toujours, du mot juste et jusqu’au bout, de la précision absolue du mot, de la propriété des termes à tout prix.» (p.108)

Blessure

L’aliénation. Voilà une blessure «à l’esprit» qu’il est difficile de cautériser. Miron ressentait cruellement qu’il était d’avant l’affirmation de son peuple, un «homme archaïque». Une souffrance, une douleur qui le figeait devant le poème qui semblait toujours vouloir se dérober. Pourquoi s’armer de la parole quand le nous collectif n’existe pas? Écrire ou se rouler les manches pour faire advenir les choses?
«Un long chemin» présente ce grand poète, esquisse la démarche intellectuelle d’un homme qui a cherché la cohérence pendant toute sa vie. Juste pour cela, il mérite notre admiration.
Toutes les proses ne sont pas d’un même poids littéraire. Souvent nous plongeons dans des textes lourds, maladroits dans leur facture et leur argumentation. Il est vrai que nous lisons souvent la transcription de conférences. Cela explique bien des maladresses. Pensons aux lettres qu’il expédiait aux mécènes de l’Hexagone.
L’ensemble pourtant a le grand mérite d’esquisser la «carte géographique de la pensée» de Miron, de montrer l’étendue de son action. Il n’était pas qu’un théoricien. Jamais il n’a hésité à mettre la main à la pâte dans les tâches les plus humbles.
Reste que les mots ne venaient pas naturellement à ce militant qui devait varloper pour en arriver à un texte qui gardait son tonus. Il aura donné sa pleine mesure dans la poésie.
Des écrits qui, malheureusement, demeurent d’actualité. La situation n’a guère évolué dix ans après la mort de cet allumeur de conscience. Merci à l’Hexagone de garder les mots de Gaston Miron sur le réchaud. Ils nous rappellent notre devoir de Québécois. Un travail d’édition exemplaire. Une manière aussi de comprendre pourquoi la poésie de Gaston Miron a su rejoindre l’universel. Elle témoigne de ce qu’est le fait français en cette terre d’Amérique et ce qui menace son existence.

«Un long chemin, Proses 1953-1996» de Gaston Miron est paru à L’Hexagone.

Deux enfances du bout du monde


Louise Desjardins et Mona Latif-Ghattas racontent leur enfance. L’une est née au Caire et l’autre à Rouyn-Noranda. Une correspondance qui aura duré six ans.
L’idée est excellente ! Que voilà une belle manière de visiter l’enfance, d’esquisser un monde que nous portons toute la vie. La vie à Rouyn n’est pas celle du Caire même si la famille demeure la famille. Une sorte de jeu de tennis où chacune retourne sa version en attendant la frappe de l’autre. Tout y passe! Les parents, les frères et sœurs, les grands-parents et la famille élargie. Les drames aussi qui égratignent la mémoire.
«Même si nous habitons aux deux bouts de la terre, je crois que nos papas et nos mamans se ressemblent, malgré tout. C’est peut-être la même chose pour nos frères et sœurs. Je te présente le mien, mon seul et unique complice.» (p.33)
Malheureusement, les deux écrivaines ont eu l’étrange idée de régresser et de redevenir des petites filles pour visiter leur enfance. Si c’est charmant au début, on se lasse vite des «mon papa» et des «ma maman» qui émaillent les textes.
Mona Latif-Ghattas et Louise Desjardins empruntent ce même ton de petites filles naïves qui découvrent le monde et l’idéalisent. Le tout devient prévisible, gentil et sans grande signification.
Les deux complices passent rapidement sur les zones d’ombres, effleurent des secrets de famille et des drames qui sont à peine esquissés. Jamais une question malgré des mondes opposés. Les agissements des parents ou la place des filles, par exemple… Chacune raconte sa vie sans trop se soucier de l’autre. L’échange n’a pas lieu. L’entreprise aurait pris une tout autre couleur si les écrivaines avaient regardé leur enfance avec des yeux d’adultes. Il me semble que nous ratons ici une belle occasion.  

«Momo et Loulou» de Louise Desjardins et Mona Latif-Ghattas est paru aux Éditions du remue-ménage.

http://www.editions-rm.ca/livre.php?id=1177

Stéfani Meunier réussit un très beau roman

Stefani Meunier signe un premier roman qui me fait penser à «L'étranger» d'Albert Camus. Qui a oublié Meursault, son détachement, son impossibilité à être du bord des humains? Une même ambiance dans le roman de Mme Meunier, un même sentiment d'être «étranger» aux autres. Sans la froideur et l’indifférence cependant.
Des prénoms ici et là, des hommes avec qui la jeune femme chemine, des rencontres et la solitude. La narratrice n’arrive pas à s'attacher aux gens, à s'enraciner et à vivre l'amour. Une solitaire heureuse et peut-être que c'est là son problème. Elle adore sa maison des Laurentides, son bord de lac, les promenades dans la forêt où la végétation s'ancre profondément dans la terre. Tout comme elle était bien dans son appartement de Montréal. Bien dans sa solitude.
Elle rencontre un musicien. Il a l'âge d’être son père. Elle pourrait être sa fille. Un instable, un survenant qui a toujours fuit. Il est musicien et chanteur. Il a fait carrière sans connaître la gloire, vécu l'amour sans s'accrocher. La narratrice voit peut-être en cet homme ce qu'elle sera dans quelques années. L'un et l'autre se confient, se questionnent et s'aident à devenir de meilleurs humains.
«Je croyais que je n'avais plus de coeur quand j'ai rencontré le vieil artiste. Peut-être qu'en effet, je n'en avais plus. Ou bien que j'avais voulu l'endormir, que je ne le savais pas mais qu'il était là, presque intact. C'était un vieil homme. C'est peut-être ce qui explique que je ne l'ai présenté à personne. Je n'aurais pas su comment le présenter. Je n'aurais pas su définir notre relation. C'était de l'amitié, et c'était peut-être autre chose. Mais je n'aurais pas voulu avoir à expliquer ce que c'était.» (p.11)
Les longues périodes de réclusion succèdent à ces moments où elle se noie dans la frénésie des bars. Dans ces aquariums, elle brille. Tous parlent, rient, dansent, jouent le jeu de la séduction, s'amusent et les rencontres, l'alcool aidant, deviennent possibles. La mécanique des amours fonctionne.

Intime

Dans l'intimité, la narratrice se referme comme une noix et après quelques émois, le désir d’être seule face à son lac, dans la forêt où les lièvres prennent la couleur de leur environnement, devient plus fort.
«Je me suis demandé pourquoi je me trouvais intéressante seulement quand j'étais seule. C'était peut-être parce que, quand j'étais seule, je ne jouais pas. Mais ce n'était sûrement pas ça. Depuis le temps que j'essayais d'être quelqu'un d'autre, peut-être que j'en étais venue à me jouer la comédie à moi-même, sans trop m'en rendre compte, comme ce clown qui n'a plus de visage. » (p.35)

Recherche

 L'auteure tente de mettre le doigt sur ce qui empêche la narratrice de toucher les gens qu’elle côtoie. Le vieux musicien va l’aider en témoignant. Elle va raconter la migration de son père venu de France qui a fait d'elle une étrangère, les déceptions amoureuses, cette voix de femme qu'elle idolâtre.
«Moi, mon premier amour, c'était une voix. Une voix de femme. C'était un amour si fort que je n'ai pu aimer que des voix d'hommes, par la suite. Il n'y aura jamais eu qu'une seule voix de femme. J'en suis tombée amoureuse un dimanche. Je m'en souviens, même si j'avais seulement six ans, parce qu'il y avait Les Beaux Dimanches à la télé.» (p.49)
Stéfani Meunier possède un grand pouvoir d’évocation et une écriture étonnante et originale. Un roman qui montre qu'il est de plus en plus difficile de se retrouver dans un monde fait de contacts furtifs, d'images et d'émotions préfabriquées. Une belle façon de secouer les clichés et de s'accrocher à ce pays de montagnes, de lacs et de forêts. Et quel bel hommage à Monique Leyrac. Un roman vrai, touchant. C’est dire peu et tout.

«L'étrangère» de Stéfani Meunier est paru aux Éditions du Boréal.

jeudi 14 avril 2005

Une belle surprise que ce collectif

Les causes humanitaires, si nobles soient elles, ne sont que rarement une aventure littéraire. «Tant d’histoire autour des seins» est un collectif et le résultat d’un concours lancé par la Table communautaire d’information en santé des femmes et le groupe Relais-femmes. Je m’attendais au pire. Je craignais le désastre et surtout les bonnes intentions. Qu’est-ce que Planète rebelle venait faire dans cette histoire avec un CD, que je me demandais avant d’aller voir de quoi il retournait.
Il y a de tout dans ce recueil, des trouvailles, des inventions, des petits bonheurs d’écriture mais aussi des textes un peu ennuyants. Signalons «Mammaire» de Micheline  Beaudry, un texte fait de regards et de non-dits, «La nounou russe» de Renée Robitaille qui s’avère un véritable plaisir. Monique Juteau pour sa part nous entraîne dans une réalité dure et cruelle.
«Elle dessine des femmes avec des seins énormes gonflés à bloc. Elles tiennent par le cou des chatons jaunes aux corps mous, longs et flasques, comme si l’on venait de les noyer. Elle aimerait que les poils des chats soient encore plus détaillés, plus jaunes, plus mouillés, plus collés à la peau. Elle s’acharne ainsi sur le réel depuis qu’elle a perdu un sein, le gauche, dans un champ de fraises bio, en ramassant par mégarde une petite tumeur, devenant ainsi un être encore plus flou, plus fictif qu’avant.» (p.86)
Une lecture fort agréable que cette course à relais. Le CD apporte une dimension autre et constitue une œuvre en soi.

«Tant d’histoires autour des seins» de Relais-femmes est paru aux éditions Planète rebelle.

mardi 8 février 2005

L’insoutenable tâche de devoir vivre sa vie

La semaine de prévention du suicide se termine. L’occasion est bonne de s'attarder à la première publication de Marie-Chantale Gariépy, une écrivaine de trente ans à peine. Quel livre dérangeant et questionnant! «Sparadrap» bascule dans l'univers de Fugue Malrot qui cherche à en finir avec la vie depuis son premier cri. Hasard ou chance? Elle n'arrive jamais à ses fins même si le goût de la mort lui colle aux lèvres.
Récit, lit-on en page couverture. Pourtant, le mot «roman» apparaît à l’intérieur. Étrange... Le poids du texte n’est pas le même quand nous prenons la piste du récit ou de la fiction. Jetons un regard attentif.
Fugue Malrot, jeune femme trouvée dans les draps d'un pénitencier à sa naissance, va de tentative en tentative de suicide. Sa mère était incarcérée. Après un ultime essai, nous la retrouvons à l'hôpital et dams une institution psychiatrique.
Des chapitres tranchés au couteau décrivent cette descente aux enfers, jusqu'au coma, à la lisière de la mort, quand elle refuse tout aliment. Dans un second mouvement, le compte à rebours s’amorce. Nous suivons aussi un psychiatre pendant l’internement.

Un combat

«Je suis un coin, un «vous ne pouvez pas aller plus loin», une impasse en quelque sorte. J'élève mes propres murs sans m'en apercevoir, je le fais dès que j'ai le dos tourné. Mon silence est devenu un insupportable vacarme. À la campagne ou au bloc ambulatoire, je n'envisage jamais qu'une seule option. Qu'on me laisse faire, qu'est-ce que ça peut bien changer pour eux? Je n'ai rien. Rien. C'est pour ça qu'il me faut combler le vide avec la mort.» (p.53)
Le lecteur bute à chaque phrase, se débat avec la logique de la narratrice. Peut-on nier la vie, piétiner tout espoir? Difficile de croire que l'on imagine la paix ou le bonheur dans la mort.

Retour

Une voix arrive au cerveau de Fugue. Une femme raconte l’histoire que la jeune femme a toujours voulu entendre. Sa mère se transforme. Enfin de la tendresse, de l’amour et de la chaleur humaine.
«Je prends la décision de ressurgir. Ce sera bien la première fois, voilà que je me sauve moi-même. Cruelle ironie. Je veux voir cette voix.» (p.113)
La voix la ramène à la vie comme un pêcheur le fait avec sa prise. Pourra-t-elle aimer ou être aimée?
Le Dr. Cournachond, ou Cornichon comme le nomme Fugue, ne l'entend pas ainsi. Il repousse la fiction de l’infirmière Janson. Il ne croit qu’à la logique même quand elle est tordue. Les fables ou les histoires, peut-être la littérature en fait, ne sauront jamais guérir.
Marie-Chantale Gariépy défait les noeuds, fracasse toutes les certitudes et à la fin, au dernier mot, dans un dernier souffle, elle abandonne son lecteur. Un texte qui broie le coeur et l'esprit. Un renversement comme un coup de massue.
Dans de très courts chapitres, elle parvient à nous ramener l'enfance de Fugue, à esquisser l’institution et le personnel où elle enferme le lecteur. Peut-être pour découvrir le malaise d’une génération.
Marie-Chantale Gariépy s'en tient à une écriture simple et efficace. C’est fort heureux! L’histoire parle d’elle-même et n’a besoin d’aucun artifice.
«Mourir ne s'apprend pas, c'est un savoir qui vous est donné à la naissance, un départ depuis toujours amorcé.» (p.106)

«Sparadrap» de Marie-Chantale Gariépy est paru aux Éditions Marchand de feuilles.