mercredi 25 mars 2015

L’HUMAIN NE SERAIT-IL QU’UNE MARCHANDISE


UN ROMAN DE NICOLAS DICKNER est un événement dans notre monde littéraire. Surtout que cet écrivain a l’art de se disperser et de prendre des directions inattendues. Trois romans depuis la parution de Nikolski en 2005. Il a publié aussi dans le collectif Alexandre Bourbaki et plus récemment, un livre inclassable en collaboration avec Dominique Fortier : Révolutions. Un échange épistolaire entre les deux écrivains à partir du calendrier républicain des révolutionnaires français qui souhaitaient réinventer notre façon de dire les jours et les saisons. Un livre tout à fait remarquable. Et voici Six degrés de liberté, un titre intriguant, une énigme en soi.

L’informatique fait en sorte que l’on peut sillonner le monde en ne quittant jamais son chez-soi. Éric Le Blanc ne sort presque jamais de son appartement et ne quitte jamais son ordinateur. J’avoue avoir été étonné, surpris et dérangé par ce texte de Nicolas Dickner.
Ce roman illustre l’extrême solitude des êtres de maintenant qui vivent comme des moines tout en étant en contact avec plein de gens. Ils possèdent des savoirs sans la communication humaine, les contacts directs. Leur univers est virtuel et les passions humaines ne semblent pas les toucher. Lisa ne vit plus rien avec son père. A-t-elle déjà eu des discussions avec lui ? C’est encore pire depuis qu’il a perdu la mémoire. Sa mère, une obsédée des produits d’IKEA, ne cesse de fuir. Monsieur Miron et sa femme l’aiment bien, mais ils ne peuvent remplacer un père ou une mère.

Lisa a l’impression d’être coincée entre deux postes. De septembre à juin, elle avance sur le pilote automatique, dans l’étroit chenal scolaire. Pas d’ambiguïté, aucune décision à prendre. L’été, en revanche, lui rappelle constamment qu’elle ne maîtrise pas son destin. Elle échafaude des tours de Babel et des voyages autour du cap Horn, des traversées du Sahara et des accélérateurs de particules, mais l’argent - même en quantités modestes - manque sans cesse pour mener le moindre projet à terme. (p.10)

Éric souffre d’agoraphobie et ne s’éloigne presque jamais de sa chambre. Cela ne l’empêche pas d’être un génie de la programmation informatique et de vouloir tout savoir des bidules qui nous entourent.

Cette passion se doubla d’une révélation : tout, mais vraiment tout, fonctionnait avec des logiciels et des systèmes d’exploitation. Les feux de signalisation, les distributrices automatiques, les fours à micro-ondes, les téléphones, les guichets bancaires, et jusqu’aux appareils médicaux. Il ne restait vraiment plus que la vieille Datsun Sunny de monsieur Miron qui fut entièrement analogique. (p.32)

CONNAISSANCE

Le monde est un réseau de contacts informatiques, de sites où l’on peut tout savoir et tout apprendre des sociétés, des humains et de leur comportement. Tout ce que les pays produisent fait le tour de la planète dans une sorte de flux un peu énigmatique. Les aliments, les vêtements, les nouveautés électroniques voyagent dans des conteneurs avant de se retrouver sur les tablettes des magasins à grande surface. Voilà le tube digestif du système capitaliste. L’Asie fabrique et l’Occident consomme. Tous les produits imaginables sont transportés par des cargos, font des escales dans des ports et repartent vers leur destination. La carte des importations et des exportations ne cesse de se complexifier. Les conteneurs sont remplis, vérifiés, chargés sur des navires dans de véritables gares de triage, restent des semaines dans un port avant de repartir sur un nouveau navire.
La peur du terrorisme rend les sociétés plus ou moins paranoïaques. Des contrôles partout, des vérifications, des paperasses à remplir et le gros tube repart sur un navire plus grand et plus imposant.
Au cours des dernières années, des individus ont tenté d’immigrer clandestinement en se dissimulant dans ces conteneurs. Plusieurs y ont laissé leur vie, manquant d’oxygène.
Lisa et Éric aiment échapper aux contraintes, savoir le pourquoi et le comment des choses. Est-il possible de partir comme ça, de disparaître et de devenir invisible en quelque sorte ; de s’infiltrer dans un système comme un hacker le fait dans un logiciel ?

Lisa bondit sur ses pieds et s’assied à la table à cartes. Elle continue de l’appeler comme ça même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’une table à cartes. D’ailleurs, il n’y a pas une seule carte géographique à bord ; elles sont conçues pour naviguer dans un territoire réel. Lisa s’apprête à pénétrer un tout autre genre d’espace, au confluent de l’administration et de l’économie. (p.333)

Devenir un virus dans un organisme. Lisa aménage son conteneur et va voyager comme une marchandise de par le monde. Elle se prépare minutieusement et Éric lui concocte un logiciel qui permettra de déjouer les contrôles. On peut faire le parallèle avec les voyages dans l’espace, aux mois de réclusion des astronautes. La jeune fille va tourner autour de la planète à bord de son habitacle blanc. Éric rêve de faire en sorte que le caisson soit capable de décider des parcours et des escales par lui-même. Son logiciel est complexe et particulièrement efficace pour brouiller les pistes.

ENQUÊTE

Le conteneur finit par attirer l’attention des enquêteurs de la GRC et de la CIA. Jay travaille pour la GRC dans le service des fraudes. Elle s’intéresse à ce « vaisseau fantôme » et réussit à comprendre avant tout le monde. Elle suit Lisa à la trace, poursuit l’enquête, préviendra Éric quand les choses se gâtent. Peut-être parce qu’elle rêve de partir sans avoir à s’expliquer comme elle doit le faire depuis des années. Fuir, disparaître, échapper à toutes les informations, effacer toutes les traces.
Un voyage sans voyager, un peu à la manière des spécialistes de l’informatique qui sont en contact avec la planète et qui ne sortent jamais de leur bureau. J’ai pensé à Aïsha, un personnage de Philippe Porée-Kurrer dans Les gardiens de l’Onirisphère. Elle a des amis partout même si elle ne peut quitter son appartement. Son système immunitaire déficient ne lui permet pas de vivre à l’extérieur comme tout le monde.
Ce qui m’a touché dans Six degrés de liberté, c’est l’immense solitude des personnages. Éric vit dans une bulle. Lisa quitte son père sans émotion. Elle s’enferme dans son conteneur et part sans laisser d’adresse. Il est possible de communiquer avec la planète, mais le voisin reste un étranger plus inaccessible peut-être qu’un résident de la Chine. Jay ne parle qu’avec certaines personnes au travail et se retrouve seule au monde. Tous survivent dans des conteneurs personnels, peu importe l’endroit où ils se trouvent.
Si les machines nous permettent d’avoir accès au monde entier, tout nous isole peut-être de plus en plus, nous dépersonnalise. Nous vivons dans une illusion de liberté individuelle, un monde où tout est programmé. L’humain ne serait-il qu’une marchandise  avec une quote bar ? De quoi s’affoler un peu.
Nicolas Dickner me dérange avec ses héros qui tentent de s’évader du quotidien, de découvrir l’envers du monde. Des jeunes qui veulent disparaître dans le virtuel pour échapper aux frontières, devenir un être entier qui déjoue tous les systèmes et tous les contrôles. Il est peut-être possible d’y arriver, mais le prix à payer est terrible. Et pendant ce temps, des conteneurs continuent de circuler sur les mers et les océans. Il faudra peut-être s’éloigner dans l’espace avec l’intention de ne jamais revenir pour échapper à tous les fils, trouver une liberté qui risque de vous détruire dans la plus terrible des solitudes.

Six degrés de liberté de Nicolas Dickner est paru aux Éditions Alto, 392 pages, 27,95 $.

dimanche 15 mars 2015

Je reste un inconditionnel de Jacques Poulin


JE NE SAIS PLUS quand j’ai lu Jacques Poulin pour la première fois. Peut-être était-ce Le cœur de la baleine bleue en 1970. Je lisais tout ce que les Éditions du Jour publiaient alors. Ce fut le coup de foudre et depuis, j’attends avec impatience une nouvelle parution de cet écrivain discret, soucieux de son intimité et qui fait tout pour ne pas se retrouver sur le devant de la scène littéraire. Peut-être pour ne pas faire ombrage à Jack Waterman, son double. Pendant mes années comme administrateur du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, le gouvernement du Québec demandait des suggestions avant de choisir les lauréats du prix Athanase-David. Nous avons recommandé Jacques Poulin année après année jusqu’à ce qu’il obtienne ce prix en 1995.

Une quatorzième publication en presque cinquante ans d’écriture pour Jacques Poulin. Une manière de retrouvailles chaque fois, de pèlerinage. Nous retrouvons un lieu, le vieux Jack qui écrit ses livres en prenant son temps, en cherchant la petite musique qui le porte vers une autre phrase et donne sens à son existence. Il a mal au dos, écrit debout, reste discret et attentif aux gens autour de lui même s’il reste un peu sauvage et qu’il ne se lie pas facilement. Il hante un secteur précis de la ville de Québec et son grand dépaysement consiste à s’exiler à l’île d’Orléans quand il a besoin de solitude. Une vie tranquille comme le fleuve qui pousse vers la mer et l’écrivain de Trois-Pistoles qui est tout son contraire.
L’œuvre de Poulin se présente comme une forme d’autobiographie fictive qu’il ne cesse de peaufiner et de pousser dans différentes directions. Toujours en demeurant sensible à ce qui l’entoure, particulièrement les jeunes femmes. Son personnage vit en solitaire et ne semble pas fréquenter d’amis. Il est fidèle à sa famille et ils lui rendent bien. J’ai appris à aimer la Grande Sauterelle ou encore Petite Sœur qui protège son grand frère. Il y a eu Mistassini, Marine la traductrice, Marie dans La tournée d’automne, Nathalie et Kim. Chaque roman amène un personnage féminin qui se ressemble d’une fois à l’autre et qui, peut-être, devient de plus en plus jeune.
Dans Un jukebox dans la tête, Jack Waterman se fait piéger, si l’on peut dire, par une jeune femme qu’il croise dans l’ascenseur. Une rousse avec des taches. Une lectrice qui garde ses romans dans son cœur. Comme si l’écrivain fantasmait sur une lectrice. Non pas une lectrice de son âge, mais une jeune qui permet à l’écrivain de franchir les barrières des générations et peut-être connaître une certaine pérennité.

Pourtant, dans l’ascenseur, elle m’avait paru très séduisante, même si, après l’avoir regardée une seconde, j’avais tout de suite baissé les yeux à cause de l’émotion provoquée par ce qu’elle venait de dire. La petite phrase avait percé ma carapace, à la manière d’une flèche, ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps. (p.10)

Le contact est chaleureux, du moins en esprit, le temps d’un fantasme, d’un bonheur discret comme un effleurement ou un regard. Il ne se passe jamais grand-chose. Du moins avec le temps, ce sont des amours platoniques où Jack a de plus en plus de mal à oublier son âge devant une jeune femme qui pourrait être sa fille. Il se satisfera de rapprochements, de moments intimes et d’effleurements.

En fait, j’avais un drôle de comportement avec les femmes du quartier. J’étais très attaché à Carole, une caissière de l’Intermarché qui pourtant ne me connaissait pas et ne m’adressait la parole que pour me dire bonjour et au revoir. De l’autre côté de la rue, à la Société des alcools, il y avait une fille dont je ne savais même pas le prénom, mais que j’aimais beaucoup ; elle me répondait en souriant quand je lui demandais où les commis avaient déménagé, encore une fois, le muscat de Samos. Et, à ma façon, j’étais amoureux d’Isabelle, qui travaillait à la grande bibliothèque de Saint-Roch où j’allais souvent emprunter des livres pour le simple plaisir de la voir. (p.17)

Vous avez compris : tout se passe dans la tête de l’écrivain. Quand on choisit de vivre par les mots, peut-il en être autrement ?

AVENTURE


Il faut une tension dans un roman qui emporte le lecteur et le retient. Poulin connaît les trucs du métier. Il se permet même de donner certains conseils. Il invente une intrigue souvent un peu invraisemblable et il ne faut pas compter sur lui pour boucler l’histoire comme on le fait dans un roman policier. Il y a un vilain, pas vraiment méchant, un personnage trouble et Jack Waterman se retrouve dans la peau du héros qui doit sauver la victime. Il n’y arrivera pas et son aventure se termine en queue de poisson. Ce n’est pas cela l’important chez Jacques Poulin.
Il y a sa manière de raconter simplement qui vous donne l’impression d’être le seul à recevoir ses confidences, à pouvoir le lire en se penchant par-dessus son épaule, à l’entendre respirer, hésiter et puis placer un mot pour avancer un tout petit peu dans son histoire. Tout comme il le fait quand il sort pour aller chercher le journal ou marcher dans la ville de Québec qu’il connaît bien. Un pas, encore un pas et surtout un regard pour surprendre le soleil sur un mur de pierres ou une fleur perdue dans un pot devant un café. Il y a aussi les boutiques et le fait de voir un de ses livres dans la vitrine d’une librairie reste un grand bonheur.

LECTEUR

Poulin est un lecteur et il a ses préférés, trouve toujours le moyen de parler un peu d’Ernest Hemingway qui est comme son contraire. Autant l’Américain était extravagant et capable de toutes les pirouettes pour épater la galerie, autant Poulin passe inaperçu dans la foule. Quant à Gabrielle Roy, elle était aussi sauvage que lui. C’est comme une grande sœur en écriture.

Je lisais, pour la deuxième fois, la très touchante autobiographie de Gabrielle Roy, La détresse et l’enchantement. Certains passages que je n’avais pas remarqués à la première lecture retenaient à présent mon attention. En particulier les endroits où elle parlait des efforts qu’elle faisait pour écrire de la fiction. Par exemple, en page 137, après avoir déploré la piètre qualité de ses textes, elle ajoutait : Parfois une phrase de tout ce déroulement me plaisait quelque peu. Elle semblait avoir presque atteint cette vie mystérieuse que des mots pourtant pareils à ceux de tous les jours parviennent parfois à capter à cause de leur assemblage comme tout neuf. (p.28)


Je me souviens de l’avoir croisé une fois dans un salon du livre. Il y vient parfois, du moins il y venait. Je m’étais procuré son dernier titre pour le faire dédicacer. J’ai déjà raconté cette rencontre dans une chronique en 2006. Pourquoi pas y revenir ? On ne cesse de se répéter et ce n’est pas Jack Waterman qui va me contredire.
J’étais prêt à discourir sur ses romans, mais j’ai vite senti qu’il était mal à l’aise derrière la petite table. Il écoutait d’une oreille distraite. Il a signé tout simplement : À Yvon avec mes salutations amicales Jacques Poulin, novembre 89. Je suis reparti avec mon livre sous le bras, un peu déçu. Cela ne m’a pas empêché de me réconcilier avec lui quand j’ai lu Le vieux chagrin. J’ai souvent regardé cette dédicace. Une petite écriture toute simple et une calligraphie qui permet de saisir la phrase au premier coup d’œil. Pas de gribouillis à peu près impossible à déchiffrer comme c’est souvent le cas quand on chasse les dédicaces dans un salon du livre.

HISTOIRE

Dans Un jukebox dans la tête, on pourrait se mettre à tiquer sur les personnages. Mélodie reste un peu vague. Rien n’est clair dans son histoire et on ne saura jamais si elle ment ou si elle dit la vérité. Elle raconte les foyers d’accueil, une escapade et sa réclusion chez un bouncer. Une histoire de chats d’abord. Il y a toujours des méchants chez Poulin. Il y a eu une agression, mais elle s’en est sortie plutôt bien. L’homme la poursuit pour des raisons qui resteront obscures. Peut-être est-ce simplement un fantasme. Jack est très attiré par Mélodie. Il écoute, se plaît à la regarder, à être avec elle, l’attend même si ça perturbe son travail d’écrivain.

Tandis qu’elle parlait, son épaule de temps en temps frôlait la mienne et je sentais que son corps était secoué de frissons. Même si nous n’avions pas le même âge, je frissonnais avec elle. Et pourtant, je reste le plus souvent enfoncé, emprisonné en moi-même, et je ne suis pas doué pour la communication. (p.44)

L’aventure ne durera que le temps du roman. On ne saura pas ce qui arrive au videur de bar et ce qui s’est produit réellement. Mélodie retourne dans cette Californie si chère à Poulin, son pays de rêve et de fantasmes, ce lieu rêvé où il a séjourné et qui continue de le fasciner.

UNIVERS

Ce que j’aime chez Poulin, c’est sa tendresse, son humanisme, son attention aux petites choses de la vie. Il prend le temps de décrire la tisane qu’il prépare, la couleur des montagnes qu’il voit de sa grande fenêtre. Il analyse parfaitement les manies d’un célibataire qui tient à ses rituels autant qu’à ceux de l’écriture. Ses habitudes de se coucher tôt et d’écrire sans que rien ne vienne le perturber. C’est ce côté héros de la vie ordinaire qui me fascine, ces petites choses, ces bouts de phrases qui restent en suspend et qui font apprécier le temps présent. Poulin a l’art de trouver du merveilleux dans les gestes du quotidien. Il suffit d’un regard, d’une jeune fille un peu égarée qui sourit et tout recommence : la tendresse, les confidences, les murmures, le bonheur d’être avec quelqu’un qui vous écoute et se confie. Le rêve du grand amour, de la fusion, du partage amoureux surgit même si Jack Waterman n’est pas dupe. Il sait que tout est éphémère et qu’il vit une embellie dans une existence qui ne changera pas. Oui, j’aime cette chaleur humaine, cette amitié, cette beauté que l’écrivain sait toujours voir autour de lui, même dans les êtres qu’il veut un peu troubles et qui n’arrivent pas à nous effaroucher. Je reste un inconditionnel de Jacques Poulin même si plus jamais je n’irai lui demander une dédicace. Et il faudrait bien que je me fasse plaisir un jour, que je rassemble tous ses livres pour les lire les uns à la suite des autres, comme un seul grand roman.

Un jukebox dans la tête de Jacques Poulin est paru aux Éditions Leméac, 152 pages, 20,95 $,

mardi 10 mars 2015

Faut-il tout risquer pour devenir écrivain

LE MONDE LITTÉRAIRE continue de fasciner même si les lecteurs se font de plus en plus rares. Travail souterrain que celui du porteur de mots, existentiel même, fait de réclusions, de solitude et d’hésitations qui risquent de tout faire détraquer. Il y a aussi le rêve de devenir une célébrité qui fait courir les foules dans les salons du livre et qui provoque des bouchons devant les stands. Plusieurs réussiront à publier un roman ou un recueil de poésie (certains prétendent qu’il se publie trop de livres au Québec) sans provoquer de remous. Le travail qui a demandé des années s’étouffe dans le silence, une déception qui risque de décourager les plus talentueux.

Rien de cela chez Mathieu Arsenault et tout cela à la fois. Son personnage pourrait être tous les écrivains qui rêvent de voir leur nom sur un livre, leur oeuvre dans une librairie ou encore de faire les manchettes d’une revue ou d’un grand journal. Vous savez, l’auteur du mois, celui qui trône dans la liste des succès. C’est la partie clinquante du travail de l’écrivain, une réservée à quelques élus.
La pratique de l’écriture est un choix de vie, une manière de se donner un autre regard, d’empoigner ses jours pour les faire vibrer autrement. L’inverse de ces messages qui circulent sur les réseaux sociaux ou dans les médias. L’écriture repose sur une réflexion qui cherche à comprendre le monde, la vie, des manières d’être et de dire. Il faut aussi parler d’une sorte de quête qui veut cerner celui qui se cache en soi. Être soi contre tous les autres.

…se rendre compte qu’après qu’on a écrit un livre il n’y a pas beaucoup plus que des cérémonies des soirées officielles et des professionnels de la culture le peuple que j’avais imaginé n’existe pas je ne me reconnais ni dans robert lalonde ni dans robert lepage ni dans chrystine brouillet mais au moins j’ai arrêté de me prendre pour hermione granger dans ma cuisine et d’essayer de faire des stupéfix sur le chat je suis fatiguée de communiquer je veux foxer le monde et pisser dans mon bain c’est le jour où il faut dire la couleur de notre brassière sur facebook et je cherche ce qu’est devenu le gars avec qui j’avais gagné le mathémathlon 98… (p.14)

Écrire dans une sorte d’ascétisme, celle d’Anne Hébert qui s’est tenue dans la discrétion toute sa vie ou Gabrielle Roy qui ne cédait aux mondanités qu’à son corps défendant. Il y a aussi Réjean Ducharme qui a choisi l’anonymat le plus complet ou encore un Jacques Poulin qui a écrit une œuvre remarquable dans la plus grande des discrétions. On connaît aussi l’inverse, un Dany Laferrière que l’on retrouve sur toutes les tribunes, tellement qu’on pourrait croire qu’il n’y a pas d’autres écrivains au Québec.

J’étais curieuse et critique et jurée au prix littéraire des collégiens j’étais faite pour rire et chanter dans les camps de vacances je n’aime que la nuit je n’aime que le noir j’aime la photographie et essuie ces larmes en te regardant dans le miroir c’est pas beau une fille qui pleure c’est pas beau une fille qui se plaint c’est pas beau une fille qui constate que les lettres et les libraires sont sur leur déclin… (p.34)

Mathieu Arsenault nous entraîne dans le monde de l’écriture d’une manière tout à fait originale. Le lecteur timide sera certainement désorienté par l’avalanche de mots qui nous tombent dessus. La ponctuation saute, les majuscules et même certains morceaux de la phrase éclatent. Pas comme chez Marie-Claire Blais qui garde une écriture classique malgré une ponctuation inexistante. Mathieu Arsenault suit les méandres de la pensée qui vont dans toutes les directions. Une manière de vouloir tout dire de cet univers qui tourne comme un kaléidoscope. Une belle façon aussi de nous présenter ce personnage qui tend de toutes ses forces vers l’écriture et qui entend tout dire dans une sorte de vertige où la censure n’existe plus. Parce qu’écrire après tout, c’est se dire de toutes les manières possible, emprunter tous les déguisements et renoncer à tout ce qui fait la carrière ou le succès financier.

MONDE

Comment s’attarder à la démarche d’écriture sans glisser dans les clichés. Certains entretiennent des mythes comme Ernest Hemingway ou Yves Thériault, mettent en lumière des déboires, des hantises, des craintes qui expliquent ce besoin de revenir sans cesse sur certaines blessures ou des événements qui ont bouleversé sa vie. Les récits ou l’autofiction sont populaires. Parler de soi pour devenir le sujet de sa création. Marie-Sissi Labrèche en est peut-être le plus bel exemple.
Mathieu Arsenault aime les chemins de traverse. Je le disais en 2004 à propos de son Album de finissants où il donnait la parole aux marginaux qui secouent toujours nos certitudes. Encore une fois, son héroïne ne sera pas une Marie Laberge ou une Kim Thuy qui font courir les foules. Arsenautl préfère une sorte de casse-cou qui risque tout pour réaliser son ambition et qui ne peut vivre que des déceptions et des frustrations. Si écrire, c’est vouloir changer la réalité. La narratrice n’y parviendra guère. La liste des rêves brisés, des espoirs déçus et des frustrations pourrait être longue si on prenait la peine de faire enquête auprès des membres de l’Union des écrivains du Québec. La plupart sont des inconnus. Cela n’empêche pas de croire que l’on va être celui ou celle que l’on va applaudir pendant Tout le monde en parle.
Il suffit de visiter un salon du livre pour constater que pour une vedette, cent inconnus font un exercice d’humilité dans les stands. Et encore, les stars sont de plus en plus celles qui travaillent dans un média comme journaliste ou que l’on voit au cinéma ou dans les téléromans. Il faut maintenant passer par un métier où l’on est vu avant de devenir une figure du monde littéraire.

MANIÈRE

Les balises sautent dans La vie littéraire. Le privé et le public, les problèmes personnels et certaines rencontres amoureuses se bousculent. Comme s’il fallait tout jeter dans un creuset pour que tout se mélange et prenne une certaine forme. C’est fort habile de la part de Mathieu Arsenault. Il est audacieux et particulièrement inventif avec une phrase qui se construit et s’échiffe, éclate et se recroqueville pour porter l’acte de vivre.
Il est difficile d’échapper au soi quand on choisit d’écrire, d’oublier ses préoccupations et ses expériences. À moins d’être un auteur qui répète à peu près toujours la même histoire et qui se contente d’un genre qui accroche. Nous avons cela aussi au Québec, des romanciers qui écrivent comme on va à l’usine sans jamais se mettre en danger et qui répètent le même livre.

Nous en tant que lecteurs nous voulons qu’on nous respecte parce que nos livres nous les payons et nous voulons quelque chose de léger mais de profond de long mais de court de drôle mais de triste de pas de nous mais de mieux d’intense mais de raconté quelque chose mais moi je ne sais que chercher mon chemin dans des morceaux de choses vues et lues et sues sans histoire à laquelle nous raccrocher je ne fais pas d’histoires je serais bonne à marier en robe médiévale dans un champ en été… (p.55)

L’impression que tout glisse, que tout nous avale… Comment devient-on écrivain de nos jours ? Quelle route faut-il prendre pour se glisser dans le monde des livres et des auteurs reconnus ? Faut-il être un personnage ou tout simplement un chercheur qui se perd dans les méandres de la phrase ?
Voilà une tentative étonnante de traduire le monde de l’écriture avec ses couleurs, ses odeurs, ses colères et ses désespoirs. Une désespérance singulière dans un monde toujours à dire et à refaire, un univers à réinventer. Mathieu Arsenault a très bien compris qu’un écrivain ne peut s’affirmer que par l’écriture qui se défait pour se refaire dans une autre dimension. Un court roman à lire très lentement parce que le risque est grand de s’égarer. La vie littéraire n’est pas de tout repos.

Arsenault Mathieu, La vie littéraire, Éditions Le Quartanier, 112 pages, 17,95 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, printemps 2015, numéro 157. 

mardi 3 mars 2015

Quand deux artistes décident de se réinventer

Carol Bernier
Tout créateur est un lecteur de son époque et de son environnement. Un livre et une œuvre d’art peuvent devenir l’objet d’une lecture qui entraîne dans une direction différente. Croiser l’autre regard enrichit sa propre perception de l’univers et peut l’ébranler. Les grandes rencontres sont de ce type. Certains artistes décident de provoquer ces heurts pour mieux saisir un moment de leur vie. Hélène Dorion et Carol Bernier s’allient pour aller vers cette autre vérité qui ne peut surgir qu’à la jonction de leurs explorations. Ce moment rare exige de la patience et surtout une franchise de tous les instants.
Hélène Dorion
Il faut aimer le risque pour se livrer à ce jeu et une grande ouverture d’esprit. L’autre risque de toucher des zones d’ombres que vous avez cherché à occulter inconsciemment. Écrire et peindre est dissimuler autant que révéler. Un lecteur perspicace met le doigt sur ces déguisements pour les montrer au grand jour. L’artiste cherche ces rendez-vous parce que l’œuvre d’art est toujours un appel qui va au-delà du dit ou de l’objet.
Ces aventures permettent de plonger dans un autre univers. Je pense à Denise Desautels qui visite des installations en art visuel pour créer de nouveaux arrangements ou d’ébranler sa propre vision des choses. Une quête de l’autre, un retour sur soi, une révélation peut-être qui nous explique une façon d’appréhender la réalité. Parce que l’œuvre d’art est toujours un regard sur son époque, la vie et une manière de s’approprier le temps.
Le dialogue d’un poète et d’une artiste en art visuel risque de créer un langage qui étonne. Dorion et Bernier risquent tout, tentent de cerner ce qui pousse quelqu’un à consacrer sa vie à la poésie ou à inventer des formes qui permettent des échappées sur une autre réalité. Elles vont l’une vers l’autre pour inventer un lieu de tous les possibles.

Mais nous voulions, Hélène et moi, créer ensemble un « terrain de jeu » dans lequel nous puiserions l’inspiration pour notre livre. L’idée principale était donc d’avoir une inspiration commune sans partir de l’univers particulier de l’une ou de l’autre, mais bien de ce que nous sommes « l’une avec l’autre et l’une pour l’autre ». Tout était ouvert. Nous avons amorcé le mouvement par l’envoi postal d’objets, une boîte vide, une image ou un texte, le seul but étant d’installer un dialogue créatif. Aussi, depuis des mois, nous échangeons des artefacts. Ce sont tous ces objets, ces emballages, ces œuvres, ces textes qui seront sur le point de départ de notre livre d’artiste. (p.56)

Une manière d’oublier ses repères, ses points d’ancrage et ses façons de se rassurer devant la vastitude du monde. Des élans, des préoccupations sont touchées par ce regard qui nous révèle à soi.

LES LETTRES


Il faut du concret pour se réinventer. Le plus exigeant est certainement d’écrire en restant le plus fidèle possible à ses émotions et ses intuitions. Un envol où les deux artistes se croisent dans un espace et peut-être un lieu inhabituel.
Dorion et Bernier nous permettent de les suivre dans leurs hésitations et leurs questionnements. Les deux femmes se livrent comme elles ne le font peut-être pas avec leurs proches, racontent ce qu’elles ressentent devant un tableau ou un poème, effleurent ce qui engage le corps et l’esprit dans l’acte créatif. Elles suivent une piste, reviennent, recommencent et s’attardent à la pulsion de l’œuvre. Toutes les deux consentent à s’oublier momentanément dans un espace où elles sont l’une et l’autre, l’une avec l’autre.

J’apprends la patience, et plus de patience encore. J’apprends l’amour, et plus d’amour encore. Je commence à voir devant, et ce livre nouveau en témoigne. Combien de silence pour quelques mots...? Et le vent tiendra-t-il ? Et les vagues hautes ? Et les nuits, seule en pleine mer ? (p.68)

Ceux et celles qui se passionnent pour la démarche artistique aimeront ces confidences qui échappent aux distractions et aux bousculades habituelles. Les voyages nombreux et épuisants des deux femmes ne sont peut-être qu’une recherche, que l’espoir de parler juste et de trouver enfin un certain équilibre. Je ne croyais pas qu’Hélène Dorion était aussi sollicitée dans le monde. Tout comme Carol Bernier qui doit répondre à des demandes d’expositions qui exigent temps et énergie.
Des questionnements, des réponses, des hésitations qui ne satisfont jamais parce que la création y perdrait son essence. Il faut toujours le doute, l’incertitude pour continuer à écrire ou à inventer une œuvre d’art.

DES ÂMES

L’expression est une façon de s’oublier, de devenir vibrant, conscient de cette vie qui permet tous les questionnements, d’aimer et de respirer.
J’ai oublié souvent les propos de Bernier ou de Dorion pour être dans l’instant, prendre le temps de voir le monde autour de moi et m’imprégner de sa beauté. Et me questionner aussi sur mon obsession qui me fait plonger dans un monde qui est en moi et hors de moi. Peut-être que l’écriture est une lecture toujours incomplète qui demande tous les recommencements. Elle prend racine dans ce manque même.

Ainsi, depuis le début de mon séjour, je sens de nouvelles ailes s’ouvrir en moi, et je touche à la vie comme peut-être jamais encore je ne l’avais fait. Après ces années éprouvantes, je laisse mon corps se remplir de ciel et de mer, je goûte la joie de la lumière, et mon âme célèbre chaque chose, chaque instant, oui elle commence peut-être à voler, oui, peut-être est-ce cela, elle vole, et bien sûr alors on craint un peu la chute, ou qu’une aile n’effleure le sol, se heurte quelque part, mais non, on vole, et on sent que c’est cela, vivre, cela, l’essentiel : voler, simplement, voler librement. (p.78)

Hélène Dorion et Carol Bernier ne sont pas seules, elles sont multiples par leurs questionnements et leur écoute exemplaire. Peut-être qu’il faut être artiste pour aller si loin dans la direction de l’autre, se mettre à l’écoute d’un langage qui vient vous bousculer et vous révéler. C’est certainement ce qui fait la beauté de ce livre magnifique. Un véritable petit bijou visuel, un objet que l’on explore avec bonheur.


NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, printemps 2015, numéro 157.

Nous ne sommes pas seules… d’Hélène Dorion et Carol Bernier est paru aux Éditions d’art Le Sabord, 120 pages, 24,95 $.

jeudi 19 février 2015

Les continents possèdent-ils une musique


J’ai souvent eu l’impression en lisant le récit d’Étienne Beaulieu de marcher dans une forêt sombre où il est à peu près impossible de s’orienter. Les phrases et les images vous accrochent et vous forcent à vous arrêter, à reprendre votre souffle, à vous demander pourquoi l’auteur cherche à vous égarer. J’aime particulièrement ces textes qui deviennent une quête. Trop de lumière pour Samuel Gaska est un récit d’une intensité rare et une façon d’être pour le narrateur, d’affronter les grandes questions existentielles.

Les parents de Samuel Gaska rêvaient de l’Amérique, d’un monde autre où ils pourraient échapper à la misère, à la fatalité qui tournait comme une roue qui rapporte les mêmes gestes, les mêmes fatigues. Une répétition qui ne se brise que quand le corps flanche.
Ils ont subi la guerre en Pologne et sont parvenus à réaliser la grande migration sans que le fils n’apprenne vraiment comment ils ont pu échapper à cette autre réalité. Le rêve, l’utopie fait prendre tous les risques comme l’illustre si bien Sergio Kokis dans Amerika.
Ils s’installeront à Montréal, dans une Amérique où il faut travailler encore et encore pour survivre. Les jours se bousculent, le travail en usine use, les gestes se répètent et finissent par tuer l’espoir. Comme si la Pologne qu’ils ont cherché à fuir était toujours en eux.
Peut-être pour oublier la grisaille de leur vie, ils veulent faire un musicien de ce fils qui connaîtra l’envers de leur monde. Ils imaginent surtout qu’une autre existence se trouve dans cet art où les sons s’interpellent et se relaient.

HÉRITAGE

Quel héritage garde un fils d’immigrants qui n’a pas connu le pays d’origine et ignore à peu près tout de son passé ? Il va, comme s’il n’avait que le présent et si un peu d’avenir. Samuel n’a pas d’images de la Silésie et il doit s’adapter à des études et apprendre une nouvelle langue. C’est peut-être ce que les émigrants souhaitent, j’imagine. Une chance d’échapper à la misère et à la répétition qui broie la pensée.
Certains réussissent à s’adapter et d’autres n’y arrivent jamais, comme s’ils venaient de trop loin, comme si les bagages des parents étaient trop lourds et qu’il était impossible de s’en défaire. Le jeune Samuel ne se sent pas chez lui ou dans son monde. Peut-être qu’il a été avalé par la solitude des parents qui n’ont jamais réussi à s’inventer une vie au Québec. La musique comme refuge ou manière de faire son chemin et de se tenir debout dans le présent.

J’ai consacré ma vie entière à la musique, mais je voudrais vous raconter comment elle en est venue à me sembler un mensonge et toute forme d’art avec elle. Je sais maintenant que la véritable musique n’apparaît que si l’on dépose l’archet sur la table ou lorsque les mains s’éloignent du piano un instant, quand les bruits de notre cacophonie humaine s’éteignent et laissent émerger aux oreilles de ceux qui peuvent les entendre les sons réels que produisent les véritables puissances de ce monde. (p.9)

IDÉAL

Peut-être que Samuel a reçu un rêve trop grand en naissant. Le musicien imagine un monde, une musique qui vient du silence des éléments, hors des agitations humaines et des machines. Comment atteindre un monde qui échappe à tous ? Il ne peut que tourner le dos à ses semblables. J’ai pensé souvent à l’apaisement des cloîtres, à ces vies dans le silence pour surprendre les mélodies qui s’imposent quand on se replie sur soi pour n’être qu’une respiration, qu’une conscience dans le temps.
Cette autre musique, c’est peut-être l’utopie dont rêvaient les parents et qu’ils voulaient offrir à leur enfant en venant en Amérique. S’il est possible de changer de continent, de bousculer sa vie ou de penser la refaire, il est peut-être plus difficile de trouver le son premier qui a donné naissance à toutes les musiques.
Samuel est un obsessif qui cherche des lieux où il pourra surprendre un vivant musical, des rythmes qui échappent à tout ce que l’on peut connaître. Mais n’invente pas une musique particulière qui veut. Les Philippe Glass sont rares.

Mais au milieu de mes notes, une nuée de cris disgracieux m’avait sorti de cette torpeur : avant de nous quitter, les deux nous avaient envoyé leurs messagers. Impossible de ne pas aller à la rencontre des outardes étalées dans la baie, de ne pas frissonner, comme à tous leurs passages, de ce sentiment d’incompréhensible qui les accompagnait. Il me semblait en les regardant traverser le ciel voir une forme de vie très ancienne qui menaçait de perdurer encore. (p.45)

Les outardes, ces magnifiques voyageuses qui survolent l’Amérique avec les saisons le hantent. Il est peut-être un migrant venu d’un monde primitif, un oiseau qui ne sait pas sa destination. Il observe, surveille ces bernaches qui répondent à l’appel du grand vol deux fois par année. Des forces mystérieuses agissent, difficiles à expliquer. Une musique peut-être qui vient des forces telluriques ou des changements des saisons. Il veut un son qui échappe à la nuit des temps, celui des saisons qui poussent sur les saisons. Une grande symphonie marquée par le soleil, les vents et l’air du continent.

QUÊTE

La luminosité de ce récit fascine, le silence palpable, la recherche de Samuel qui veut entendre au-delà de la lumière et des saisons. Y a-t-il un son pour la terre d’Amérique et une note particulière pour l’Europe ou l’Afrique ? Des accords qui traduisent une végétation, la danse des saisons, la faune que le compositeur pourrait mettre en harmonies.

L’objet de nos désirs ne nous étant donné que lorsqu’on ne le désire plus, je savais bien qu’on ne trouve la joie du sommeil que dans l’indifférence la plus parfaite. La question « Es-tu prêt à mourir ? » n’a aucun sens, car c’est quand elle ne nous délivrera de rien que la mort nous délivrera vraiment. Il faut être déjà mort pour être prêt à mourir. (p.82)

Samuel réussira peut-être après une longue réclusion à renoncer à la musique. Il suffit peut-être de respirer et de se perdre dans la solitude, celle qui n’existe que hors de la ville, dans la patience de la nature. Comment ne pas penser à Glenn Gould ?
Il faut souvent retenir son souffle pour donner toute la place à la phrase d’Étienne Beaulieu, aux images qui brillent comme des reflets de lune. Il faut les laisser se déposer ces mots pour qu’ils prennent toute leur dimension et leur force.
Trop de lumière peut souvent aveugler et faire prendre conscience de la petite musique, celle qui permet de respirer en retrouvant les ailes des grandes outardes qui nous rappellent que partir, c’est aussi revenir.

Trop de lumière pour Samuel Gaska d’Étienne Beaulieu est paru aux Éditions Lévesque éditeur, 114 pages, 20,00 $.

NOTE : une version de cette chronique se retrouve dans Lettres québécoises, printemps 2015, numéro 157.
http://www.levesqueediteur.com/beaulieu.php