lundi 14 août 2006

Mourir pour apprécier encore plus la vie

Il y a des textes que l’on abandonne avec un pincement au cœur. Quand cela arrive, je m’attarde à faire durer l’enchantement, à flâner sur la page couverture. Juste pour prolonger le bonheur, avoir la conscience de vivre un moment unique.
Jean-François Beauchemin, avec «La promesse de l’Aube» réussit à nous capter. Il rend amoureux de la vie. On se surprend à surveiller le mouvement de sa main, à aimer le contact des doigts sur le papier pendant la lecture. Comme si on effleurait une épaule ou un bras, comme si chaque mot du récit devenait une capsule de bonheur.
«Un jour, je suis mort. C’était vers le milieu de l’été, le ciel était d’un bleu immaculé.» (p.11)
Quelle façon de piquer la curiosité du lecteur! Qui peut raconter ainsi sa propre mort? La journée était trop belle pour mourir, il faut s’en souvenir.

Petite histoire

Beauchemin vit plutôt bien sa quarantaine quand la douleur le terrasse. Affolement! Pourtant, il garde une étonnante lucidité. Ce sont là ses derniers instants, il en est convaincu. La mort approche, s’impose. Il s’accroche avant de s’allonger pour une dernière fois. Comme s’il devenait témoin de sa plongée vers la fin.
«Je ne sais si j’ai rêvé ceci : à la fin, quand l’ambulance s’est immobilisée, j’ai demandé, juste avant d’entrer dans l’hôpital, qu’on me laisse pendant une minute observer le ciel. C’était le soir, l’air résonnait du chant entêtant des insectes. Là-bas, des enfants jouaient sur le trottoir. Les premières étoiles s’allumaient. La vie continuait, sans moi, me semblait-il déjà. Puis, on a poussé la civière jusqu’aux urgences, et je me suis aperçu que pas une fois je n’avais envisagé une suite à mes jours finissants, une vie après la vie, comme on dit.» (p.13) 
Il restera cinq mois à hôpital, le temps de ramener son corps du côté des vivants. Assez pour apprécier la présence de sa compagne Manon, les liens qui l’unissent à sa sœur et ses frères. Le récit nous entraîne dans ces éclats de conscience, ces absences où Beauchemin bascule dans des rêves et ses souvenirs. Et quand il remonte, il y a ces présences, presque toujours muettes, toujours essentielles.
Une vie l’attend. Un sourire lui montre la route du retour. Il soupèsera le long voyage de sa vie, regardera sa mère et son père, un homme peu loquace mais fort de sa générosité. Un arrêt aussi sur ce qu’il est comme écrivain et d’où surgissent ses histoires. Il rencontre encore la mort. Elle était là tout le temps à rôder, comme si ses écrits prévoyaient cette glissade aux frontières de la vie. Une écriture prémonitoire, dit-on.
Il ne sera plus le même après une telle expérience.
«Lorsque je suis sorti de l’hôpital, j’ai senti cela très fort. C’est un autre moi qui rentrait à la maison.» (p.72)
Plus conscient de l’amour de ses proches qui l’ont accompagné tout au long de cet incroyable retour, il savoure chaque seconde.
Un récit touchant, beau de chaleur et de tendresse, de joie et de bonheur. Une sonate qui fait aimer la vie.

«La Fabrication de l’aube» de Jean-François Beauchemin est paru aux Éditions Québec Amérique.

La vie se construit par les images et le cinéma

Réjane Bougé a grandi devant des bouts de films raboutés par son père. Le cinéma a imbibé son enfance et ces images lui ont tout appris en imprégnant le territoire qui a été le sien. Son père prenait plaisir à capter ici et là des images lors des fêtes familiales et des rencontres avec les amis. Il pouvait aussi s’attarder à des scènes dans les rues de  Montréal. Ensuite, il s’acharnait à faire des montages en se montrant plutôt impatient. Les images prenaient une vie propre et résistaient. La petite Réjane s’est rapidement vue «dans un film» tout en vivant sa vie de fillette qui s’affole facilement devant le monde. À croire que la vie réelle et la vie sur l’écran est la même.
Une passion pour le cinéma héritée de sa tante Réjane, sa marraine. Toutes les deux regardaient «les belles vues» qu’elles pouvaient dénicher à la télévision. Des images, des scènes qui deviendront des références et soulèveront une foule de questions dans la tête de la petite fille.
«Mon amour du cinéma, je le dois surtout à cette Réjane dont le rêve aurait été d’incarner une tragédienne de la trempe de Sarah Bernhardt et qui, en compensation pour ce destin contrarié, gobait un film par jour. En tant que femme au foyer, maîtresse de ses horaires, il s’agissait pour elle, la plupart du temps, d’une activité de fin de soirée.» (p.60)

Parents

Des parents qui vivent ensemble sans vraiment l’être. Une jambe grugée par la gangrène pour son père et une mère qui a perdu un sein. Une mutilation des corps qui hante la fillette. L’organisme reste-t-il entier? Le corps peut-il se défaire?
«Puis je pensai à la jambe qui se bringuebalait dans le coffre et qu’on enroulait dans une couverture de laine comme si elle avait froid et je compris qu’il se vengeait pour ce gros morceau qu’on lui avait tranché. Ne pouvais-je, en retour, lui sacrifier ce petit bout de moi-même? À partir de ce jour, j’eus peur de l’étendue de ses représailles. Devrais-je toujours payer pour son amputation? En ce sens, je crois que sa mort m’a soulagée. (p.48)
Le monde qui se constitue par l’œil, les regards qui se recoupent, s’interpellent et deviennent des sémaphores en passant d’un film à l’autre. Une vie en porte-à-faux, des sourires de comédiens et de comédiennes qui ramènent vers soi. Comme si les films finissaient par devenir des miroirs où Réjane Bougé se scrute et s’analyse.
Elle isole des scènes, étudie des plans de caméra, scrute le jeu des comédiennes, examine la figure de ses idoles, leur manière de lancer une réplique peu importe le rôle qu’elles incarnent. Elle analyse Isabelle Huppert d’un film à l’autre, comparant les plis de ses lèvres, décortiquant son «jeu», comme si l’actrice, pendant toute sa carrière, n’avait incarné qu’un même rôle.
«Ainsi, avant même d’articuler une parole, Isabelle émet une sorte de ouais frondeur qui met tout son corps en retrait et la confirme dans cette position d’observatrice privilégiée.» (p.97)
Réjane Bougé explore Montréal tout en courant les nouveautés, fait revivre des cinémas démolis, nous entraîne à Paris et en Italie où elle séjourne quand sa peur des voyages s'émousse. Elle plonge dans des mondes étranges, revient quadriller son enfance, sa vie de jeune femme qui découvre la passion, la sexualité et l’érotisme par des scènes plus ou moins implicites.

Franchise

Réjane Bougé ne cache rien de ses traumatismes, ses névroses et raconte tout avec une franchise désarmante. Un petit bout de phrase, une évocation, un mot et le lecteur fige.
Des moments émouvants avec sa mère aux soins palliatifs. La dernière scène approche et la fille surveille la peur qui habite cette femme qu’elle regarde en étrangère. Le moment où le mot fin est presque sur l’écran. Elle surveille et c’est sa peur qui la regarde. Plus tard, par le détour de certains films, des documentaires, elle parvient encore à échapper à cette hantise.
Une écriture sobre, sans fioriture qui va à l’essentiel, une franchise que l’on rencontre rarement dans un récit. Un découpage qui ne laisse rien de superflus et qui montre la vie, à l’enfance et aux grandes obsessions existentielles. À ce métier d’écrivaine qui leste la vie et la rend possible.
Un véritable périple dans l’œuvre de Bergman, Bunuel, Cronenberg, Rossellini, Chabrol et Alain Cavalier, le réalisateur de «Thérèse». De Diane Létourneau aussi, la réalisatrice de l’admirable «Servantes du bon Dieu» qu’elle décortique avec les prudences d’un orfèvre. Un documentaire qui est sombré dans l’oubli.
Un livre inspirant, intelligent, qui donne le goût de revoir des dizaines de films qui ont marqué notre parcours. Et, peut-être, le film de sa vie, celui où l’on se retrouve à la fois comédien, réalisateur et scénariste. Le seul documentaire que nous ne pourrons quitter avant la toute fin du générique.

«Je ne me lève jamais avant la fin du générique» de Réjane Bougé est paru aux Éditions Québec Amérique.

jeudi 27 juillet 2006

Daniel Castillo Durante étonne son lecteur

 Le Québec a ouvert les bras aux immigrants qui sont venus enrichir notre littérature. Certains posent un regard original sur notre société et d’autres décrivent des univers insolites qu’ils ancrent dans cette terre où ils ont choisi de vivre.
Plusieurs de ces arrivants sont devenus des figures connues, menant des carrières enviables. Sergio Kokis, Ying Chen, dans ses premiers ouvrages, l’étonnante Félicia Mihali et Dany Laferrière, l’incontournable, sont de cette liste qui peut s’allonger.
Je lis Sergio Kokis depuis «Le pavillon des miroirs», n’arrive pas à trouver en David Homel tout le talent qu’on lui prête. Ying Chen, après des débuts éclatants, ne sait plus à quoi s’accrocher. Son errance aura-t-elle eu raison de son imaginaire? Felicia Mihali nous ouvre un monde particulièrement fascinant.
Daniel Castillo Durante arrive avec «La passion des nomades» après avoir écrit des essais sur Sade et Ernesto Sabato. Il s’est aussi arrêté sur le rôle «des paroles migrantes au sein des cultures aux prises avec la mondialisation», précise-t-on, en quatrième de couverture.

Drame

Juan Carlos Olmos, consul argentin au Canada, est assassiné de trois balles dans le dos. Daniel Castillo Durante lance son roman comme un polar, mais l’important n’est pas cette mort. Le lecteur apprend rapidement qu’Ana Stein, l’une des maîtresses du consul, a tué ce grand coureur de jupons. Un homme qui est allé d’une femme à une autre, faisant de la séduction et de l’amour un art.
Gabriel, à Buenos Aires, apprend la mort de son père. Il décide de venir à Montréal pour savoir ce qui s’est passé. Le fils en veut à ce père qui l’a abandonné avec sa mère. Il dérive un peu dans cette grande ville du Sud qu’il aime viscéralement.
À Montréal, Gabriel croise Ana Stein, une femme d’une très grande beauté. Une étrange relation d’amour et de haine s’amorce avec l’ancienne maîtresse de son père. Il ira jusqu’à l’épouser, subjugué par cette femme d’une froideur à faire trembler malgré la dévotion qu’elle porte à Juan Carlos Olmos.

Texte

Le migrant qu’est Durante fait redécouvrir la réalité québécoise et secoue nos habitudes. Le quotidien prend une teinte particulière et le lecteur devient un explorateur de son propre pays.
«Si Rubens et Rembrandt reprenaient leurs pinceaux, il leur faudrait traverser l’Atlantique pour retrouver leurs modèles. Il suffisait de s’installer à n’importe quel coin de rue pour les voir surgir à gogo. Des fesses fortement développées un peu partout, belles et frétillantes sous le ciel haut perché de Montréal.» (p.82)
Ottawa n’échappe pas au  regard implacable de Durante qui bouscule juste ce qu’il faut, sait détecter nos travers et nos obsessions.
«L’architecture McDonald’s de certaines rues du centre-ville le prit au dépourvu. Elle n’était pas omniprésente, mais quelques échantillons ici et là suffisaient à gâter le paysage urbain. Des gratte-ciel décrochés de toute perspective humaine déclenchèrent chez lui un sentiment d’étouffement. Impossible d’y flâner, les mains dans les poches, tel un bohémien qu’un parfum de femme ou l’arôme du café frais font revenir sur ses pas. La boulimie commerciale qui rongeait beaucoup de façades finit par le rebuter.» (p. 61)
Il s’agit de Montréal, bien sûr. Et ce n’est pas tout!
«Montréal, vue de loin, accrochait le regard mais, au fur et à mesure que Gabriel l’approchait, ses charmes s’estompaient. On aurait dit une de ces cocottes que la proximité révélait dans toute sa déchéance. En toute bonne foi, il se demanda s’il ne fallait pas la contempler à distance. Pour être un bon immigrant, il eût fallu qu’il se déprenne de Buenos Aires. Mais en serait-il capable?» (p.112)
Écrivain plein de ressources et d’intelligence, Daniel Castillo Durante s’avère un formidable conteur. Ses phrases qu’il lance comme des harpons accrochent le lecteur pour ne plus le lâcher. Des personnages de feu et de braises, des hommes et des femmes possédés par une passion qui emporte tout. Tous vivent à la limite de l’obsession et de la folie. Un roman particulièrement troublant. Et quelle écriture! Je vais devenir un fidèle de cette nouvelle figure encore peu connue.

«La passion des nomades» de Daniel Castillo Durante est publié chez XYZ Éditeur.

vendredi 21 juillet 2006

Line Gaudreault puise dans l’histoire judiciaire

Line Gaudreault, journaliste à Alma, publiait il y a quelques mois son premier roman chez Lanctôt Éditeur. Madame Gaudreault a choisi le chemin de l’histoire pour faire son entrée dans le monde de l’écriture. Le genre attire bon nombre de lecteurs. Elle s’attarde à Emily Gallop, originaire du Nouveau-Brunswick, accusée d’avoir empoisonné son mari à Isle-Maligne en 1925, lors de la construction des grands barrages sur la rivière Grande décharge et de la plus grande centrale électrique du monde.
Tout condamnait cette femme qui avait eu la mauvaise idée de prendre pour amant un jeune Amérindien de Pointe-Bleue. Walter Simpson travaillait au chantier et chambrait chez Emily. Abraham Gallop, le mari, travaillait au même endroit et ne détestait pas lever le coude.
Walter ne comprenait pas l’anglais et le français était une langue inconnue pour Emily. Les corps, semble-t-il, se comprennent sans les subtilités du complément d’objet direct.
«La différence de langue dans leur cas est pour l’instant une alliée plutôt qu’une barrière. Quoi de moins compromettant, pour des amants, que de ne partager que l’attrait de la chair, sans rien avoir à traduire par les mots? La liaison a ainsi toutes les chances de demeurer charnelle, sans devenir risquée.» (p.9)

Le procès

Une grande première pour Roberval. Tous veulent voir et entendre. Les curieux se massent dans la petite salle du Palais de Justice du boulevard Saint-Joseph pour ne rien manquer. Ils sont prêts à en venir aux coups presque pour assister à ces journées mémorables. Pour le plaisir aussi de pouvoir raconter les événements aux malchanceux qui n’ont pu se trouver une place. Roberval vit dans une sorte de transe.
Les voisins, les compagnons de travail répondent aux questions des procureurs et tentent de reconstituer les événements. Qu’est-il arrivé à Abraham Gallop? Emily est-elle coupable?
«L’odeur de foin coupé enveloppe encore l’air chaud et humide qui s’engrange sous forme de pluie dans les nuages au-dessus du lac. C’est une soirée idéale pour faire cailler le lait. Les grumeaux de lait caillé ont tellement bon goût, saupoudrés de cassonade sur des fraises ou mélangés à la salade du jardin avec les échalotes.» (p. 148)
Les jurés condamnent Emily malgré le lait caillé. Il y a appel, un second procès où le juge tombe malade avant les plaidoiries. Il faut tout recommencer. Malheureusement pour les curieux de la région, le troisième procès se tiendra à Québec.

Histoire

Une femme adultère, anglophone de surcroît, un témoin et amant amérindien, une mort par empoisonnement dans un milieu plus catholique que l’évêque. Line Gaudreault avait les éléments d’une très bonne histoire. Mais cela ne suffit pas à faire un bon roman. L’occasion était belle pourtant pour décrire la société, des mœurs et les changements qui s’amorçaient dans la région avec l’arrivée de ces «étrangers» et de la grande industrie.
Line Gaudreault ne s’éloigne pas des délibérations et des témoignages.
«Les témoins profitent de leur séjour à Roberval aux frais de la Couronne pour arpenter la ville et contempler la splendeur du grand lac Saint-Jean qui s’étend comme une plaine bleue une fois le vent du soir tombé. Les prisonniers et amants de l’été dernier n’ont pas cette chance d’assister au magnifique coucher de soleil pareil à une boule de feu s’enfonçant au creux de l’horizon frileux.» (p.81)
Le monde judiciaire demeure une source inépuisable pour les romanciers. Mais encore faut-il faire le travail et ne pas se contenter de surfer sur les éléments rapportés dans les journaux. Une solide documentation est nécessaire, mais ne règle en rien les difficultés de l’écriture.
Line Gaudreault dévoile un autre volet de notre histoire, c’est là tout son mérite. L’intérêt s’étiole rapidement après le premier procès. Il aurait été essentiel de prendre ses distances et de trouver une manière astucieuse de raconter une histoire fort intéressante. L’auteure se contente de broder autour des interrogatoires en glissant quelques éléments du quotidien ici et là. Dommage!

«Le procès d’Emily» de Line Gaudreault a été édité chez Lanctôt Éditeur.

jeudi 13 juillet 2006

André Ricard questionne notre civilisation

J’ai abandonné «Une paix d’usage» d’André Ricard une bonne dizaine de fois. Et à chaque fois, je suis revenu à ce récit pour chercher une direction. J’y suis revenu comme une vague qui éloigne et pousse vers le rivage. Peut-être que le lecteur sent le besoin de s’accrocher pour trouver un sens à la vie. André Ricard était au Mexique le 11 septembre 2001. Il s’apprêtait à escalader une pyramide quand quelqu’un lui a appris que des avions avaient percuté les tours du World Trade Center. Les symboles de la puissance américaine et des échanges commerciaux s’écroulaient. Les États-Unis étaient assommés par cette attaque que nul ne pouvait imaginer.
Tout est vu à la télévision, comme dans un film mille fois repris. Le monde fige devant les écrans. Les États-Unis de George Bush sont frappés à la poitrine. L’ailleurs est devenu l’ici, le maintenant. La mort souffle des milliers de personnes. La fumée bouche le ciel de New York et des dizaines de personnes se lancent dans le vide pour échapper aux tours transformées en véritables torches.
«Le monde entier en a été témoin, un avion de ligne, avec ses voyageurs pouvait-on le croire? est venu s’encastrer dans le second mât de téléguidage pointé sur la croissance sans fin.» (p.29) 
André Ricard, comme tous les citoyens de l’Amérique du Nord, est touché. Le monde vacille. C’est peut-être la fin d’une époque. Les médias, qui aiment les formules percutantes, répètent que «plus rien ne sera pareil».

La vie ou la mort

André Ricard séjourne dans un pays où des cultures se sont heurtées. Les Conquistadores, il y a des centaines d’années, piétinaient de très anciennes civilisations en crachant le feu sur des terres qui ont donné naissance au Mexique. Des sociétés étaient balayées au nom de Dieu par ces commandos. Des ruines sont restées comme après le passage d’une tornade. Les descendants de ces peuples, aujourd’hui, s’égarent dans des croyances qui s’étiolent peu à peu. Quel avenir les humains peuvent-ils espérer?
Ricard soupèse les rites, les sacrifices humains des Aztèques, Hiroshima et toutes les catastrophes qui éclaboussent la marche des humains. Il fréquente des comédiens qui questionnent les hommes et les femmes. Que reste-t-il des chemins de l’amour quand on secoue les figures archétypales? L’instinct de vie est-il plus fort que ce désir de mort?
«Il s’agit ici, non d’actualité-spectacle, mais d’un fait réel, et sa reproduction délivrée jusqu’au fond des cuisines ne peut se confondre avec aucune bande d’actualités. C’est d’un vrai désastre qu’il s’agit. Tant de vraies personnes, ayant fui les édifices percutés, pourraient le dire. Et les préposés au déblai, et ceux qui scellent les housses mortuaires. Mais tous, rescapés, secouristes, ils se taisent.» (p.57)
Ricard, à la manière d’un archéologue, questionne une humanité qui ne sait que le feu et le sang. Les États-Unis ne trouveront rien de mieux que d’envahir l’Afghanistan et l’Irak après cet épisode sanglant. La violence épouse toujours la violence.

Lecture

Un murmure hallucinant. Une terrible expérience de lecture, un texte très exigeant mais fascinant. Un récit qui dépasse le fait divers et tente d’effleurer les pulsions profondes de notre civilisation. Les pas de Diego Rivera, Frida Khalo, du poète Maïakovski et Léon Trotski reviennent comme en écho. Le lecteur perd ses certitudes.
«En dépit des cellules souches, de tous auxiliaires, chimiques, génomiques, nous perdrons notre jeunesse. Nous sommes des êtres de société, et nous devrons partir seuls pour nous confondre aux choses. Nous n’invoquons plus les dieux pour assumer l’inacceptable, nous restons avec notre vaine révolte. La vie est une telle addiction!» (p.124)
Les catastrophes se mélangent dans l’étrange corps à corps de l’amour, de la haine, de la violence et de la plus grande des douceurs. Il faut s’accrocher aux phrases pour surnager dans ce texte touffu qui nous égare à chaque virgule. Et quand on ne sait plus, un élément permet de continuer cette marche à l’aveuglette. Il faut jongler avec les mots, les retourner pour percevoir une petite lueur dans la poussière des tours du World Trade Center. Un récit déconcertant mais nécessaire.

«Une paix d’usage» d’André Ricard est publié aux Éditions Triptyque.