dimanche 8 août 2010

Yvon Rivard questionne le rôle de l’intellectuel

L’intellectuel joue-t-il encore un rôle dans une société où l’économie dicte toutes les décisions? Yvon Rivard, dans «Une idée simple», lance la question.
 «Mais si l’intellectuel (entendre : tous ceux qui pensent en écrivant, tous ceux qui vont aux choses par le détour des mots, des images et des chiffres) veut vraiment faire son métier qui consiste à découvrir le réel, s’il veut comprendre la complexité du monde, en mesurer l’opacité, épouser le malheur des mortels, il doit se rapprocher de ceux qui sont au fond du baril et du puits étoilé, tous ceux qui, étant exclus du monde par l’injustice, sont pour ainsi dire projetés au-delà, confrontés à l’infini des ténèbres qui les enserrent, condamnés, comme les malades, les pauvres et les agonisants, aux grandes questions dans lesquelles se rencontrent le métaphysique et l’éthique : comment et pourquoi se rendre jusqu’à demain?» (p.10)
Voilà des propos qui ont hanté les penseurs tout au long de l’histoire de l’humanité. De Socrate à Jean-Paul Sartre.
Qui cherche à donner un sens à l’existence par la réflexion et l’écriture, doit tenir compte des démunis pour jouer pleinement son rôle. Il doit se rouler les manches et quitter sa tour d’ivoire.
«Ce n’est pas tomber dans l’anti-intellectualisme populiste que d’affirmer la nécessité pour l’intellectuel de combattre son propre savoir, de l’assujettir constamment, et non pas seulement en temps de crise, à des exigences morales, à l’obligation de porter assistance à autrui.» (p.18)
Rivard ne demande pas à l’intellectuel de se changer en Mère Teresa, mais d’éprouver de la compassion et de l’empathie pour ceux que la société sacrifie souvent.

Vision

Comment «porter assistance à autrui» en écrivant et en combattant son propre savoir?
«C’est, au contraire, avoir de l’intellectuel la vision la plus haute que de lui assigner la tâche la plus difficile, double tâche qui consiste d’abord à se séparer du monde pour acquérir un savoir qui lui permettra de changer le monde ou en tout cas de ne pas accélérer sa destruction, et ensuite qui exige le sacrifice de ce savoir, que celui-ci soit un savoir d’allègement ou d’approfondissement, de création ou d’analyse.» (p.18)
S’isoler du monde pour acquérir des connaissances et se mettre au service des plus humbles plus tard en oubliant les acquis... Un peu étrange.
«Si nous avons un avenir, cet avenir ne peut être que le passé réécrit par ceux qui l’ont quitté et qui le réinventent, et ce passé c’est l’héritage québécois de la pauvreté, l’héritage d’un peuple qui a appris pour le meilleur et pour le pire à se méfier des pouvoirs.» (p.69)
Pas certain que Rivard va faire école avec des idées semblables. Le passé, depuis la Révolution tranquille, nous nous efforçons de le mettre en veilleuse ou de le nier,

Compagnons

Yvon Rivard s’attarde à des écrivains qui ont cherché une petite lumière dans les ténèbres. Virginia Woolf, Peter Handke, Gaston Miron, Gabrielle Roy, Marcel Proust et le cinéaste Bernard Émond. Des créateurs qui ont tenté de surprendre l’étincelle qui embrase une vie et indique une direction.
«Notre travail à tous, que nous soyons ou non peintres ou écrivains, c’est de parvenir à cette autre vie à l’intérieur de notre vie. L’œuvre parfaite, et peut-être n’y parvenons-nous qu’à la mort, serait l’instant où ces deux vies se rejoignent.» (p.136)
Voilà l’aspect le plus intéressant de ce questionnement. 
«Si on ne lit pas attentivement et littéralement Gabrielle Roy, on peut penser que toute son œuvre procède de la nostalgie, que « la source vive de sa vie », comme celle de Martha, c’est son enfance, sa vie avant l’écriture, avant l’exil. Il me semble, au contraire, que cette œuvre vit de et dans l’instant où l’on peut reconnaître le passé, bien sûr, mais où surtout s’opère le recommencement perpétuel du monde, « une sorte d’enfance éternelle de la création.» (p.138)
Des textes exigeants qui soulèvent nombre de questions sans nécessairement fournir les réponses. «Une idée simple» s’avère particulièrement complexe. Le lecteur ne trouvera chez Rivard aucune certitude, mais une direction, un regard empathique sur le monde et les vivants.  De quoi occuper nombre de jours et bien des nuits.

«Une idée simple» d’Yvon Rivard, aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/yvon-rivard-615.html

dimanche 1 août 2010

Un électrochoc servi par France Théorêt

France Théorêt, dans «La femme du stalinien», nous plonge dans un roman dérangeant.
Louise Aubert a été écrasée par Mathieu, pour ne pas dire détruite par le compagnon qui a partagé sa vie pendant une douzaine d’années. Un intellectuel à qui l’on promettait un brillant avenir. Un homme capable de toutes les cruautés dans la vie privée. Il se proclame de l’avant-garde, découpe certains ouvrages littéraires au scalpel, mais se garde bien d’écrire même si tous attendent de lui l’œuvre qui fera époque et changera le regard des écrivains.
Louise est son amante, sa maîtresse, son souffre-douleur et sa servante. Un canevas un peu usé qui a souvent été repris par les féministes pendant les années soixante-dix.
«Tu es intarissable. Les habituelles leçons sur l’avant-garde littéraire font surface. Tu hurles de ta voix haut perchée qui n’a pas mué, de ta voix éraillée. Des accents ressemblant à des sanglots percent. Tu es furieux comme jamais. Tu me dis que je ne sais pas penser. Je tremble. J’essaie de ne pas trembler et je n’y arrive pas. Mes dents claquent, je serre la mâchoire et les lèvres. Les larmes me viennent aux yeux. Tu tempêtes. Tu me punis. Tu arrêtes. La crise est terminée. Tu changes d’attitude et décide que mes lignes ne valent pas ton emportement. Tu m’invectives avec dérision.» (p.27)

Démolition

La pauvre Louise passe au blender. Tout ce qu’elle pense et dit, tout ce qu’elle ose écrire est transformé en purée. Pour se protéger, elle devient muette. Et comme si ce n’était pas assez, elle a subi un père qui méprisait les femmes, entretenait une haine viscérale envers les penseurs et les intellectuels. Une pensée que partageait nombre de Québécois à une certaine époque. On répétait ces inepties et le clergé souriait en donnant du goupillon. Les Mgr Ouellet de ce monde pullulaient et peu de gens osaient remettre en question les diktats de ces gardiens de la vérité.
France Théorêt ne lésine pas. Tout est noir ou blanc. Les hommes ont la science infuse et ils ont reçu le savoir avec un pénis en prime. Les « vraies femmes » obéissent et servent en souriant. On se croirait dans une société dirigée par des Talibans.

Staline

Mathieu entre au Parti stalinien qui prône la haine, la rage et le meurtre. On se souviendra que des groupuscules, au moment de la Révolution tranquille, découvraient le communisme et s’y plongeaient avec un aveuglement pathétique. Ils défendaient l’indéfendable et discutaient pendant des heures les idées les plus invraisemblables. France Théorêt pousse la caricature à la limite.
«Quand nous serons au pouvoir, nous les communistes, la chair de la chair, le sang du sang des prolétaires, nous aurons le devoir de la haine sacrée. La haine héroïque que le parti entretient approfondit notre vision de l’avenir. Nous vaincrons. Le prolétariat détient la vérité. À moins que je ne dise comme lui, il veut que je subisse l’effroi de son discours. Je suis aphone, sans capacité de réplique.» (p.135)
Louise s’en sort en écrivant, après une dépression. Une écriture en forme de thérapie, comment peut-il en être autrement. Elle rédige une longue lettre à cet illuminé, s’attarde à sa vie et à son enfance. C’est souvent pathétique et touchant. D’une précision chirurgicale.
Un roman qui témoigne de la folie des hommes et de leurs obsessions, de ces individus qui se croient investis d’une mission et qui broient les êtres autour d’eux pour atteindre leur but. Cela a donné des régimes politiques où l’on éliminait tous les dissidents et les intellectuels.
Un roman didactique qui rebutera certains lecteurs. Il est difficile maintenant de voir le monde en noir et blanc. Et comment juger entre le fou, l’illuminé, le dictateur et la victime. Du moins dans nos sociétés. Il reste que ce genre d’hallucinés existe encore. Ils agissent par conviction ou simplement par bêtise. Heureusement Louise se libère. Elle claudique, hésite mais retrouvera un air d’aller grâce à l’écriture, se refera une santé mentale en s’adressant au tyran. «La femme du stalinien» possède le tranchant d’une lame de couteau. L’impression d’avoir marché sur du verre tout au long de la lecture.

«La femme du stalinien» de France Théorêt est publié aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 25 juillet 2010

Dany Laferrière n’oublie pas janvier 2010

Le 12 janvier 2010, la terre tremblait en Haïti. En quelques secondes, ce pays retournait à l’âge de pierre, détruisant à peu près tout, faisant des centaines de milliers de morts. Un coup de massue inimaginable.
Dany Laferrière, dans «Tout bouge autour de moi», raconte ce qu’il a ressenti pendant cette catastrophe. La peur bien sûr, la crainte du pire. Le sol ne cessait de bouger, pris de fièvre. Et il y a sa mère et sa sœur dont il était sans nouvelle. Que le noir, le silence inhabituel, la nuit chaude et oppressante. L’impression d’être hors du monde.
«La terre s’est mise à onduler comme une feuille de papier que le vent emporte. Bruits sourds des immeubles en train de s’agenouiller. Ils n’explosent pas. Ils implosent, emprisonnant les gens dans leur ventre. Soudain, on voit s’élever dans le ciel d’après-midi un nuage de poussière. Comme si un dynamiteur professionnel avait reçu la commande expresse de détruire une ville entière sans encombrer les rues afin que les gens puissent circuler.» (p.19)
Pas d’électricité, de téléphone et d’Internet. Que les étoiles dans le ciel. Et puis l’aube après une nuit interminable. La mère et la sœur de l’écrivain ont été épargnées, son neveu aussi.
Dany Laferrière circule dans les rues, rencontre des hommes et des femmes. Ils sont calmes devant la fatalité. La vie est là, mille fois plus précieuse. Tellement forte.

Médias

Les médias ont débarqué, montrant les ruines et les morts alignés dans les rues, les victimes sous les débris. Les images frappent le cœur et le cerveau. Dany Laferrière, sous les conseils de  ses amis, rentre au Canada.
«Il n’y a pas que les Haïtiens d’ici, il y a aussi ceux qui sont à l’étranger, ils doivent savoir ce qui s’est passé. Par quelqu’un en qui ils ont confiance, un des leurs qui a vécu ça. Ils veulent l’entendre dans leurs mots et selon leur sensibilité. Déjà en période calme, ils se méfient de la manière dont la presse internationale parle d’Haïti (un peuple de miséreux), tu crois qu’ils vont les croire aujourd’hui? Tu auras toutes les tribunes disponibles et ta voix pourra équilibrer les choses.» (p.87)
Le lauréat du prix Médicis avec «L’énigme du retour» devient la voix d’Haïti. Il raconte son expérience, le courage de son peuple. Il le fait au Québec, aux États-Unis et en Europe. Partout il écrit, incapable de s’arrêter. Il est pris d’une frénésie. Pour exorciser le malheur peut-être. L’écrivain n’arrive souvent à saisir la réalité qu’en bousculant les mots et les phrases. «J’écris ici pour ceux qui n’écrivent pas.»

Médias

Des images reviennent jour et nuit à la télévision, des scènes d’horreur, les morts, les survivants qui attendent de l’aide. Les caméras cherchent à marquer l’imaginaire, les pillages qui n’arrivent pas. Il ne peut se détacher du petit écran. Ces scènes deviennent plus obsédantes que la réalité qu’il a vécue. Il explique le combat de son peuple pour de l’eau et un peu de nourriture. Tous sont dans la rue. Ils ont tout perdu. Tout ce qui faisait la vie avant n’est plus possible.
Dany Laferrière tente de prendre un certain recul. Que sera l’avenir de ce pays, de ce peuple d’artistes, de peintres et de poètes? Il explore des pistes, mais les moments qui ont bouleversé sa vie ne le lâchent pas.
«Mais pendant dix secondes, ces terribles dix secondes, j’ai perdu tout ce que j’avais si péniblement appris tout au long de ma vie. Le vernis de la civilisation qu’on m’a inculqué est parti en poussière. Comme cette ville où j’étais. Tout cela a duré dix secondes. Est-ce le poids réel de la civilisation ? Pendant dix secondes, j’étais un arbre, une pierre, un nuage ou le séisme lui-même. Ce qui est sûr, c’est que je n’étais plus le produit d’une culture. J’étais dans le cosmos. Les plus précieuses secondes de ma vie.» (p.141)
Maintenant, la bousculade des médias s’est déplacée ailleurs, pour une autre catastrophe. Heureusement, il reste les mots de Dany Laferrière pour nous rappeler ce drame. Particulièrement touchant. Un témoignage qui laisse sans voix.

«Tout bouge autour de moi» de Dany Laferrière est publié chez Mémoire d’encrier. 

lundi 19 juillet 2010

Mauricio Segura retrouve son père et son pays

La quête du père hante plusieurs ouvrages d’écrivains originaires d’Amérique du Sud. Le sujet a fait l’objet de deux des romans de Daniel Castillo Durante, «Un café dans le Sud» et «La passion des nomades». «Eucalyptus» de Mauricio Segura reprend ce thème et met en scène un homme qui retourne au Chili à la mort de son père. Avec son jeune fils Marco, il découvrira la dernière vie de cet homme mal connu.
«Son père, avance Alberto, est le seul de la famille à être un authentique personnage de roman. A tel point qu’il n’est pas rare que, lorsqu’il raconte certains de ses exploits, ses amis se montrent incrédules, croyant que par amour pour lui il exagère. Mais, au fil de la discussion, le tableau s’assombrit, et l’homme débonnaire, vivant et souriant, cède la place à un homme machiavélique, blessé et sournois.» (p.93)

Mystère

Alberto vit à Montréal et vient de vivre une séparation d’avec sa femme. Son père, après avoir vécu un exil au Québec, est rentré dans son pays pour s’y faire une autre vie. Le directeur d’hôpital, le médecin qui pensait changer le monde par la révolution est devenu fermier.
«Alors, vertigineusement, la mémoire lui rend plusieurs images de son père. Il se souvient de lui du temps qu’il était toujours tiré à quatre épingles, le pan de son sarrau blanc soulevé par ses pas pressés. Il se le rappelle en chemise à carreaux, les bottes de construction perpétuellement délassées, quand, éreinté, il poussait la porte de leur appartement exigu du quartier Côte-des-Neiges. Il le voit barbu, cheveux longs, exactement comme il apparaît sur les photos, alors qu’il terminait ses études universitaires et qu’il ne vivait que pour les meetings et les manifestations. Il se le rappelle enfin tel qu’il l’a vu la dernière fois qu’il lui a rendu visite, affublé d’un chapeau de cuir ondulé et d’un lasso fixé à la taille, l’œil aiguisé, taciturne comme les paysans qui l’entouraient à la ferme qu’il gérait d’une poigne de fer.» (p.17)
Roberto a vécu plusieurs vies, demeurant une énigme pour les siens, encore plus pour Alberto son fils, un écrivain.

L’exil

On n’abandonne pas son pays impunément. Alberto le constate tout comme Roberto l’a appris à la dure. Ils sont ceux qui sont partis, ceux qui ont changé en abandonnant les leurs.
«Il ne voulait plus partir. Mais cette lune de miel n’avait pas duré ; les gens, les membres de sa famille élargie surtout, lui avaient bien fait comprendre qu’il n’était pas tout à fait un des leurs, que sur certains aspects, peut-être les plus importants, il était trop gringo, lui lançaient-ils, tantôt en plaisantant, tantôt le plus sérieusement du monde. Dès lors, il ne s’était jamais plus senti chez lui, ni ici ni là-bas.» (p.34)
Un monde où les passions, l’amour tout autant que la haine, la cupidité et l’envie peuvent faire passer un homme de vie à trépas.

Énigme

Alberto découvrira que la mort de son père n’a rien de naturel. Tous pointent les Mapuches, les autochtones que les Blancs prennent plaisir à détester.
Étrange parce que Roberto était presque l’un des leurs en vivant avec la fille du cacique, une jeune femme qui ne manquait pas de caractère. Et il y a cette cicatrice sur le corps de son père. On lui a prélevé un rein. Pourquoi ?
Une quête des origines qui sort des sentiers battus. Une histoire qui ratisse large dans ce pays qui a connu l’espoir d’un changement avec Salvador Allende et le retour de la dictature. Alberto se heurte à une société dirigée par les multinationales qui savent tirer le fil de haines ancestrales pour mieux exploiter tout le monde. Il suffit d’une étincelle, d’un geste pour que tout bascule.
«Eucalyptus» se lit comme un thriller policier. Un récit touchant, un monde dure, impitoyable, la quête d’un homme qui tente de trouver un centre à sa vie. Un roman passionnant, une écriture envoûtante qui transporte le lecteur. 

«Eucalyptus» de Mauricio Segura est publié aux Éditions du Boréal. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/mauricio-segura-1324.html

dimanche 11 juillet 2010

Michèle Nevert s’aventure au pays de la folie

«Textes de l’internement» de Michèle Nevert présente un ensemble de témoignages révélateurs d’une époque heureusement révolue.
Depuis sa fondation en 1873, l’Hôpital Louis-Hypolithe Lafontaine, autrefois Saint-Jean-de-Dieu, conserve les dossiers des patients. Un cas unique au Québec qui permet de lever le voile sur les soins médicaux et les conditions de vie dans ces institutions. Cet asile a accueilli pendant plus d’un siècle des hommes et des femmes qui éprouvaient des problèmes de santé mentale.
«Pour l’heure, l’estimation de ces archives dépasse le chiffre vertigineux de 100 000 et comprend, outre les informations cliniques habituelles pour chaque patient, plusieurs textes et manuscrits produits par ces derniers.» (p.13)
Certains documents ont retenu l’attention de Michèle Nevert et des chercheurs qui l’assistent. Un travail de patience tout à fait remarquable.

Témoignages

Ces dépêches ont été écrites par des hommes et des femmes qui ont séjourné à l’hôpital pendant des périodes plus ou moins prolongées. Les chercheurs ont retenu les dépositions de religieuses, de médecins et certains individus qui ont fait des études avancées. De quoi avoir un aperçu de la vie dans cette institution.
«Ce sont les lettres que les patients adressent à leur médecin qui constituent, de fait, la plus grande part des manuscrits asilaires trouvés à Saint-Jean-de-Dieu.» (p. 25)
Ces témoignages de première main sont souvent pathétiques. Toute la détresse du monde perce dans ces cris de désespoir et ces récriminations. Tous demandent à quitter l’asile, veulent retrouver une vie « normale » auprès des leurs.
Pourquoi ils se retrouvent à Saint-Jean-de-Dieu ? C’est parfois difficile de savoir. Certains ont demandé à y entrer quand d’autres ont été « placés » par leurs proches. Il faut savoir qu’à une époque, il suffisait de la signature du mari pour faire interner une épouse. Le contraire était à peu près impossible.

Quelques cas

Sœur Marie-de-Nazareth a passé trente-trois ans à l’institution pour refus d’obéissance, semble-t-il. Voilà un caractère certes difficile, mais était-ce une raison pour l’interner ? Était-elle saine d’esprit ? Elle ira même jusqu’à écrire au pape pour plaider sa cause et pouvoir réintégrer sa communauté.
Tous se plaignent des traitements, du psychiatre, du personnel religieux, des gardiens, de la nourriture et des autres patients. Le long plaidoyer de Roméo, avocat au barreau de Montréal et député-pronotaire à la Cour supérieure, est particulièrement significatif. Il dénonce le comportement des médecins, la violence des gardiens qui effectuent des représailles sur certains patients, la religieuse responsable des départements. Il le fait avec une belle précision et une certaine forme d’humour.
«Ledit Dr. Richard, soit dit en passant aussi celibataire endurci qu’ivrogne d’habitude, était caché en la chambre de l’ex-patient « perpétuel »  feu M. Guy, en compagnie du gardien prive dudit Guy, un certain Charbonneau lequel, de mes yeux vu, partageait sa monotone occupation entre les soins à donner a son malade et surtout les taloches, coups de poing et autres mauvais traitements avec force « injections » de prieres forcees…» (p. 173)
Un témoignage important parce qu’il s’agit d’un homme cultivé qui décrit ce qu’il voit et semble capable d’une certaine objectivité.

Stupéfaction

Plusieurs hommes et femmes ont vécu des enfers. Alice Roby pourrait s’ajouter à cette liste de gens sacrifiés par un système impitoyable. «Textes de l’internement» de Michèle Nevert ajoute une page à l’histoire révoltante des Orphelins de Duplessis.
Une lecture difficile cependant, souvent bouleversante et émouvante. La reproduction manuscrite de certains textes révèle l’état de ces hommes et de ces femmes.
Dommage que l’on ait choisi de garder la graphie originale de ces lettres. Bien sûr, elles témoignent du désordre ou de la confusion des patients, mais une certaine correction orthographique aurait rendu la lecture plus facile à celui qui ne fait pas une exploration clinique de ces affirmations. Ces missives restent difficiles à déchiffrer, éloigne le lecteur du vécu de ces hommes et de ces femmes qui lancent un cri désespéré. Une certaine mise en forme aurait aussi été souhaitable pour faciliter la compréhension, donner toute la place à la détresse de ces hommes et de ces femmes qui ont connu la marge du monde.

« Textes de l’internement » de Michèle Nevert est publié aux Éditions XYZ.