samedi 14 décembre 1996

L’insoutenable solitude de l’être humain

Depuis ses premières publications, Larry Tremblay explore l’insoutenable solitude des humains, que ce soit dans ses récits, ses œuvres théâtrales ou le roman. L’impossibilité de communiquer peut aussi être un fil qui permet d’aller d’une publication à l’autre sans s’égarer chez cet auteur. Une œuvre d’une remarquable densité.
Dans «Piercing», un professeur de littérature perd le fil de sa vie et cherche la solution définitive; une adolescente s’extirpe de la médiocrité familiale et ne sait éviter les pièges de l’amitié et des manipulateurs. Une femme jongle avec les mots et les définitions sans pour autant échapper à une vie parfaitement ennuyeuse.
La communication, la complicité entre les êtres est difficile chez Tremblay. Tous sont avalés par les gestes du quotidien, brisés et désarticulés par un idéal inatteignable. Même les élans de liberté et de création éclatent en mille morceaux. Reste la résignation ou la mort si on se montre plus téméraire.

Obsession

Ce désir de s’arracher à tous les encerclements, pour toucher l’autre, obsède les personnages de Tremblay. Tous cherchent à casser des habitudes qui étouffent et écrasent. Le créateur s’immole dans un délire de totalitarisme, la jeune fille baisse les bras devant un gourou. Elle n’a pas vingt ans la Marie-Hélène de «Piercing» et elle a épuisé toutes les révoltes. Tout comme Anna qui n’arrive pas à casser le moule des définitions pour être un corps exultant dans le désir de l’amour dans «Anna à la lettre C.».
Larry Tremblay cherche l’autre côté du miroir, les noeuds qui compriment à la fois l’esprit et le corps. On se heurte aux mêmes attaches dans «Le mangeur de bicyclette», un roman qui s’est retrouvé parmi les finalistes du Prix du Gouverneur général.
«L’homme lui fait mal. Anna pense: j’ai mal, je hais, moi, feu, je travaille demain, me lever, il fait trop chaud pour vivre, je hais l’été, je, je ne suis pas vivante, il n’y aura pas de pluie, pas de pluie, pas de pluie…»  (p.156)
Larry Tremblay reste un sonneur de carillon qui prouve que la littérature est plus que jamais essentielle dans cette société qui a égaré toutes les boussoles. Il ne formule pas beaucoup de solutions, mais les questions demeurent importantes. La condition humaine étant, peut-être, de marcher vers l’insaisissable petite flamme qui oscille tout au fond de la nuit.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Gallimard.

lundi 29 avril 1996

La vie exemplaire de l’écrivain Noël Audet

 J’ai rencontré Noël Audet pour la dernière fois au Salon du livre de Montréal en novembre 2005. Il rencontrait ses lecteurs en souriant, bravait la foule avec son dernier roman «Le roi des planeurs». Fragile, affaibli par la maladie, il semblait serein, mijotait une suite à cette histoire aérienne d’amour et de mort. Un pacte étrange de suicide qui le chicotait depuis son enfance en Gaspésie. « Si j’ai encore un peu de temps… », a-t-il murmuré, souhaitant ajouter quelques pages à une œuvre déjà dense. Il savait qu’il est difficile d’échapper au cancer. Il est mort le 29 décembre 2005 dans la soixantaine. Les vrais écrivains partent toujours trop tôt.
Noël Audet aura fréquenté la poésie, l’essai et le roman, en plus d’enseigner à l’Université de Montréal. Son roman le plus connu est certes «L’Ombre de l’épervier». On en a fait une télésérie fort suivie avec Isabelle Richer et Luc Picard.
XYZ Éditeur vient d’éditer son «livre de bord», une sorte de journal rédigé sporadiquement entre 1984 et 2005. Je me précipite quand on publie ce genre peu fréquenté par les lecteurs.

Toute une vie

«Entre la boussole et l’étoile» rassemble vingt ans de réflexions sur la littérature québécoise, la poésie, le cinéma, l’enseignement, la politique, la langue, l’amour et la maladie. Il ausculte ses livres, en échafaude de nouveaux, bouscule la critique, souffre de la perception de ses collègues, se passionne pour l’art de la fiction et son utilité. Il désespère devant nos hésitations, nos reculs, nos coups de gueule et nos silences coupables. Fervent souverainiste dans les années 80, il en arrive à croire que les Québécois ne pourront jamais se donner un pays. De quoi faire hurler les exaltés qui ont invectivé Michel Tremblay et Robert Lepage qui remettaient cette question dans l’actualité la semaine dernière.
Notre littérature, il voulait la voir partout dans les universités, les cégeps et les médias. Il s’inquiétait aussi devant l’omniprésence des vedettes qui accaparent l’espace médiatique et prennent  les salons du livre d’assaut. Les auteurs les plus vus et lus au Québec sont ceux qui font carrière au cinéma, au théâtre ou à la télévision.
Noël Audet se demande aussi pourquoi les Québécois sont fascinés par la sexualité, les témoignages et cette réalité qu’on arrange dans «Star Académie» et «Loft Story». Pourquoi cet amour du faux-vrai et du préfabriqué?
«Le témoignage en soi peut constituer une œuvre littéraire, s’il est écrit, c’est-à-dire s’il invente une forme en plus de nous livrer des contenus. Mais la plupart du temps, il s’agit d’une écriture blanche, qui se contente de mettre en mots ce que la vie de la vedette médiatique ou du hockeyeur avait d’étonnant, d’ahurissant- et ça marche, pour des milliers de lecteurs de plus en plus ahuris. Vendre ce qui est déjà connu, une valeur sûre, et un autre mouvement spéculaire.» (p.127)
Noël Audet plaide pour les œuvres de fiction qui brassent les comportements et nos façons d’être. La littérature crève les diktats et les propos soporifiques. Les poètes et les romanciers cherchent du sens quand la télévision jongle avec les images en oubliant la réflexion. De plus en plus notre société se plie aux formules publicitaires. Même la vie citoyenne et politique passe par les slogans. «Nous sommes prêts» à tout ou presque.
Maladie

Le cancer a frappé Noël Audet au moment où il croyait vivre jusqu’à cent ans. Dans son journal, il reste d’une discrétion remarquable face à cette mort annoncée. Il aura écrit, réfléchi et sera demeuré un créateur jusqu’à son dernier souffle. «… l’art qui seul nous sauve et nourrit, depuis la peinture rupestre de nos ancêtres jusqu’à la fin des temps. » Nous avons là son ultime phrase, sa dernière profession de foi en la création.
«Entre la boussole et l’étoile», esquisse le parcours d’un homme admirable. Des pages qui révèlent un écrivain engagé dans son siècle et sa société. Une langue limpide, un bonheur pour le lecteur qui aime les idées claires et refuse les clichés. Le Québec aurait eu encore bien besoin des œuvres frémissantes de Noël Audet, de ses indignations et ses hésitations.

«Entre la boussole et l’étoile» de Noël Audet est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/25.html