lundi 3 août 2009

Patrice Martin s’amuse avec le lecteur

Peut-être que les écrivains ne peuvent que s’appuyer sur leurs prédécesseurs pour créer leur propre oeuvre. La littérature nourrit la littérature et l’ensemble des livres constitue une longue chaîne. Habituellement, un auteur fait tout pour masquer ses influences, se présentant comme l’enfant qui vient de naître.

Patrice Martin, dans «Le chapeau de Kafka», met cartes sur table à propos de l’auteur de «La métamorphose» et du «Procès». Assez pour nous plonger dans une histoire étrange, parfaitement logique et absurde, un univers que ne nierait pas Samuel Beckett. Les personnages dialoguent sans se comprendre, prisonniers de codes et de leurs fonctions. Martin évoque la bêtise du fonctionnarisme et une société qui s’en tient à des règles abstraites et inhumaines.

Mission

P. (Patrice Martin peut-être) reçoit une mission. Il doit aller chercher un chapeau ayant appartenu à l’écrivain tchèque dans un édifice de New York, récupérer le couvre-chef et le ramener à son patron. Ce qui devait s’avérer une simple promenade déraille. Coincé dans un ascenseur, P. réussit à en sortir après un dialogue digne de «En Attendant Godot» avec les préposés à l’entretien, tombe sur un gardien d’entrepôt qui vient de mourir. Craignant d’être accusé de meurtre, il décide de cacher le corps dans une valise où il déniche un manuscrit. Il y est question de Paul Auster, Italo Calvino et Jorge Luis Borges.
Les événements font le larron, dit l’adage. P. décide de voler le chapeau pour demander une rançon, se retrouve encore une fois coincé dans l’ascenseur avec une femme dont il tombe amoureux.
«En effet, s’il n’avait pas été coincé à cet étage précis, il n’aurait pas cogné à la porte de la salle des valises. S’il n’avait pas trouvé, puis caché le corps du garde de sécurité, il n’aurait sans doute pas été là au moment où la caisse de chapeaux arrivait dans la salle. S’il n’avait pas conclu sa seule option véritable était de voler le chapeau et, afin de ne pas déclencher l’alarme, de monter de nouveau dans l’ascenseur, il ne serait pas en présence de cette jolie femme qui porte présentement la preuve à conviction de sa culpabilité sur sa tête. » (p.65)
Une partie de l’intrigue tourne autour de cet ascenseur imprévisible qui provoque les situations les plus étranges. Il peut même devenir dangereux en chutant de plusieurs étages.
«L’action mène à la connaissance, qui pousse à l’action, qui mène à la connaissance, qui pousse à l’action, etc. P. est venu accomplir quelque chose de précis dans cet édifice, mais ce qu’il y a appris le pousse à faire autre chose. Ce tango interminable entre action et connaissance, connu sous le nom de dialectique, fait la force et le malheur de l’humain en même temps qu’il le distingue des bêtes.» (p.32)

Puzzle

Peu à peu les morceaux du puzzle s’imbriquent. Patrice Martin nous entraîne dans un suspense où le hasard provoque les pires situations. Paul Auster s’avance dans l’ombre et c’est lui que l’auteur tente d’approcher.
«Max relate alors comment Auster raconte que Kafka invente une histoire pour une petite fille qui a perdu sa poupée. Il explique que son roman à lui tourne autour du chapeau de Kafka et de la ville de New York. Or comme, de toute évidence, un des plus grands romanciers new-yorkais de l’heure est un fan de Kafka, il a pensé qu’il serait peut-être intéressé à lire son manuscrit et, pourquoi pas, à en signer la préface.» (p.91)
De véritables poupées gigognes qui s’emboîtent et font glisser dans des univers étranges. Un texte brillant, un peu compliqué, mais jamais le lecteur ne perd le fil. On apprécie les clins d’œil et les entourloupettes, les surprises et les dialogues particulièrement absurdes. Ceux qui fréquentent Borges, Auster et Calvino apprécieront.
Patrice Martin s’amuse à paraphraser ses auteurs favoris sans faire une fausse note. Un travail original, une surprise et un plaisir d’esthète. La littérature québécoise ne nous a pas habitué à ce genre de récit.

«Le chapeau de Kafka» de Patrice Martin est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/516.html

mercredi 22 juillet 2009

Yves Dupéré écrit un thriller historique

Yves Dupéré signe un troisième roman qui nous plonge dans la période qui précède la déclaration d’indépendance des États-Unis en 1783. «Un vent de révolte» est certainement le meilleur roman historique que j’ai lu depuis longtemps.
L’auteur nous transporte à Philadelphie, Paris, Québec, Montréal, Boston, Nantes et Versailles. Des bonds dans l’espace qui oscillent entre avril 1775 et septembre 1783, le temps de suivre des personnages réels et imaginaires qui décident de l’aventure américaine. Les Bostonnais ne décolèrent pas devant les mesures imposées, par le roi Georges III d’Angleterre, qui étouffent les ambitions commerciales de la colonie. Plusieurs escarmouches éclatent ici et là, dont le «Boston Tea Party».
«Dès que la nouvelle arrive en Amérique, l’indignation est générale chez les commerçants qui encouragent le boycott du thé. Des bateaux de la Compagnie des Indes orientales chargés de thé se rendent dans différents ports coloniaux. À New York, les navires sont obligés de faire demi-tour en raison de l’hostilité de la population. À Boston, cinquante hommes déguisés en Amérindiens se glissent à l’intérieur de trois bateaux dans la nuit du 16 décembre 1773 et jettent par-dessus bord trois cent quarante caisses de thé. C’est le Boston Tea Party.» (p.14)
Les révoltés entendent bien voler de leurs propres ailes malgré les embûches et la répression. L’affrontement armé devient inévitable.

Défaite de 1760

Pendant ce temps au Canada, nul n’a oublié la défaite de 1760. Plusieurs sont retournés en France plutôt que de subir le joug anglais. La famille de François Hébert de Courvais, les héros de «Quand tombe le lys», a vécu la fin du régime français et été durement éprouvée. Alexandre, le frère de François, est mort en héros sur les plaines d’Abraham. Sa sœur Catherine a été violée et tuée par les habits rouges. Jean et Alice étaient des enfants lors de ces événements.
Jean voit dans la révolution américaine une chance de refaire sa vie. Criblé de dettes, il doit fuir la France. Alice travaille comme espionne à Philadelphie, usant de ses charmes pour connaître les décisions du Congrès et les intentions des rebelles.
«Comme espionne du roi, elle avait misé énormément sur ces atouts afin de s’élever et enfin devenir l’un des meilleurs agents de Louis XVI. Par sa beauté, sa grâce et son charisme, elle avait réussi à ensorceler plusieurs hommes. Henry, un médecin de Philadelphie et espion pour le compte de l’Angleterre, était le dernier de sa liste et il venait de payer le prix de ses manœuvres.» (p.20)
Plusieurs francophones du Canada voient dans le soulèvement des Américains la chance de prendre leur revanche et de bouter l’Anglais hors du pays, même si le clergé et la petite bourgeoisie restent fidèles à la couronne britannique. Une première invasion des Américains en décembre 1775 échoue. Les Canadiens sont déçus par l’attitude hautaine et méprisante des envahisseurs. Ils ne laissent guère de bons souvenirs dans la population de Montréal et une seconde tentative reste à l’état de rumeur.
Alice et Jean vivent le grand rêve de conquérir le Canada pour affaiblir l’Angleterre et rétablir l’hégémonie de la France. Ils deviennent les yeux et les oreilles de Louis XVI et du général Washington dans la colonie du Nord. Dans la clandestinité, ils subissent la répression impitoyable du colonel Stephen Downer, un tortionnaire. Ils risquent leur vie pendant que le roi de France ne joue pas franc jeu, n’ayant nullement l’intention de reconquérir le Canada. La fin du roman est particulièrement émouvante.

Un thriller

Yves Dupéré fait intervenir des personnages comme Georges Washington ou Benjamin Franklin avec justesse. Des intrigues amoureuses, des trahisons et des rebondissements inattendus tiennent le lecteur en haleine. Il ne peut que s’attacher à Alice et Jean, des héros modernes et fascinants.
L’écriture sans artifices va droit au but cette fois. Un véritable thriller. Une belle manière de présenter une période trouble de ce passé dont on ne parle guère dans les institutions scolaires.

«Un vent de révolte» d’Yves Dupéré est publié aux Éditions JCL.

dimanche 19 juillet 2009

Claire Varin tente de revivre son passé


Claire Varin, dans «La Mort de Peter Pan», revient sur un amour de jeunesse. Malcolm Wendell Walker est mort à trente ans. Né de père irlandais et d’une jeune anglophone de Montréal, le jeune homme a péri dans l’incendie d’un appartement. Alcoolique, il buvait jusqu’à s’écrouler sur le trottoir, devenant une véritable épave. Un comportement propre à Jim Morrison des Doors et André Mathieu le compositeur et musicien québécois décédé prématurément, tout comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Bukowsky, Sylvia Plath et Émilie Brontë. Et comment ne pas penser à Jack Kerouac! Des étoiles filantes qui ont marqué l’imaginaire de plusieurs générations.
Claire Varin a aimé cet homme et garde de lui une image qu’elle n’arrive pas à oublier.
«Qu’avais-tu de si extraordinaire pour que, après une vingtaine d’années, je décide d’écrire sur toi, à partir de toi, vers toi, si beau et authentique ? Peut-être que de tous ceux qui ont touché mon cœur, tu es le seul à m’avoir aimée follement tout en m’acceptant comme un être libre. Il fallait que notre arbre grandisse avant que ses fruits ne se détachent de leurs branches.» (p.10)
Malcolm allait de conquête en conquête, se saoulait avec une application quasi religieuse. Un obsédé aux instincts suicidaires. Ce «désir d’anéantissement», Nicole Houde dans «Je pense à toi», son plus récent roman, l’a parfaitement décrit. Une sorte de jubilation accompagne ces plongées qui poussent à la limite du possible. Comme un voyage hors de soi.

Enquête

Est-il possible de «revivre» un amour perdu, d’en préciser les contours et les couleurs? Claire Varin se lance dans cette folle entreprise, rencontre la mère de Malcolm, retrouve des femmes avec qui il a eu des aventures, des amis et des connaissances. Elle remonte dans son enfance, son court séjour à la crèche, questionne sa mère Myrtie, visite des lieux pour retrouver l’ambiance de l’époque, invente un mythe autour d’un alcoolique plutôt difficile à suivre dans ses extravagances. Elle ira jusqu’à tenter de retrouver le père qui n’a jamais été là.
«Je suis la fascinée de la mort, ravie par la vie. Je ne veux pas raconter une histoire pour divertir, mais pour approfondir mon propre mystère. Qui est aussi le tien. « Celui qui meurt est celui qui reste » ; d’accord avec l’auteur anonyme de cet aphorisme. On dit que les morts ne reviennent pas, mais ils reviennent. Toi et moi convenons de l’exactitude de cette assertion notée à mon réveil.» (p.118)
Sa quête entraîne la romancière vers l’ésotérique, des médiums qui savent communiquer avec les disparus, semble-t-il.

La mort

Claire Varin tente de cerner cet homme qui s’est consumé comme une météorite. Elle s’attarde à des cérémonies funéraires à travers différentes époques, se penche sur l’Égypte pour étudier la préparation des momies. Mais comment percer les secrets de la mort qui hantent l’humanité sans se retourner vers soi pour se surprendre dans le miroir?
«Toi, tu es mort à trente ans et ton film se déroule dans ma tête. J’en suis notamment la recherchiste, la scénariste, la réalisatrice et l’une des actrices, celle pour qui le protagoniste s’embrase au point de lui léguer sa vie, sa mort en fait, sur un plateau d’argent.» (p.198)
Roman étrange, réflexion fort intéressante sur l’écriture, les souvenirs qui s’accrochent à la mémoire. Peut-être que les hommes et les femmes ne peuvent s’empêcher d’inventer des fictions en explorant leurs souvenirs pour les protéger comme des momies.
«La Mort de Peter Pan», malgré ses aspects ésotériques, fascine. Une écriture maîtrisée et un regard sur l’art de vivre et d’écrire qui échappe à la banalité. Claire Varin nous laisse sur une question. «Tout ce temps où je t’ai écrit, Malcolm, suis-je allée vers ta souffrance? Toi, tu m’as accompagnée vers la mienne.» (p.213)
Pouvait-il en être autrement?

«La Mort de Peter Pan» de Claire Varin est paru aux Éditions Québec Amérique.

dimanche 5 juillet 2009

Jérôme Gagnon raconte Péribonka

Quand une municipalité de la région fête son centième anniversaire de fondation, il est difficile de ne pas se demander si nous vivons son chant du cygne. Surtout depuis la crise forestière et les problèmes de l’agriculture, deux pôles d’activités qui ont permis à la plupart des communautés de se développer. Jérôme Gagnon, dans «Péribonka, un petit village au grand destin», formule la question dans l’ouvrage qu’il lançait, il y a quelques jours, au musée Louis-Hémon.
«Plus que jamais, la municipalité de Péribonka est à un tournant décisif de son histoire. On n’hésite plus à parler d’elle comme d’une communauté dévitalisée. Petit à petit, les symboles de sa cohésion sociale s’étiolent. En 2006, la dernière épicerie a fermé ses portes et, l’année suivante, c’est au tour de la caisse populaire d’interrompre ses services à Péribonka. L’école continue de maintenir une partie de ses activités, mais pour combien de temps?» (p.235)
Un scénario connu de toutes les régions périphériques du Québec.

Centenaire

Péribonka fête, en 2009, le centième anniversaire de sa constitution en municipalité. Jérôme Gagnon, historien et chercheur, avec plusieurs collaborateurs, a écrit l’histoire de ce territoire et de ce village au destin singulier sans gommer la présence autochtone. L’historien présente le territoire de la Péribonka à partir des premiers contacts au temps de la Nouvelle-France. Des oblats, Joseph-Étienne Guinard et le père Crespieul, remontent les rivières jusqu’à la baie d’Hudson, empruntant la Péribonka. Louis Jolliet y mène une expédition en 1679. Les Innus sillonnent ce territoire depuis plus de 6000 ans. La rivière Péribonka étant, avec la rivière Ashuapmushuan, l’une des grandes voies d’accès aux territoires de chasse.
Première église de Péribonka
Le peuplement récent de Péribonka occupe une place importante dans ce document avec l’arrivée d’Édouard Niquet et de son épouse Mélanie Boisvert en 1888. Une figure légendaire, un modèle de débrouillardise. Avec sa situation géographique unique, une ouverture sur le lac Saint-Jean et l’accès à tout un territoire forestier, le village ne pouvait qu’attirer nombre de gens qui veulent changer de vie. Ce fut un pôle important de la navigation sur le lac Saint-Jean avec Roberval, le terminus ferroviaire où à peu près toutes les marchandises transitaient.
Des personnages fascinants s’installent comme le Français Paul-Auguste Normand et Joseph Savard, un visionnaire de l’agriculture. Également des frères ouvriers de Saint-François-Régis à Vauvert qui seraient à l’origine de la culture de la pomme de terre dans le secteur. Des Européens aussi qui viennent tenter leur chance, mais n’arrivent pas à relever le défi.
Péribonka, c’est l’histoire de la navigation sur le lac Saint-Jean, du flottage du bois qui a duré quelque 140 ans. Le village se singularise avec la construction d’une usine de pâte en 1901 qui connaîtra le même sort que Val-Jalbert et les installations de J.E.A Dubuc au Saguenay. L’agglomération connaîtra aussi l’effervescence des chantiers de construction des grands barrages, la production d’électricité et le rehaussement des eaux du lac Saint-Jean. Son environnement changera avec la disparition de Jeanne-D’arc, un village prospère, qui s’érigeait dans le territoire qui est devenu le parc de Pointe-Taillon.

Louis Hémon

En 1912, un Breton arrive à Péribonka et s’engage comme homme à tout faire chez Samuel Bédard. Un aventurier, un écrivain qui observe et parle peu. «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon sera publié quelques années plus tard, un grand succès de la littérature mondiale qui fait connaître Péribonka partout sur la planète. Le village devient un lieu de pèlerinages pour des milliers d’admirateurs. Éva Bouchard sait entretenir le culte et attirer les visiteurs. Péribonka devient un lieu mythique qui nourrit l’imaginaire. La municipalité vit son «âge d’or» en 1960 avec une population de 891 habitants. Il n’en reste plus que 540 en 2006.
Jérôme Gagnon a le grand mérite d’avoir parcouru cet immense territoire depuis des temps immémoriaux jusqu’à l’époque récente. Bien plus que l’histoire de Péribonka, son travail constitue un regard sur le développement du Lac-Saint-Jean. Le lecteur trouvera dans «Péribonka, un petit village au grand destin» une foule de renseignements, de statistiques et de photographies qui témoignent de la vitalité d’un peuplement et de son déclin. Une fresque fort intéressante qui se lit comme un roman.

«Péribonka, un petit village au grand destin» de Jérôme Gagnon est publié par la municipalité de Péribonka.

dimanche 28 juin 2009

Un voyage qui tourne au cauchemar

Françoise Cliche présente un premier roman avec «L’arbre qui glapit», un ouvrage qui pourrait très bien être qualifié de récit.Marie et Roméo, une fois à la retraite, décident de séjourner au Guatemala. Lui est plombier et elle infirmière. Ils participeront, avec d’autres coopérants québécois, à la construction d’une école pour les enfants d’un bidonville près de Guatemala Ciudad. Le couple est encore très amoureux après quarante ans de vie commune. Pourtant même si la vie leur a réservé des moments éprouvants, rien n’a pu ébranler leur passion.
Roméo embarque dans l’aventure à reculons. Il déteste les voyages et surtout il a une peur maladive de l’avion. Il accepte cet exil de quelques mois à cause de son épouse. Il la suivrait au sommet de l’Himalaya si elle le lui demandait.
«L’amour me mène par le bout du nez et, parfois, il me mène beaucoup plus loin que je ne le souhaiterais. Ce voyage ne m’inspire rien qui vaille ; je le fais pour Marie un point c’est tout. Pour Marie et pour les quetzals.» (p.17)

Vie de groupe

Autant Marie sait voir les beaux côtés de la vie, autant Roméo est grognon et de mauvaise foi. Heureusement le père Conrad fait l’unanimité. Il a l’art d’amenuiser toutes les difficultés avec son sourire et sa  seule présence. Un véritable héros qui fascine tous les intervenants.
Le séjour s’annonce difficile. Le travail physique met les nerfs à vifs avec la chaleur. Transporter des briques, manier la brouette et jouer aux maçons, épuise les plus résistants. Plus, la promiscuité est peut-être encore plus difficile que ce travail de forçat.
«Pourquoi lui gâcherais-je son plaisir? La réalité la rattrapera bien assez tôt: Marthe et Lise ronflent, Marcel se lève pour un petit pipi aux deux heures et Guy se tourne sans arrêt dans son lit avec une énergie de lutteur en pleine action sur un ring. Ses brusques changements de position s’accompagnent, de surcroît, de bruits de toutes sortes: jappements, raclements de gorge, déglutitions à répétitions, clappements et reniflements.» (p.39)
Le  groupe s’adapte malgré les différences et les manies de chacun.

Escapades

Conrad organise des excursions dans la campagne guatémaltèque. Les coopérants deviennent des touristes qui découvrent des populations qui vivent en marge du monde. Un mélange de modernité et de traditions qui ne changent guère depuis des siècles. Les Québécois plongent dans un pays d’une beauté à couper le souffle.
«La beauté des lieux nous fait oublier quelques minutes de ces ennuyeux ratés mécaniques. À nouveau enivrés par les effluves de citrons, d’oranges et de pommes, la tête dans les fleurs, nous grimpons vers un ciel rose vif avec, en fond sonore, des hymnes à la joie chantés par des milliers d’oiseaux. Mais quels sont donc ces lieux ? Sommes-nous morts d’épuisement et au paradis?» (p.113)
Marie et Roméo sont la cible d’une bande de voyous. Roméo affronte un tueur et y laisse deux doigts. Le jeune Raul, qui fraye avec la racaille, est tué dans l’échauffourée. Roméo a l’impression d’avoir assassiné cet enfant de ses mains. Il s’en remettra difficilement et l’amour qu’il voue à Marie est ébranlé. Tout s’écroule, mais l’adoption de la sœur de Raul, Luisa, change les choses.

Digressions

Un ouvrage  fort sympathique qui aurait eu cependant avantage à être élagué. Madame 
Cliche emprunte bien des méandres qui font décrocher le lecteur. Signalons les longues digressions touchant la mère de Roméo et les fausses couches de Marie qui nous éloignent du récit. Beaucoup de complaisance aussi dans la description de l’interminable séjour de Roméo à l’hôpital. Cet acharnement du narrateur à culpabiliser finit par faire hausser les épaules.Françoise Cliche a un bon sens de la caricature et un humour certain. Elle a juste l’art de forcer la note et de vouloir en mettre plein la vue. Elle aurait avantage à apprendre à contrôler son enthousiasme et à fréquenter la sobriété. Malgré ces petits travers, un ouvrage fort sympathique.

«L’arbre qui glapit» de Suzanne Cliche est publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/526.html