mardi 15 décembre 2009

Des écrivains explorent Montréal

Florence Meney a dirigé ce collectif
Vingt-et-un écrivains du Québec et d’ailleurs, six femmes et quinze hommes, s’attardent dans un site de Montréal. Tous ont choisi un endroit aux couleurs particulières. Ce peut-être un quartier qui nourrit l’écriture d’un romancier, un restaurant ou un bistrot, une place publique. Voir Montréal par les yeux de ces créateurs, c’est se promener entre la réalité et la fiction.
«Et c’est dans ce double mouvement d’ouverture et de résistance que le Québec - et Montréal – se définit. Un équilibre fragile, mais qui finit par faire une identité.» (Aline Apostolska, p.114)
Michel Tremblay et Claude Jasmin explorent un quartier de Montréal depuis des décennies. D’autres sont des oiseaux de passage comme Élisabeth Vonarburg, Kathy Reich ou Philippe Besson qui reviennent régulièrement dans cette ville.
«La gare routière du centre-ville de Montréal, l’un de ses lieux de prédilection, constitue en quelque sorte le reflet de son œuvre, ainsi qu’une source d’inspiration.» (Élisabeth Vonarburg, p.123)
Luc Lavigne est photographe
Yves Beauchemin, carnet en main, s’attarde à la station de métro Berri-UQAM pendant que Bryan Perron devient nostalgique au restaurant Da Giovanni. Plus loin, Jean-François Chassay s’étourdit dans le marché Jean-Talon.
«J’aime beaucoup, plus particulièrement, le marché Jean-Talon, parce qu’il est grand, et surtout sociologiquement très représentatif de Montréal… …C’est un marché à la fois francophone, anglophone et italien. Depuis plusieurs années en plus, il est devenu arabe, asiatique aussi.» (p.204)
Dany Laferrière ne pouvait que ramener le lecteur au Carré Saint-Louis, le site de «Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer».
«Montréal m’appelle. C’est une ville avec laquelle je n’ai pas de distance. C’est la première ville que j’ai connue, à part Port-au-Prince et Petit-Goâve. Elle fait partie de moi.» (p.144)
Chrystine Brouillet sourit près des balançoires du parc Lafontaine et Suzanne Jacob se faufile dans le cimetière Mont-Royal, son espace de silence et de méditation.
Des entrevues permettent de connaître les préoccupations des écrivains et écrivaines, de s’attarder à leur façon de concevoir et de réaliser un roman.
De très belles photographies de Luc Lavigne surprennent les créateurs dans leurs endroits de prédilection.
À souhaiter qu’à la mairie de Montréal et dans plusieurs grandes entreprises de la Métropole on pense à offrir ce livre magnifique aux visiteurs qui débarquent à Montréal pour découvrir le Québec par sa plus grande ville.

«Montréal, à l’encre de tes lieux» de Florence Meney est paru aux Éditions Québec Amérique.

Jocelyne Saucier envoûte encore une fois

Jocelyne Saucier a habitué le lecteur à des œuvres denses et originales depuis son entrée en littérature en 1996 avec «La vie comme une image». Des romans qui s’ancrent dans l’histoire et la réalité de son pays de l’Abitibi. «Les héritiers de la mine» met en scène une famille qui partage un terrible secret; «Jeanne sur les routes» permet de suivre la lutte d’un militant communiste dans une société en mutation. Avec «Il pleuvait des oiseaux», l’écrivaine s’attarde aux grands feux qui ont ravagé, au début du siècle dernier, des villes de l’Abitibi et les espaces du nord de l’Ontario. Des tragédies qui ont marqué l’imaginaire des survivants.
 «Le Grand Feu de Matheson a été le plus meurtrier. Deux cent quarante-trois morts. Ce sont les chiffres officiels. Ils ne comptent pas les prospecteurs, les trappeurs, et les errants, ces êtres qui n’ont pas de nom, pas de nationalité, qui n’existent pas, qui vont d’un endroit à l’autre. Le pays était neuf, il attirait des aventuriers de toutes sortes. On en retrouvera quelques-uns dans des ruisseaux asséchés, mais la plupart  ne formeront qu’un petit tas d’os calcinés que le vent emportera loin des chiffres comptables. Cinq cents morts, on dit certains.» (p.68)
Il n’en faut pas plus pour faire courir les légendes. Un jeune garçon, entre autres, revient dans tous les témoignages.
«Les Grands Feux ont eu leurs héros et leurs martyrs. Boychuck n’était ni l’un ni l’autre, mais il apparaissait dans tous les récits des survivants du Grand Feu de Matheson, même de ceux qui ne le connaissaient pas, qui ne l’avaient jamais vu, qui n’avaient rien à témoigner à son sujet. Ed Boychuck, Ted ou Edward, on ne s’est jamais entendu sur son prénom, est une figure énigmatique du Grand Feu de Matheson. Le garçon qui marchait dans les décombres fumants. C’est ainsi qu’on le désignait le plus souvent.» (p.71)
«Il pleuvait des oiseaux» tourne autour de ce survivant qui a échappé au fléau par miracle.

La quête
Une photographe rencontre les témoins, tente de reconstituer les événements, de démêler ce qui est vrai du faux. Tous sont très âgés et ils ont juste assez de mémoire pour inventer des mythes et des légendes.
Elle finit par retracer Boychuck qui s’est réfugié dans la forêt avec des comparses. Ils vivent dans des cabanes, défient la vie et la mort avec la complicité de deux jeunes qui cultivent la marijuana et leur apportent des provisions.
Il ne manque que Boychuck à la collection de l’enquêteuse. Cette fois, elle arrive trop tard. L’homme est décédé. Elle s’attarde pourtant, s’attache à ces rebelles, découvre un artiste qui peignait d’étranges tableaux. Il faudra l’arrivée d’une femme internée pendant plus de soixante ans pour commencer à «voir réellement» ces centaines de toiles. Boychuck a sans cesse peint le drame qui a marqué sa vie. Sa famille qui a péri dans un caveau, deux femmes qui ont échappé au feu en fuyant sur la Black River dans un radeau de fortune.
«Certains tableaux révèlent des épisodes qui lui étaient totalement inconnus. Aucun survivant ne lui avait parlé de ces deux jeunes filles qui avaient dérivé le long de la Black River sur un radeau. Leurs cheveux, magnifiquement blonds et lumineux, leur couvraient tout le corps. Couchées à plat ventre sur le radeau, on ne voyait qu’une traînée d’or dans ce que Marie-Desneige reconnut comme les eaux noires d’une rivière.» (p.118)
Les ermites font face à la mort et à la vie en regardant droit devant eux. Peut-on choisir sa fin ? Ils ne lésinent pas. Ils sauront quand le moment sera venu. Un sujet d’actualité en ce temps de commissions et d’audiences.

Les choix

Tom choisit de mourir à l’automne. Il en a assez ! Une scène difficile. Marie-Desneige et Charlie risquent l’amour pour le peu de temps qui leur reste. Ils fuient sans laisser de traces.
Un grand roman construit comme les tableaux d’une exposition. Chacun des chapitres se présente en vignettes que l’on affiche au bas des toiles pour guider le visiteur.
Un livre magistral et exceptionnel. Un regard tendre sur le vieillissement, les légendes et l’amour. Jamais Jocelyne Saucier n’a été aussi percutante, aussi émouvante. Un bijou. Si elle ne remporte pas un prix littéraire avec ce quatrième ouvrage, il faudra se poser des questions.

«Il pleuvait des oiseaux» de Jocelyne Saucier est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/catalogue/586.html

Bryan Perro écrit son anthologie du fantastique

Bryan Perro
Bryan Perro est associé à la série «Amos Daragon» qui a connu un très grand succès au Québec et à l’étranger.
Le lecteur familier avec l’univers de cet écrivain ne sera pas surpris d’apprendre qu’il s’intéresse aux contes et aux histoires fantastiques, aux événements qui échappent à l’entendement. Un monde qui intrigue et ne cesse de se renouveler dans l’imaginaire des populations.
Si tous ont entendu parler de «La Dame blanche» ou de «La Corriveau», qui connaît «Le Nain jaune» des Iles de la Madeleine ou la légende du rocher Percé. Bryan Perro réussit à surprendre avec des sujets moins connus.
Alexandre Girard
«Avec ce recueil, je souhaite faire connaître certaines créatures extraordinaires qui peuplent notre coin de Terre. De nombreux monstres foisonnent dans toutes les régions du Québec, et en dresser un inventaire signifiant ne fut pas une mince tâche. C’est donc avec la volonté d’offrir un éventail représentatif de l’imaginaire québécois que j’ai rédigé cet ouvrage, et j’espère que vous y plongerez avec plaisir et curiosité.» (p.11)
Rapidement, on se laisse entraîner dans des histoires étranges qui soulèvent bien des questions. L’écrivain réussit à semer le doute dans l’esprit du lecteur et c’est ce qui importe.
Avec son comparse Alexandre Girard, ils signent deux livres particulièrement soignés. Ce dernier a la plume alerte, sait prendre ses distances avec l’écrit et invente un monde autonome. Notes, anecdotes, illustrations des personnages et différentes scènes des histoires racontées cernent le texte de Perro.
Plus de trente sujets sont abordés dans chacun des tomes en plus des dossiers sur certains phénomènes et un spécial sasquatch ou Big Foot. Ces personnages fascinent l’être humain depuis des siècles. Ils ont été vus un peu partout dans le monde. Est-ce la survivance du mythe de l’homme sauvage? Même les Amérindiens évoquent ces géants plutôt discrets.
Pour Bryan Perro, les histoires de monstres ou les phénomènes étranges, c’est du sérieux. Joliment bien fait et documenté cette anthologie des créatures fantastiques du Québec.

«Créatures fantastiques du Québec» Tomes I et II de Bryan Perro et Alexandre Girard sont parus aux Éditions Les intouchables.
http://www.lesintouchables.com/auteur-214-Perro-Bryan.php

Michel Samson présente l'Asie traditionnelle

Michel Samson, avec «Ombres sereines», fait son entrée en littérature de façon plutôt originale.

 L’auteur nous entraîne dans une Asie mythique où les sages enseignent à l’ombre d’arbres centenaires, écoutent plus qu’ils ne parlent. Parce que la sagesse, il faut le dire, ne niche pas dans le «murmure marchand». Il suffit d’un mot affûté comme une lame, précis comme un grain de beauté pour provoquer l’illumination qui embrase la vie. Michel Samson nous présente des moines qui vivent retirés dans les montagnes, des maîtres qui semblent avoir tout vécu; d’humbles artisans qui, poussant leur art dans ses derniers retranchements, découvrent ce que doit être la vie, la voie qui mène à sa pleine réalisation. 
«La flamme cherche vainement son ombre et jalouse ainsi tous ceux qu’elle éclaire. Lorsqu’elle s’éteint, elle réalise enfin son appartenance à ce monde peuplé de flammes jalouses. Merci de votre grande patience à l’égard de ce pauvre jardinier si entiché de sa propre lueur qu’il s’est cru capable d’éclairer la Voie sans réaliser que c’est la Voie qui éclaire.» (p.49)

Recherche

Voilà une forme de pensée qui a hanté la beat génération, particulièrement Jack Kerouac qui ne cessait de parcourir les États-Unis.
Le lecteur plonge dans un monde un peu hors temps, même si certaines allusions nous rapprochent de l’époque contemporaine. Un monde où la fragmentation du travail, la mondialisation et la productivité n’existent pas. Inutile de chercher les crises et les récessions économiques.
Une réflexion, un sourire provoque l’étincelle qui soulève l’âme et l’être.
«- Toutes ces années, j’ai été le nœud du bambou. J’ai cherché un chemin sans comprendre, égoïstement. Mon voyage n’aura donc pas été inutile.
Le moine s’inclina alors en souriant.
- Vous pouvez aller. La voie s’étale sous vos pieds.» (p.72)

Pas de surprise

L’ensemble de ces récits ou de ces réflexions sur la vie, le temps qui passe, le sens des choses, n’a rien d’étonnant. Les histoires de Michel Samson ne surprennent jamais et c’est peut-être là qu’il faut chercher une signification. Il suffit de voir, de regarder le monde tout autour, sans chercher le spectaculaire ou l’original pour trouver une direction à suivre, un équilibre dans la succession des jours.
Des histoires charmantes que nous lisons le sourire aux lèvres. C’est toujours joliment tourné avec cette petite poussée à la fin qui nous laisse sur un pied, avec une question que nous n’osons formuler, une solution qui se laisse désirer.
S’il y a une leçon à tirer d’«Ombres sereines», c’est de cesser de s’agiter et de chercher des réponses toutes faites.
Michel Samson détonne certainement dans ce monde d’excitation et de performances à tout prix. Un sentiment de plénitude se dégage de cette lecture et c’est loin d’être désagréable.

«Ombres sereines» de Michel Samson est paru aux Éditions La grenouille bleue.

dimanche 13 décembre 2009

Peut-on être heureux sans croire en Dieu?


«Heureux sans Dieu», un collectif dirigé par Daniel Baril et Normand Baillargeon, regroupe les réflexions de quatorze personnalités québécoises sur Dieu, la religion, les croyances et la foi. Quatre femmes et dix hommes, dont Arlette Cousture, Louise Gendron, Isabelle Maréchal, Yannick Villedieu et Louis Gill.
Tous affirment qu’ils ne croient pas en un Être suprême. Ils se sont débarrassés de toutes les superstitions et ne cherchent pas une cause ou un effet pour expliquer la vie et la mort. L’humain est seul dans l’univers, sans peur et sans craintes. Au bout de son existence, comme toutes les autres espèces vivantes qui l’entourent, il retourne au grand rien d’où il est sorti. Une réflexion qui, malgré tout ce que l’on peut entendre et dire dans les médias, s’avère courageuse.
«C’est qu’aujourd’hui encore l’athéisme dérange, fait peur, voire suscite le rejet, écrit l’auteur de la présentation Daniel Baril. Si les gays ont réussi à sortir au grand jour, les athées n’osent pas encore s’afficher, craignant d’être perçus, au mieux comme des trouble-fête, au pire comme de bien tristes personnages à qui il doit sans aucun doute manquer quelque chose.» (p.8)
Bien sûr, on peut parler de la désertion des églises, affirmer que le catholicisme  perd du terrain dans nos sociétés. Pourtant, il suffit de scruter l’actualité pour constater que nombres de guerres de religion existent encore. Le fanatisme et les croisades les plus folles sont loin d’être endigués et ne se retrouvent pas seulement du côté musulman de l’humanité
Cette façon de concevoir la vie sans plan de Dieu, sans au-delà, n’empêche pas ces témoins de ressentir de l’empathie pour leurs semblables, de prôner la solidarité, l’entraide et le partage. L’athéisme, selon eux, est jumelé au savoir. Plus la connaissance s’impose, moins les chances de croire aux fables et aux mythes sont grandes. Le savoir et la réflexion font en sorte que les superstitions cèdent le pas à une forme de lucidité courageuse.
«Les commandements de Dieu sont les mêmes, à quelques virgules près, dans toutes les grandes religions du monde, affirme Louise Gendron. Parce qu’ils correspondent à des tabous, à des règles profondément inscrites dans l’histoire de l’humanité et, souvent, dans la biologie même.» (p.15)
Ceux et celles qui ont accepté d’aborder cette question défendent une société laïque, libérée de toutes manifestations religieuses à l’école et dans le fonctionnement de l’État. Les croyances sont de l’ordre du privé et ne doivent pas s’aventurer sur la place publique. Jamais cela ne doit transpirer dans les discours des politiciens et des dirigeants.
«À mes yeux, je ne le cache pas, églises, synagogues, temples, mosquées, prêtres, imams, rabbins, pasteurs, soutanes, prières, chapelets et mille autres choses encore sont, par bien des aspects, des blasphèmes contre ce qui occupe dans mon échelle de valeurs cet équivalent laïque du sacré et contre certaines des valeurs que je chéris le plus : l’amour de l’humanité, la solidarité, la raison, le progrès.» (p.82)
Cette affirmation de Normand Baillargeon heurte de front les accommodements dits raisonnables qui ont fait les manchettes au Québec. 

Témoignages

Tout n’est pas de la même coulée dans ces témoignages. Louisette Dussault et Arlette Cousture racontent comment elles se sont éloignées des croyances de leur milieu. Un doute, une lassitude et l’abandon de la pratique religieuse est venu tout naturellement.
Il faut s’attarder aux réflexions Daniel Baril, Cyrille Barette et Hervé Fischer. Il y a matière à réflexions. Normand Baillargeon par exemple.
«Imaginez qu’il y ait, au Québec, un réseau de polyvalentes conservatrices, un autre de d’écoles libérales, un autre encore d’écoles péquistes, puis d’écoles communistes, et d’écoles anarchistes… … C’est pourtant ce que nous faisons en tolérant des écoles religieuses réservées à des « petits musulmans » et à des «petits juifs»… (p.96)
Le nouvel humanisme misant sur le vivant et sa capacité de réflexion est encore loin. Les religions, plusieurs le constatent, finissent par nous rattraper, que ce soit à la naissance ou à la mort. Toutes les sociétés ont des réflexes qui reviennent, particulièrement devant de lourdes épreuves. Un livre inégal mais fort intéressant sur un sujet que l’on n’ose guère débattre. Peut-être l’un des derniers tabous qui existent dans nos sociétés.

«Heureux sans Dieu» de Daniel Baril et Normand Baillargeon est paru chez VLB Éditeur.