dimanche 17 mai 2009

Nicolas Dickner témoigne du monde actuel

Nicolas Dickner a fait une entrée remarquée en littérature, en 2005, avec «Nikolski». Un roman traduit en dix langues. Son second livre, «Tarmac», ne décevra pas les nombreux lecteurs qui ont adopté ce jeune écrivain.    Hope aboutit à Rivière-du-Loup avec sa mère Ann Randall, en août 1989. Elles arrivent de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, fuyant l’Apocalypse qui doit survenir d’un moment à l’autre. La famille Randall s’est fait une spécialité de prédire la fin des temps.
«Mary Hope Juliet Randall, dite Hope, était la plus jeune représentante d’une famille qui, depuis une époque imprécise - mais que d’aucuns situaient sept générations en arrière -, souffrait d’une grave obsession pour la fin du monde.» (p.18)

Tous connaissent une illumination et la date fatidique surgit comme une révélation. Ann croit qu’en fuyant vers l’Ouest, elle et sa fille échapperont pendant un temps au grand cataclysme. Clin d’œil au mythe du recommencement qui a présidé à la conquête de l’Ouest américain. Le mythe de la frontière aussi qui s’est déplacé depuis quelque part en Asie. Elle doit trouver une nouvelle date. Le grand bouleversement se fait tirer l’oreille et elle se perd dans ses calculs.
Hope semble échapper à l’obsession familiale et mène une vie à peu près ordinaire, même si elle n’est pas menstruée, une anomalie pour une fille de son âge. Michel et elle deviennent inséparables.

Fins du monde

L’actualité témoigne à tous les jours de petites fins du monde. Le mur de Berlin s’est écroulé et l’empire russe est démantelé. Les protagonistes vivent la fin de la Guerre froide. Un équilibre est rompu.
«Les maisons anciennes avaient des caves, des cryptes, des celliers, des vides sanitaires ou des cachettes à kalachnikovs. Mais le sous-sol du bungalow nord-américain est différent. Il est isolé, chauffé, meublé, équipé avec des lits, des congélateurs, des chambres froides, la télévision, le téléphone et des jeux de société… …Le sous-sol moderne est apparu durant la guerre froide, c’est le produit d’une civilisation obsédée par son avenir. Mais quand on y pense bien, la dernière fois qu’autant d’Homo sapiens ont habité sous terre, ça remonte à l’âge de pierre.» (p.47)

17 juillet 2001

Hope, s’amusant avec des dés, trouve une date. Elle se bute au 17 juillet 2001, le jour où tout s’écroulera. Cela aurait pu être le 11 septembre de la même année ou l’an 2000 où tous les ordinateurs devaient tomber en panne. Les signes se multiplient, nourrissant son obsession. La date de péremption sur les boîtes de ramen Captain Mofuku tombe le 17 juillet 2001. Tout bascule quand elle découvre le livre des prophéties d’un certain Charles Smith. Le gourou prédit lui aussi la fin du monde pour le 17 juillet 2001.
«Je lisais et relisais l’encadré, incrédule, répétant qu’il s’agissait d’une simple coïncidence, mais Hope ne voulait rien entendre. À son avis, les probabilités qu’un autre illuminé annonce la fin du monde pour le 17 juillet 2001 s’élevaient à environ 1 sur 16 milliards. Cette découverte nous coupa subitement toute envie de fêter.» (p.147)
Hope part pour New York pour rencontrer Smith. D’étape en étape, elle se retrouve à Tokyo, une ville qui a connu une «fin du monde» avec l’explosion de la bombe atomique.

Monde familier

Le monde de Nicolas Dickner est à la fois familier et étrange. Les frontières sont abolies, les nations de plus en plus floues. Avec la mondialisation, tous se gavent des mêmes images à la télévision, consomment les mêmes aliments, partagent les mêmes hantises et les mêmes angoisses. L’identité est plus incertaine que jamais, les gens sont à peu près semblables et pareillement hallucinés. Les hommes et les femmes sont de plus en plus nomades, en quête de sens et d’ancrage. Et comment échapper à la malédiction génétique? Dickner nous plonge dans une réalité où l’équilibre se rapproche de la folie.
L’écriture dépouillée et d’une efficacité remarquable tient en haleine du début à la fin. Nicolas Dickner a relevé le défi du second roman.

«Tarmac» de Nicolas Dickner est publié chez Alto Éditeur.

dimanche 10 mai 2009

Djemila Benhabid se méfie des intégristes.

Djemila Benhabid est née en Algérie. Ses parents, des universitaires et des militants, ont lutté pour faire de ce pays un état démocratique ou hommes et femmes pouvaient circuler à visage découvert, discuter et contester les idées religieuses et politiques.  Dans «Ma vie à contre-coran», l’écrivaine montre comment cet espoir a basculé avec l’arrivée des intégristes qui subordonnent tous les gestes du quotidien à leurs croyances. Au Québec, malgré les accommodements raisonnables, il semble bien que nous venons d’ouvrir la porte à cette mouvance.
« Je vois se dissimuler au Québec l’expression d’un islam radical qui n’inaugure rien de bon pour la santé de notre démocratie. L’intrusion du religieux dans les sphères publique et privée, je l’ai vécue sous toutes ses formes, des plus petites au plus grandes, de ma petite enfance à l’âge adulte. Je sais de quoi je parle. Je connais ce qu’est l’intégrisme.» (p.22)

Ces «fous de dieu» s’implantent dans les communautés immigrantes et imposent leurs croyances, leur domination sur les femmes, le port du voile, du turban ou le kirpa.

Privilèges

Djemila Benhabid refuse que l’on accorde des privilèges à ces groupes qui s’isolent dans leur société d’accueil et réfutent les principes fondateurs de la démocratie qui accorde les mêmes droits et les mêmes obligations à tous les citoyens.
«Depuis la commission Bouchard-Taylor, les islamistes occupent toutes les tribunes, à travers les femmes essentiellement. L’écrasante majorité porte le hidjab. Elles défilent les unes après les autres pour fustiger les médias et pour jurer qu’elles ne sont pas soumises et qu’elles sont mêmes féministes jusqu’au bout des ongles. Les journalistes marchent sur des œufs.» (p.46)
Un peu plus loin elle ajoute: «Le voile est une fausse route pour les jeunes filles. Rien dans le Coran ne leur impose d’afficher ainsi leur foi. Le voile conduit trop souvent à ces comportements inquiétants, comme le refus de la mixité, de l’égalité des sexes, des cours de biologie ou de sport.» (p.73)

Guérilla

Les groupes intégristes mènent une véritable guérilla au Canada, aux États-Unis, au Danemark, aux Pays-Bas, en France comme en Allemagne en réclamant des privilèges. Les mosquées deviennent des lieux où l’on promeut le racisme et la suprématie d’Allah, où l’on proclame la domination des hommes sur les femmes, la haine et la violence.
«On en arrive même à entretenir l’illusion que le voile pourrait être une alternative à l’hypersexualisation des filles, quand en fait le voile est l’une des pires formes de sexualisation des femmes. Le voile, c’est un rapport obsessionnel au corps, à la chair, au sexe. Le voile, c’est le contrôle de la sexualité des femmes. Ne soyons pas assez naïfs pour croire que le hidjab serait acceptable, voir progressiste alors que la burka serait rétrograde et inacceptable.» (p.79)
Polygamie légalisée, viols et «meurtres d’honneur» commis au nom d’Allah par un frère ou un père qui punissent les récalcitrantes. Résultats : une société où règne la terreur et la pire des violences.

Exil

La famille de Djemila Benhabid a dû fuir en France pour échapper à la mort. Elle y a vu les islamistes s’installer dans les faubourgs pour y implanter leur dogme. On se souvient des émeutes qui ont secoué les banlieues de Paris il n’y a pas si longtemps. Partout une même façon de faire où l’on crie au racisme et à la persécution pour exiger des dérogations et des privilèges. Port du voile dans les écoles, dans la pratique des sports et demande de lieux de prières dans les universités ou les hôpitaux.
Toujours au nom du respect des différences et de la liberté d’expression. Résultats : repli sur soi, refus des habitudes du pays d’accueil. Madame Benhabid montre comment les Hassidiques vivent en pleine autarcie au Québec et résistent à toute intégration.
À lire pour la réflexion que Djemila Benhabid suscite un an après le rapport de la Commission Bouchard-Taylor. Elle montre nos travers et notre peur viscérale de faire respecter les éléments fondateurs de notre démocratie. Un témoignage troublant qui met un doigt sur bien des contractions, des peurs, des petites et grandes lâchetés.

«Ma vie à contre-coran» de Djemila Benhabib est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 3 mai 2009

Bruno Roy témoigne d’une vie exceptionnelle

J’aime les journaux d’écrivains et prends toujours grand plaisir à plonger dans leur intimité. Certains sont devenus célèbres par cette écriture au quotidien. Je pense à Anaïs Nin qui a tenté de tout raconter dans son journal, même le plus intime. Ou Julien Green qui a fait de sa vie une véritable saga en publiant l’un des journaux les plus volumineux de l’histoire de la littérature. Que dire de l’expérience de Jean-Pierre Guay, au Québec? Son périple est devenu une ascèse pathétique et une aventure particulièrement douloureuse.
Bruno Roy se confie, parle de sa vie, de ses questionnements, de ses hésitations et ne cesse de reconstituer son existence par l’écriture dans le quatrième tome de son «Journal dérivé». Après l’espace de «la lecture», de «l’écriture» et «de la vie publique», voici «l’espace privé».
«Ai-je préféré la vie de l’esprit à la vie elle-même?», se demande l’écrivain dans sa présentation. «Je ne le crois pas. Écrire ne consiste pas à reproduire la vie et ses connaissances, mais à l’inventer pour mieux lui donner un sens.» Le journal est là pour fournir de multiples réponses.

Vie inventée

Cette «vie inventée» nous entraîne dans l’intimité de l’écrivain. Comme s’il nous faisait une petite place dans sa maison de Roxboro ou au lac Baker où la famille passe ses étés. Nous y retrouvons son épouse Luce et ses filles Isabelle et Catherine. Des amis aussi, des parentés littéraires, des rencontres marquantes. Il témoigne de nombreuses retrouvailles, de ses engagements à l’Uneq où il a été un président marquant. Bruno Roy, lecteur boulimique, envoie aussi beaucoup de lettres aux écrivains pour commenter leurs ouvrages. En retour, il reçoit énormément de courrier.
Comme dans le troisième tome de son journal, il s’attarde à ses combats, sa lutte avec les Orphelins de Duplessis, une bataille mémorable où il a contribué à donner un nom à ces enfants enfermés dans des asiles. Lui-même orphelin, il s’en est réchappé par miracle.
«Une partie de mon imaginaire s’est alimentée à la seule observation des comportements «originaux» qui ont accompagné mon séjour à l’hôpital psychiatrique. Qu’en est-il resté? Quel impact cela a-t-il pu avoir sur mon comportement, sur mon évolution personnelle et, ultimement, sur la constitution de mon identité? En d’autres mots, par quel miracle la folie des autres est-elle restée un objet étranger, incapable de m’atteindre dans mes retranchements les plus intimes?» (p.106)
Le privé et le public se croisent dans l’œuvre de cet écrivain singulier qui a dû se construire et se défendre contre les vicissitudes du monde. Son essai intitulé «Naître, c’est se séparer» prend ici son sens et sa plénitude.

Identité

Une quête d’identité soutient l’œuvre de Roy, que ce soit dans son journal personnel ou dans ses œuvres de fiction. Un questionnement qui fait qu’il est, qu’il existe, qu’il s’est forgé une personnalité par l’écriture, l’enseignement, les rencontres qui ont bousculé sa vie. Gaston Miron entre autres.
«D’ailleurs, ce qui faisait de moi un être commun, c’était mon expérience institutionnelle: ce qui aujourd’hui fait de moi un être unique, c’est que j’ai rencontré le langage; ou est-ce lui qui est venu vers moi? Oui, je suis bien vivant, même sans enfance, même sans père ni mère. L’identité, c’est son espace intérieur, c’est-à-dire sa propre ressemblance. Car le vrai drame, c’est d’être absent à soi-même.» (p.150)

Une invitation

Être toujours en mouvement, Bruno Roy nous accorde le privilège d’arpenter son espace intérieur en frère. Il témoigne de ses amours, de ses déceptions, de ses engagements et garde surtout un extraordinaire instinct de vie qui fait de son journal un document précieux. Un voyage de plus d’une trentaine d’années qui risque d’ébranler le lecteur qui cherche un sens à son existence.
Bruno Roy nous force à nous situer dans l’espace de la vie et il s’avère un compagnon essentiel. Nous retrouvons trop peu de témoignages du genre dans un monde où le potinage devient la matière des émissions dites culturelles. Bruno Roy vit avec le doute, porte une parole vivante, plonge en soi pour mieux surprendre le regard de l’autre dans l’aventure d’être homme.

«Journal dérivé», L’espace privé 1967-1970 de Bruno Roy est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 26 avril 2009

Une page d’histoire du Québec un peu oubliée

«Frères ennemis» de Jean Mohsen Fahmy nous plonge dans une période agitée de la vie politique du Québec et du Canada, soit les années 1914-1918. L’Europe alors est à feu et à sang. Au pays, francophones et anglophones sont à couteaux tirés. Que doit être le rôle du Canada dans la Première Guerre mondiale et comment doit-il intervenir?
Henri Bourassa dirige Le Devoir d’une main de fer et profite de toutes les tribunes pour défendre les droits de la «race canadienne française» partout au Canada. Il croit que la participation des francophones à cette guerre doit être volontaire. Il y aura la conscription, des manifestations qui tournent à l’émeute à Montréal, des traques et des trahisons.
Les jumeaux Couture sont jeunes, idéalistes et vivent cette période avec exaltation.
«Depuis la déclaration de la guerre, il passait et repassait dans sa tête et dans son cœur les mille arguments que ses amis et lui avaient fiévreusement invoqués, au café du quai Alexandre et plus tard, dans d’autres conversations. Fallait-il s’engager? Fallait-il rester au Canada? Lionel avait pleinement conscience des combats que les Canadiens français devaient mener au pays. Il se rappelait les conversations qu’il avait entendues, enfant, entre son père et ses amis sur la «trahison» de Riel commise par les Anglais. Et, au cours des dernières années, il avait été révulsé par l’interdiction du français dans les écoles du Manitoba et de l’Ontario. Il fallait donc combattre au pays pour faire respecter les droits de son peuple. Mais cela voulait-il donc dire qu’on ne devait pas participer au combat plus vaste, au combat de l’Europe, qui faisait s’affronter la tyrannie germanique et la civilisation française?» (p.88)
Lionel choisit l’armée et le combat dans les tranchées tandis qu’Armand lutte pour la reconnaissance du fait français aux côtés de Bourassa. Francophones et anglophones se confrontent par le biais des journaux, mais aussi lors d’importantes manifestations qui dégénèrent en violence à Montréal. 

Confrontation

Les jumeaux Armand et Lionel, les deux inséparables, prennent des routes différentes et s’opposent en apparence. Lionel s’enrôle pour combattre en Europe tandis qu’Armand mène le combat des francophones au pays par son travail de journaliste et d’activiste. Si les directions semblent s’opposer, la problématique finit par se recouper. Les revendications des Canadiens français trouveront un écho dans l’armée et aboutiront à la formation du Royal 22e régiment constitué de francophones.
La situation pourrait devenir explosive pourtant.  Les jumeaux aiment la même jeune fille, mais là encore tout s’arrange plutôt bien. Justine aimera les frères tour à tour, mais loin des yeux, loin du cœur. Le départ de Lionel laisse le champ libre à Armand. Il courtise Justine et il arrive ce qui doit arriver.
«Oui, elle était troublée parce qu’elle aimait Armand et elle savait ce qu’était l’amour, car elle l’avait déjà connu. Elle l’avait connu avec Lionel, et son amour pour Armand se trouvait maintenant empoisonné par ses scrupules. Elle avait l’esprit assez fin pour comprendre que ce qui l’avait attirée chez le guerrier d’Europe était précisément ce qui la séduisait maintenant chez le combattant du Canada. C’était, chez les deux frères, le même tempérament actif, entreprenant, le même esprit d’aventure, la même soif de combattre pour ce qui leur tenait à cœur…» (p.227)
Solide recherche

Jean Mohsen Fahmy a construit son roman sur une solide recherche. Il reconstitue de façon minutieuse les combats où les Canadiens français se sont illustrés en démontrant un courage qui marquera l’imaginaire. Pour ce qui est de la trame romanesque intime, disons que ce n’est pas le point fort de l’écrivain. Les amours d’Armand et de Justine s’étiolent et la valse des hésitations aurait pu être écourtée. Il est à son meilleur dans l’action et les grandes fresques.
«Frères ennemis» décrit minutieusement le quotidien du soldat qui subit les bombardements, croupit dans la boue des tranchées, se défend contre les rats et la malédiction des poux. Lionel descend aux enfers et il aura du mal à l’oublier. Une blessure physique se soigne, mais guérit-on des visions d’horreur? On ne peut qu’en garder des séquelles.
Roman intéressant par ses assises historiques particulièrement vivantes et bien rendues. Tout est en place pour une suite avec le retour de Lionel après la fin de la grande tuerie. Tout le non-dit peut refaire surface et les deux frères se retrouver face à face pour une fois.

«Frères ennemis» de Jean Mohsen Fahmy est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 19 avril 2009

Jean Désy cherche la petite lumière

Jean Désy, médecin et écrivain, pousse son lecteur devant la maladie, la mort, la misère physique et spirituelle, un monde qui a perdu toute assurance dans «Entre le chaos et l’insignifiance».
Nous l’oublions souvent, le médecin confronte la maladie au jour le jour, le vieillissement et souvent l’horreur. Que dire à une jeune femme qui a tenté de mettre fin à ses jours? Comment regarder un homme et une femme dans les yeux et lui annoncer le pire?
«Comment réagir quand on rencontre pour la première fois une mère qui rejette brutalement son bébé? Comment annoncer à quelqu’un que le cancer qui le ronge va bientôt le tuer et que les miracles sont épouvantablement rarissimes?» (p.11)
Notre société demande au médecin de réaliser justement «ces miracles» tout en soutenant une cadence folle dans des hôpitaux où les spécialistes deviennent des «performeurs». Nous n’entendons parler que des heures d’attentes dans les urgences ou encore de certaines erreurs qui ne peuvent que se multiplier avec des horaires de plus en plus frénétiques. Pas étonnant que des jeunes se questionnent ou décrochent. Des infirmières à bout de patience décident de partir.

L’exil

Certains médecins décident d’aller servir dans le Grand Nord comme Désy l’a fait pour y nourrir leur imaginaire et trouver un ancrage à leur vie. D’autres s’exilent dans des pays qui distillent la misère ou des folies guerrières qui ne savent plus comment prendre fin.
«Vois-tu, en Afrique, j’ai côtoyé le Mal. Je suis content d’être revenu chez moi. Mais j’ai envie de repartir. De fait, je repartirais demain matin. Bizarre non ? Pourquoi ? Parce qu’il me semble que je perds le sens de ma vie dans mon pays, même si c’est paisible. C’est un cadeau du ciel de pouvoir vivre dans un lieu en paix. Mais dès que je remets les pieds chez moi, je ressens le vide. Un grand vide…» (p.23)
Jean Désy empoigne le mal du siècle peut-être, ce vide qui frappe à peu près tout le monde dans des sociétés où il faut gaspiller furieusement pour relancer une économie qui souffre d’hyperventilation.
Dans neuf textes, le médecin nomade affronte la plus incroyable des misères humaines en Haïti ou dans le Grand Nord où la folie emporte les jeunes dans un tourbillon plus dangereux que le blizzard. Des situations extrêmes qui permettent curieusement de mettre un pied au sol.

La quête

Dans plusieurs de ses ouvrages, surtout dans «Âme, foi et poésie» paru en 2007, Jean Désy cherche un sens à la vie. La foi est-elle une réponse quand la misère frappe toujours les mêmes pays du Tiers-Monde? Dieu ou un Être suprême peut-il apporter un certain apaisement? Comment trouver une certitude quand le chaos s’installe? L’écrivain retourne ces questions sans jamais être convaincu des réponses. Il jongle avec ces énigmes d’un livre à l’autre, tente de trouver une direction dans un monde qui se plaît à inventer l’horreur.
«Le Mal, à mon sens, n’est essentiellement qu’humain. Rien d’autre, mais c’est bien assez! Âme et cosmos et nature, et a fortiori Dieu, ne font qu’un pour créer la vie. Notre tâche, à nous, les humains, n’est peut-être essentiellement que de montrer la beauté du monde. De la montrer en la magnifiant. C’est peut-être là que se trouve notre plus grand Bien, le seul qui puisse contrer le Mal ambiant.» (p.25) 

Mal de l’âme

Le médecin et philosophe questionne le mal de l’âme qui secoue nos sociétés, surtout la jeunesse. Comment contrer le «mal d’être»? Il faut peut-être se tourner vers les poètes et les penseurs pour deviner la petite flamme qui vacille.
«Je ne sais pas. Je ne suis sûr de rien. Pourtant, il semble exister un baume pour chaque plaie du monde. Ce baume est souvent un langage. Et ce langage est souvent poésie. Et la poésie, la vraie, ressemble souvent à de l’amour.» (p.87)
Jean Désy recommande l’humilité devant sa profession de médecin. Tout comme Jacques Ferron l’était. Il croit qu’il faut cultiver l’amour de ses patients et avoir la certitude d’être utile. Malheureusement, la médecine industrielle s’éloigne de plus en plus de cet artisanat nécessaire, de «cette compassion humaine» qui aide plus que les appareils les plus sophistiqués.

«Entre le chaos et l’insignifiance» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.